Parfois, l’insouciance n’est qu’une course sans but, un sprint éphémère pour attraper une joie trop fragile pour durer. Muddledash, développé par Slampunks et sorti sur Nintendo Switch le 10 juillet 2018, prétend capturer cette étincelle fugace : celle d’une fête improvisée entre créatures marines, un délire pastel où l’on s’arrache un présent ridicule pour mieux en rire.
Dans ce monde sans gravité, peuplé de pieuvres souples et de couloirs bariolés, la compétition se veut joyeuse, immédiate, universelle. Aucun récit ne soutient les courses. Aucun prétexte ne justifie la ruée. Il n’y a que la course elle-même : une impulsion de couleurs, de glissades, de bousculades amicales, lancée à toute vitesse pour tenter d’attraper un fragment d’enthousiasme avant qu’il ne s’effrite.
Mais derrière cette esthétique acidulée, derrière cette volonté affichée d’être simple et accessible, Muddledash parvient-il à tisser quelque chose de plus solide que l’agitation ? Offre-t-il plus qu’un éclat vite retombé, qu’un rire étouffé avant même d’avoir pu résonner pleinement ?
Dans cette arène où l’urgence remplace l’élan et où le chaos simule la fête, il reste à découvrir si la course mène quelque part… ou si elle n’était qu’une pirouette jetée dans le vide.
Les silhouettes sans passé d’une parade éphémère
Dans Muddledash, il n’y a ni histoire à raconter, ni personnages à comprendre. Seulement des fragments de formes colorées — des pieuvres sans nom, sans voix, sans but autre que celui, brutalement assigné, de courir, de se heurter, de se dépasser dans une course dont le sens même semble avoir été oublié en chemin.
Chaque créature que vous contrôlez est un costume plus qu’une identité : un éclat de couleur lancé dans un monde sans racines. Aucune narration n’accompagne leur périple désordonné vers la fête promise, aucune fable ne vient justifier cette frénésie. L’absence totale de contexte n’est pas ici un choix esthétique assumé ; elle ressemble plutôt à un renoncement, à une décision d’effacer toute possibilité d’attachement émotionnel au profit d’une immédiateté creuse.
Cet anonymat des avatars, combiné à la brièveté des sessions de jeu, empêche toute forme d’investissement réel. Les pieuvres de Muddledash n’évoluent pas, ne trahissent pas, ne rêvent pas : elles courent. Et c’est tout. Le joueur ne construit aucun lien, pas même inconscient, avec son alter ego mou et coloré. Chaque course est une réinitialisation brutale, où l’on change de décor, parfois de couleur, mais jamais de profondeur.
Le monde, lui aussi, reste figé dans cette apnée de sens. Pas de progression scénaristique, pas de panorama à découvrir, pas d’univers qui s’étend au fil des courses. Juste des tunnels décorés de motifs aléatoires, des pièges prévisibles, des raccourcis inutiles — tout ce qu’il faut pour entretenir une agitation vide, mais rien pour tisser le moindre frisson de voyage.
Les pieds glissants sur les spirales d’un sprint sans saveur
Dans Muddledash, la course n’est pas une montée en tension, ni même un crescendo d’émotions. Elle est un éternel recommencement, une répétition d’élans impulsifs qui peinent à se distinguer les uns des autres, comme autant d’éclats de rire avortés. La mécanique est simple à l’extrême : il faut courir, esquiver, se frayer un chemin parmi des pièges enfantins, s’emparer du cadeau central et atteindre la ligne d’arrivée avant ses adversaires.
Mais cette simplicité, qui aurait pu être synonyme d’élégance, devient ici un appauvrissement. Chaque session est identique à la précédente. Les variations de décor, de tracé, de rythme n’existent que dans l’illusion des formes : la structure des courses, la dynamique des affrontements, l’effort de lecture de l’espace demeurent désespérément figés. À force de vouloir effacer toute complexité pour favoriser l’instantanéité, Muddledash se condamne à l’amnésie ludique : aucune course ne laisse de souvenir.
Les contrôles, eux aussi, participent à cette désincarnation. La maniabilité est volontairement glissante, les pieuvres rebondissent comme des balles molles dans des couloirs trop étroits, mais cette imprécision n’est jamais véritablement exploitée pour enrichir les affrontements. Elle génère davantage de frustration que de rire, davantage de collisions absurdes que de moments de tension jubilatoire. Ce n’est pas une maladresse créative, c’est une mécanique flottante, privée d’ancrage dans l’espace de jeu.
Le level design, censé porter la variété et la surprise, échoue à créer du rythme ou de l’anticipation. Les pièges, rares et peu inventifs, se bornent à quelques plateformes mouvantes ou à des couloirs resserrés ; les itinéraires ne proposent aucune réelle alternative stratégique. Seule l’agitation brute, la précipitation désordonnée, rythme la course. Mais sans structure, sans montée en pression, cette agitation tourne vite à vide.
Même le multijoueur local, cœur battant supposé de l’expérience, ne suffit pas à masquer ces failles. L’absence d’équilibrage dynamique, l’uniformité des parcours, la pauvreté des interactions tactiques entre joueurs limitent la rejouabilité à une poignée de parties, après lesquelles la mécanique révèle toute sa fragilité.
