Vous entrez dans les ruines d’un décor oublié, là où le rire s’est changé en écho malade. My Friendly Neighborhood surgit sur Xbox Series, prêt à tordre chaque fibre de nostalgie jusqu’à la rupture. Ici, la peluche n’adoucit rien : elle lacère. Les marionnettes arrachent le silence, l’enfance dévore le présent, le plateau de tournage n’est plus qu’un piège à illusions mortes. Le survival horror prend le masque du spectacle, mais le spectacle n’a plus d’enfants : il n’y a que vous, confronté à la mécanique du souvenir et à la peur nue, désenchantée, sans une goutte de sang pour distraire l’effroi.
Peut-on sortir indemne d’un rêve éventré, quand même la lumière refuse d’éteindre les fantômes ?
Le cauchemar radiophonique, la marionnette comme vestige incarné
My Friendly Neighborhood déroule une structure narrative où chaque étage du studio construit une progression scénaristique nette. Vous incarnez Gordon, réparateur méthodique, chargé d’éteindre la source d’un signal qui relance en boucle le vieux programme télévisé “The Friendly Neighborhood”. L’introduction pose immédiatement l’ambiance : le studio de tournage est devenu un labyrinthe de décors éteints, habités par les marionnettes du show, réveillées dans un état d’animation morbide, capables de dialogue, d’interaction et d’hostilité, mais jamais déconnectées de leur fonction première : répéter, animer, exister pour un public imaginaire.
Le scénario privilégie la découverte environnementale : chaque section du plateau dévoile, par ses affiches, ses accessoires, ses scripts abandonnés et ses conversations parasites, l’histoire d’une production tombée dans l’oubli, rongée par les routines automatisées de ses marionnettes. Les enjeux se précisent au fil de la progression : comprendre ce qui a déclenché le réveil de ces créatures, naviguer dans les arcanes d’une organisation autrefois festive, désormais minée par le non-sens et la peur, puis trouver les outils et les réponses qui permettront à Gordon d’accomplir sa tâche – et de quitter le lieu.
Les personnages principaux imposent chacun leur empreinte : Ricky, marionnette-star, conserve un charisme ambigu, oscillant entre la bienveillance et l’agressivité, s’adressant au joueur dans un langage codé, fait de slogans et de formules issues du show. Les autres, tels que Lili ou Norman, incarnent des archétypes plus directs : mascottes, éducateurs, antagonistes secondaires, tous dotés de voix propres, d’un style de dialogue reconnaissable, et d’un comportement qui traduit une logique interne – surveillance, accueil, menace, avertissement. Chacun n’est jamais cantonné au simple “ennemi” : il participe à l’élaboration d’une atmosphère où la frontière entre complicité forcée et hostilité absurde ne cesse de se brouiller.
La narration s’appuie sur l’exploration : notes, scripts abandonnés, fragments de dialogues répétés ou déformés, tout concourt à bâtir la chronique d’une catastrophe silencieuse. L’histoire ne se contente pas d’être un décor : elle infiltre chaque couloir, chaque interaction, chaque puzzle. Le passé du studio, la mécanique de production, l’origine du “signal” hantent la progression du joueur, qui reconstitue peu à peu le puzzle d’un monde figé dans une répétition mortifère.
Les marionnettes, loin d’être de simples obstacles, forment une galerie de personnages à la fois grotesques et troublants : leur humour décalé, leur logique de sketch permanent, la douleur sourde de leur existence mécanique nourrissent une tension constante. Le charisme de Ricky, l’attitude de Lili ou les accès de folie de Norman forcent à composer avec leur présence : ignorer, contourner, affronter ou subir, chaque choix traduit la puissance narrative de ces figures, à la fois victimes et geôliers d’un spectacle qui ne s’arrête jamais.
Le scénario refuse l’explication totale, mais donne au joueur toutes les pièces nécessaires pour recomposer l’effondrement d’un univers. Le parcours de Gordon ne consiste pas à sauver ou à restaurer, mais à traverser un monde piégé par sa propre mémoire : chaque découverte, chaque échange éclaire la détresse d’un système qui tourne à vide. Au bout du chemin, il ne reste ni héroïsme ni tragédie, mais la lucidité crue d’un cauchemar où la fiction a dévoré son créateur.
L’automate méthodique, la tension du mouvement et l’épuisement du rituel
My Friendly Neighborhood érige son gameplay autour d’une économie du geste : chaque déplacement, chaque ouverture de porte, chaque tir compte. Le jeu refuse le grand spectacle du gore ou la panique hystérique d’un survival contemporain : il préfère la gestion froide d’un espace clos, où la peur résulte du calcul, non de la démesure.
La structure s’organise comme un “hub” labyrinthique : chaque étage du studio fonctionne à la fois comme zone de danger, terrain de puzzle et théâtre de survie. La progression exige d’arpenter les lieux, d’anticiper les routes des marionnettes hostiles, de mémoriser l’agencement des salles, et de composer en permanence avec la rareté des ressources : munitions, soins, espaces d’inventaire, tout est compté, tout pèse sur la prise de décision.
