Chou-Chou n’avait laissé qu’un champ de ruines et des étoiles asservies. L’univers, à ses pieds, semblait conquis. Mais Mugen Souls Z, suite directe du premier opus de Compile Heart, préfère réécrire cette conquête dans une surenchère sans retenue, quitte à dissoudre la folie maîtrisée du précédent épisode dans un débordement incontrôlé. Douze nouveaux mondes, douze nouveaux dieux, et une nouvelle héroïne aux ambitions aussi vagues que sa personnalité. Syrma hérite du rôle principal, mais la couronne reste trop grande pour elle.
Derrière l’annonce d’une « édition complète » et d’un retour attendu sur Nintendo Switch, la promesse se délite rapidement : ce second épisode semble avoir tout repris du premier, sans jamais prendre le soin d’y ajouter autre chose qu’un vernis plus sulfureux. Et la question se pose : quand une suite oublie d’évoluer, que lui reste-t-il, sinon l’excès ?
Une suite sans mémoire, un royaume sans voix
Le récit de Mugen Souls Z débute là où s’achevait le premier épisode : Chou-Chou a conquis l’univers, éradiqué toute concurrence, et proclamé sa suprématie comme une évidence. Mais la paix est de courte durée. Douze nouveaux mondes surgissent, chacun dirigé par une divinité autoproclamée. Et pour Chou-Chou, accepter l’existence de concurrents relève du blasphème. L’ultime affrontement est donc lancé, jusqu’à ce qu’un retournement scénaristique artificiel la réduise à une forme miniature dénuée de tout pouvoir.
C’est dans ce contexte que Syrma, nouvelle protagoniste, prend la tête de l’aventure. Première des Déesses Ultimes, elle incarne une inversion totale de la figure de Chou-Chou : moins tranchante, moins imprévisible, moins habitée. Là où son aînée imposait par son chaos structuré, Syrma traverse le scénario comme un écho vide, dépourvue de mordant et de réelle dynamique. L’humour subsiste, mais l’écriture perd en finesse. Les dialogues s’étirent, les ruptures de ton se répètent, et la parodie se mue en répétition.
Chaque personnage secondaire semble prisonnier d’un canevas trop familier. Les figures rencontrées se répondent mécaniquement, sans surprise ni nuance. Les dialogues conservent bien la marque de Compile Heart, avec leurs apartés absurdes et leurs répliques cassant le quatrième mur, mais l’alchimie du premier volet ne se reproduit pas. Le rythme scénaristique ralentit, les enjeux tournent à vide, et la progression narrative donne l’impression d’un recyclage assumé.
Le ton général bascule également. Là où Mugen Souls oscillait entre l’excentricité et la comédie potache, Z flirte constamment avec un registre plus lourd, plus chargé, et souvent franchement déplacé. Les séquences à connotation sexuelle, déjà présentes dans le premier épisode mais toujours encadrées par un second degré satirique, deviennent ici des scènes explicites, dénuées d’ambiguïté et de distance critique. Cette radicalisation visuelle et thématique, non seulement mal intégrée, mais profondément malvenue, détruit tout équilibre comique et affecte la cohérence même de l’univers.
L’écriture semble perdre tout recul. Ce qui relevait autrefois du pastiche devient ici littéral, brut, et souvent vulgaire. L’humour s’efface derrière des provocations gratuites, qui n’amusent plus. Syrma ne trouve jamais sa voix. Et les personnages, pourtant nombreux, échouent à faire oublier qu’ils ne sont que des copies altérées de figures déjà rencontrées.
Un miroir sans reflet
Le système de Mugen Souls Z reproduit trait pour trait celui de son prédécesseur. Les combats au tour par tour se déroulent toujours dans des arènes circulaires, avec liberté de mouvement, attaques combinées, compétences spéciales et gestion d’initiative par jauge chronologique. Tout est là, inchangé, figé. Même les effets, les animations, les interfaces semblent avoir été extraits ligne pour ligne de la version précédente, sans volonté de les réinventer ni même de les affiner.
Chou-Chou reste présente, certes réduite à un rôle secondaire, mais toujours dotée du Moe Kill, cette mécanique où les ennemis peuvent être charmés puis transformés en serviteurs. Syrma hérite à son tour de cette capacité, dans une version à peine modifiée. Les dialogues déclenchés lors de ces séquences n’offrent rien de nouveau ; la combinaison de mots, le principe émotionnel, le résultat – tout obéit à la même logique, sans ajout, sans surprise, comme une mécanique recopiée par défaut.
Les batailles aéroportées, désormais agrémentées de transformations en méchas géants, jouent sur l’esthétique mais pas sur le fond. Les affrontements restent fondés sur des principes similaires : lecture partielle des intentions adverses, grande part d’aléatoire, effets spéciaux abondants, mais un manque constant de lisibilité stratégique. Ces séquences sont spectaculaires en surface, mais sans nervosité, ni intensité véritable.
L’exploration s’effectue selon le même schéma : mondes divisés en zones, objectifs de domination, recherche des Maîtres à séduire ou soumettre. Le Mugen Field, tour de 100 étages, conserve son fonctionnement exact, avec les mêmes pauses toutes les dix strates, les mêmes systèmes de mise, de risque et de récompense. Les améliorations techniques ou ergonomiques sont quasi inexistantes. Pas de rééquilibrage, pas de refonte. Juste une duplication fonctionnelle.