Muddledash voulait capturer l’énergie effervescente de l’enfance, la spontanéité d’un sprint vers l’inutile. Mais il oublie que même le chaos a besoin d’un souffle, d’une cadence secrète pour donner du sens à sa propre dispersion.
Les éclaboussures pastel d’un monde sans poids
Visuellement, Muddledash s’avance comme un carnaval minimaliste, une explosion de teintes pastel étalées à la va-vite sur des décors à peine esquissés. Les environnements, tunnels organiques aux courbes molles et aux couleurs douces, cherchent à évoquer un univers marin féerique — mais jamais ils ne transcendent cette première esquisse d’intention. Tout semble suspendu dans un entre-deux artificiel : ni monde réel, ni monde rêvé, seulement un canevas abstrait, trop lisse pour accrocher l’œil, trop neutre pour marquer la mémoire.
Les avatars — ces pieuvres cartoonesques au design rond et sans aspérités — partagent cette impression de légèreté vaine. Leur animation, volontairement bondissante et élastique, génère une dynamique visuelle qui, un instant, amuse par sa souplesse absurde, mais qui lasse rapidement tant elle reste enfermée dans un cycle unique de gesticulations vides. Aucun geste, aucune posture ne raconte ici une émotion, un conflit, une intention autre que la simple précipitation.
La variété graphique, si tant est qu’on puisse l’appeler ainsi, se réduit à quelques variations de couleurs et à des motifs de fond interchangeables. Que vous couriez dans un couloir verdâtre, bleu lagon ou orange corail, la sensation demeure la même : celle d’un espace neutre, sans danger, sans mystère, où l’imaginaire du joueur n’est jamais sollicité.
Côté sonore, Muddledash choisit une approche tout aussi minimaliste : des musiques électroniques légères, au tempo soutenu, jouées en boucle sans variation ni modulation significative. Loin de dynamiser la course, elles finissent par se confondre avec le bruit de fond, perdant peu à peu toute capacité à influencer le rythme ou l’intensité du jeu. Le choix de sons volontairement légers — petits rebonds, éclaboussures, chocs feutrés — participe à cet effacement général de l’impact sensoriel. À force de vouloir éviter l’agressivité, Muddledash finit par effacer aussi toute forme de présence sonore marquante.
Ce qui aurait pu être un déferlement de fantaisie et d’excès devient ainsi une nappe visuelle et sonore tiède, un bruit de fond de fête mollassonne, incapable d’éveiller durablement l’enthousiasme ou la surprise.
Les soubresauts d’une mécanique fragile sous l’apparente fluidité
Techniquement, Muddledash se montre à la hauteur de sa propre modestie : un jeu léger, qui tourne sans broncher sur Nintendo Switch, mais dont la légèreté même trahit, en creux, une absence de profondeur structurelle. L’expérience est fluide — par nécessité plus que par exploit —, car peu de choses, en réalité, sollicitent sérieusement le moteur du jeu.
Les courses s’enchaînent sans ralentissements notables, les collisions entre les pieuvres sont gérées avec une souplesse relative, et aucun bug flagrant ne vient entraver la progression. Mais cette stabilité a un coût : celui de l’aseptisation, de l’absence totale de moments imprévisibles, d’imperfections organiques qui pourraient nourrir l’étrangeté ou l’énergie du gameplay. Ici, tout est fonctionnel, au sens le plus administratif du terme.
L’ergonomie, volontairement simplifiée à l’extrême, réduit les choix du joueur à un minimum absolu : un bouton pour sprinter, un autre pour agripper le cadeau. Aucun menu touffu, aucun réglage d’options avancées. Mais cette accessibilité immédiate se fait au prix d’une rigidité notable : impossible d’ajuster la durée des courses, le niveau de difficulté, ou même de choisir parmi différents types de parties. La structure du jeu est aussi étroite que les couloirs dans lesquels vos pieuvres s’ébattent.
Côté accessibilité, Muddledash affiche une indifférence totale. Aucune option d’aide visuelle, aucun ajustement pour les joueurs ayant des besoins spécifiques, aucune personnalisation possible de la vitesse ou de l’affichage. Le jeu suppose implicitement que tout le monde dispose des mêmes réflexes, de la même vision, du même appétit pour l’agitation constante. Cette absence de considération fragilise encore l’expérience, la rendant inaccessible à une partie du public potentiel sans même s’en apercevoir.
La rejouabilité, enfin, repose sur un fil ténu. Après quelques courses, toutes semblables, le joueur curieux aura vu tout ce que Muddledash est capable d’offrir. Aucun mode de jeu alternatif, aucun déblocage progressif, aucun système de défis ne vient réanimer l’envie de relancer une session. Tout est donné d’emblée — et tout est épuisé presque aussitôt.
Sous sa fluidité de surface, Muddledash laisse donc affleurer l’usure rapide d’un concept trop mince pour durer : une mécanique de fête vite déroulée, vite oubliée, qui tourne sur elle-même jusqu’à dissiper toute l’énergie qu’elle prétendait célébrer.
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