Le système de combat privilégie la tension : les armes, bricolées à partir d’outils du quotidien (le Rolodexer, la mitraillette à lettres, le pistolet à ressorts), affichent un impact limité, une portée réduite, et un bruit qui attire l’attention des marionnettes. Tirer n’est jamais un soulagement, toujours un risque. Immobiliser les ennemis les “colle” temporairement au sol, mais rien n’empêche leur retour : chaque marionnette relevée renforce l’impression d’être traqué dans un univers qui ne pardonne aucune erreur.
L’inventaire, limité à une grille manipulable en temps réel, impose de choisir : emporter plus de munitions, transporter une clé, garder un soin d’avance, chaque arbitrage crée du stress, du manque, du regret. Les puzzles, intégrés au décor, s’inscrivent dans la logique du studio télé : schémas de production, circuits électriques, codes à retrouver, accessoires à déplacer. Rien d’extravagant, mais chaque énigme rythme la progression, ralentit l’action, impose de relire l’espace comme un puzzle géant.
La gestion du rythme est exemplaire : alternance de moments d’attente, de tension extrême lors des phases de traque, puis de soulagement trompeur dans les salles de sauvegarde. L’absence d’overdose de jumpscares permet à l’angoisse d’exister sur la durée, de s’insinuer dans le quotidien du joueur. Le jeu cultive la paranoïa : rien ne se règle jamais définitivement, aucune zone n’est jamais vraiment “sûre”, et la menace ne cesse de muter à mesure que l’on s’enfonce dans les entrailles du studio.
Le level design, précis et imbriqué, rappelle les grandes heures du survival puzzle : chaque raccourci débloqué, chaque nouvelle clé, chaque retour en arrière a un sens, une utilité, une implication sur l’économie de la partie. L’absence de points de repère clairs oblige à mémoriser, à explorer, à prendre des risques, à organiser la fuite ou la confrontation selon les outils et les trouvailles du moment.
La difficulté n’est jamais punitive : elle est graduelle, organique, épousant la découverte du lieu, l’appropriation des mécaniques, le perfectionnement de la navigation. Rien n’est gratuit : chaque réussite est le fruit d’une observation attentive, d’un choix stratégique, d’une gestion fine des ressources.
En refusant l’esbroufe et l’escalade de violence, My Friendly Neighborhood impose un gameplay méthodique, tendu, où la moindre erreur coûte, où la réussite tient autant à la mémoire qu’au sang-froid.
Le faux-semblant du studio, la dissonance des voix crevées sous les projecteurs
La direction artistique de My Friendly Neighborhood érige le simulacre en arme. Chaque couloir du studio sature la rétine d’accessoires criards, de teintes primaires, d’affiches défraîchies, de lumières trop vives. Le décor s’appuie sur la grammaire du spectacle pour enfants : décors en carton, rideaux élimés, mobiliers disproportionnés, marionnettes démesurées, textures qui oscillent entre l’usé et le grotesque. Ce choix n’est jamais gratuit : il renforce la dissonance, l’ironie cruelle qui plane sur chaque déplacement. Le joueur arpente un espace familier, presque rassurant, puis découvre que la lumière ici éclaire le cauchemar plutôt qu’elle ne l’efface.
Les modèles des marionnettes, grotesques et difformes, imposent une présence inquiétante : regards fixes, bouches béantes, gestes mécaniques, tissus élimés, tout concourt à générer un malaise qui s’installe dans la durée. Les animations soulignent la brutalité du passage à l’hostilité : la marionnette passe du sketch au rictus, de la chanson à la traque, du mouvement saccadé à la ruée désarticulée.
La performance technique sur Xbox Series ne faiblit jamais : fluidité constante, temps de chargement réduits, aucune entrave à l’immersion. Les éclairages et les ombres, utilisés avec parcimonie, sculptent le décor comme un plateau de théâtre oublié, où chaque zone semble à la fois plate et dangereuse. L’absence de détails superflus, la sobriété du moteur, participent à l’atmosphère étouffante du huis clos.
La bande-son, loin d’un simple fond sonore, orchestre l’anxiété. Les musiques pastichent les mélodies enfantines, avant de les déformer, de les ralentir, de les dissoudre dans une nappe grinçante ou une ritournelle malade. Le résultat n’est jamais tape-à-l’œil : chaque note soutient l’angoisse, chaque silence pèse, chaque sursaut musical coupe la progression, accentue la solitude, la suspicion, le trouble. Les bruitages font surgir la présence hostile : pas sur le plancher, rires déformés, chuchotements, claquements secs. Le travail sonore crée l’illusion d’une marionnette tapie dans l’ombre, même lorsque l’écran reste vide.
Les voix, volontairement outrées, naviguent entre l’imitation du show pour enfants et la menace rampante. Chaque marionnette parle, chante, commente, harcèle. Les dialogues claquent, absurdes, parfois oppressants, toujours à la lisière du malaise. L’absence de doublage excessif renforce l’aspect clinique du studio : ici, la voix n’adoucit rien, elle blesse, elle isole, elle rappelle que le spectacle s’est vidé de tout public.
Le résultat : une identité visuelle et sonore forte, cohérente, jamais racoleuse, capable de créer un malaise profond sans céder à la caricature ou au cliché. Le plateau de My Friendly Neighborhood n’est pas un décor : c’est un personnage, un adversaire, une mémoire hostile.
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