Chaque planète suit une logique identique à celles du premier jeu. Les types d’ennemis, les objectifs, la structure des quêtes, tout répond à une boucle déjà parcourue. Aucun renouvellement mécanique ne vient briser cette sensation de répétition constante. Ce qui fonctionnait dans le premier devient ici prévisible, convenu, et progressivement mécanique.
Mugen Souls Z ne cherche pas à se surpasser, ni même à se réinventer. Il duplique, sans audace, un gameplay pourtant initialement solide, mais dont la seconde exposition met cruellement en lumière l’absence d’évolution.
Reflets délavés d’une esthétique figée
Mugen Souls Z affiche une direction artistique identique à celle de son prédécesseur, sans ajustement, sans volonté de renouvellement. Le character design reste signé Kei Nanameda, avec ses chibi surchargés, ses expressions démesurées, ses tenues provocantes et ses mises en scène volontairement outrancières. L’univers visuel conserve son style pastel, ses décors flottants et ses éléments décoratifs en suspension dans l’espace. Mais ce qui, dans le premier opus, participait à une atmosphère délirante cohérente, semble ici vidé de sa substance.
Les environnements recyclent les textures du premier jeu, parfois à l’identique. Les mondes, bien que plus nombreux, ne gagnent ni en complexité, ni en diversité. Les motifs sont répétés, les architectures génériques, les effets visuels reconduits sans transformation. Les nouvelles animations de transformation, censées marquer une montée en puissance ou un changement d’état, réutilisent des poses déjà vues, parfois avec des modèles légèrement modifiés.
L’interface n’évolue pas non plus. Menus, icônes, écrans de chargement : tout conserve le style saturé d’éléments clignotants et de barres multicolores. L’effet, autrefois charmant dans sa surcharge, devient ici étouffant, car privé de nouveauté. Sur Switch, le rendu reste stable et fluide, sans ralentissement, mais la définition trahit l’âge du moteur. Certains éléments apparaissent flous ou approximatifs, notamment sur grand écran.
La bande-son reste fidèle à l’univers de Compile Heart : des morceaux tonitruants, des thèmes de combat entraînants, quelques pistes mélodiques pour les séquences de repos ou de dialogue. Les compositions remplissent leur rôle sans fausse note, mais ne proposent aucune variation marquante par rapport au premier jeu. La palette sonore semble clonée, au point de confondre parfois les thèmes entre les deux épisodes.
Les doublages, toujours en japonais, bénéficient d’une exécution professionnelle, avec un accent mis sur l’exagération des émotions. Les comédiennes donnent tout, comme si l’univers entier devait s’écrouler à chaque soupir. Mais ces performances vocales, impeccables sur le plan technique, se retrouvent prisonnières de scènes embarrassantes, rendues d’autant plus insoutenables par leur mise en scène appuyée.
Mugen Souls Z conserve donc son vernis visuel, son habillage sonore et son cadre théâtral. Mais ce qui était folie maîtrisée devient ici répétition creuse, et parfois dérive caricaturale.
Une édition complète… mais à quel prix ?
Comme pour le premier opus, Mugen Souls Z revient sur Nintendo Switch dans une édition dite « complète », intégrant tous les contenus téléchargeables d’origine. Armes inédites, costumes alternatifs, objets bonus, missions supplémentaires et équipements exclusifs sont immédiatement disponibles via un menu dédié, permettant de les activer ou non à volonté. Sur le plan strictement fonctionnel, l’ensemble est généreux. Les soixante-dix DLC inclus étendent le jeu de manière massive, tout en respectant une logique de modularité bien pensée.
Techniquement, le portage s’avère solide. Aucun ralentissement, une interface fluide, et une lisibilité parfaitement maintenue en mode portable comme en mode docké. La Switch encaisse sans peine les animations, les combats multiples, les effets visuels les plus exubérants. Les temps de chargement sont brefs, la navigation dans les menus efficace, et aucune instabilité n’est venue perturber les longues sessions de test.
Cependant, cette édition Switch ne propose aucune nouveauté de fond. Aucun équilibrage, aucun ajustement de système, aucun contenu additionnel pensé pour enrichir ou prolonger l’expérience autrement que par les bonus esthétiques ou fonctionnels. La structure du jeu reste strictement identique à celle de 2014, avec ses défauts conservés, et ses excès amplifiés.
Côté accessibilité, le jeu reste intégralement en anglais, sans option de traduction, ni sous-titres pour les cinématiques. Les scènes les plus dérangeantes sont présentes sans censure, contrairement à la version occidentale d’origine sur PlayStation 3. Eastasiasoft a opté pour une restitution brute du contenu, y compris des mini-jeux problématiques, qui franchissent des seuils que le premier opus s’était soigneusement abstenu de dépasser.
Mugen Souls Z, dans cette forme, ne distingue pas la provocation du contenu, et ne propose aucun filtre pour encadrer sa lecture. Ce choix éditorial, assumé par son éditeur, engage directement la perception du jeu dans son ensemble. L’édition est complète, oui. Mais elle l’est au détriment de la cohérence, du recul, et parfois du bon goût.
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