Sorti le 3 décembre 2020 sur Nintendo Switch, Morbid: The Seven Acolytes est un cri venu des abysses. Un action-RPG ténébreux, viscéral, conçu par le studio Still Running, qui dresse un autel sanglant à la gloire des traditions soul-like, tout en y apposant son propre blason fendu. Dans cette fresque d’épouvante où la folie suinte des murs et où les dieux meurent lentement, vous incarnez un dernier espoir, frêle silhouette perdue dans un monde rongé par la pourriture sacrée.
L’univers qu’il propose n’offre ni clémence ni consolation. Il se donne tout entier, avec ses abominations de chair, ses rituels d’os, ses combats ciselés dans l’angoisse. Mais derrière les hurlements, les sacrifices et les acolytes à abattre, ce titre parvient-il à s’imposer comme un jalon marquant du genre sur la console de Nintendo, ou s’égare-t-il dans les marécages de ses ambitions trop dévorantes ?
Les murmures des dieux pourrissants
Morbid: The Seven Acolytes ne déroule pas un récit traditionnel. Il préfère l’évocation à l’explication, le malaise à la narration. Vous incarnez un porteur de flamme solitaire, dernier bastion contre la corruption divine d’un monde ruiné. Votre mission : éliminer les Sept Acolytes, êtres difformes et sacrilèges, fusion d’humanité décomposée et de divinité corrompue. Le fil rouge est simple, mais la texture narrative, elle, suinte de chaque recoin du monde.
Les dialogues sont rares, les personnages secondaires presque fantomatiques. Pourtant, tout ici raconte quelque chose : les statues disloquées, les autels rongés de symboles, les cadavres figés dans une supplique sans fin. Le jeu construit un univers à décrypter, plutôt qu’à suivre, dans la droite lignée des lectures environnementales chères aux Souls. Mais là où ces derniers laissent volontairement des zones d’ombre, Morbid tente un équilibre plus délicat : offrir une densité d’ambiance tout en instaurant un fil narratif plus lisible. Ce pari, cependant, reste inabouti.
L’approche reste fascinante, mais souvent trop parcellaire pour que l’investissement émotionnel s’ancre pleinement. Le monde semble chargé de sens, sans toujours prendre le temps de le transmettre. Quelques lignes de texte bien placées, quelques éclats de mythe suffisent à suggérer un monde antique en train de pourrir — mais ce mythe reste suspendu, fragmentaire, presque inaccessible.
Le travail de localisation française, quant à lui, fait honneur à l’ensemble. Les rares lignes de dialogue et descriptions d’objets sont bien traduites, avec un soin qui renforce la cohérence de cet univers putrescent. En l’absence d’interactions profondes avec les PNJ, c’est la cohésion visuelle et lexicale qui soutient l’immersion.
Lame contre l’oubli, folie contre l’acier
Dans Morbid: The Seven Acolytes, chaque pas est une offrande, chaque affrontement une liturgie brutale. L’expérience, résolument soul-like, repose sur un système de combat précis, lourd, et punitif, où chaque erreur se paie en viscères. L’endurance devient votre prière muette, la parade votre confession.
L’arsenal est vaste, varié, et pensé pour favoriser l’expérimentation. Armes contondantes, lames courbes, outils rituels… chacune modifie non seulement la portée et la cadence des attaques, mais aussi la philosophie de votre approche. À cela s’ajoute une gestion d’inventaire rigoureuse, où les consommables et les objets curatifs deviennent des trésors à ne pas galvauder.
La singularité du gameplay réside dans le système de santé mentale, mécanique inspirée de Darkest Dungeon, qui enrichit l’expérience par une double vigilance constante : préserver votre corps, mais aussi votre esprit. La folie gagne du terrain à chaque affrontement prolongé, influant directement sur vos performances. Percevoir l’horreur du monde devient ainsi une malédiction tangible, intégrée à votre propre système de jeu. C’est une brillante extension thématique, qui donne du poids à l’ambiance autant qu’à la tactique.
Chaque boss, incarnation putride d’un acolyte, s’impose comme un pic de tension, une rupture dans le rythme. Ces duels sont rudes, parfois inégaux, mais portés par une direction artistique marquante et des patterns mémorables. Leur rythme lent, presque cérémoniel, contraste avec la nervosité des affrontements de base, renforçant l’impression d’affronter des entités hors-normes.
Le monde semi-ouvert, lui, invite à l’exploration, mais sans carte pour vous guider. Ce choix audacieux alimente le sentiment de perdition, mais nuit parfois à la lisibilité des objectifs. L’absence de marchands ou de hubs reposants accentue cette austérité : vous êtes seul, toujours. L’économie interne du jeu repose donc entièrement sur la récupération, forçant à fouiller chaque recoin, quitte à errer longuement dans les mêmes zones pour quelques ressources.
Enfin, les quêtes secondaires, trop rares et peu développées, laissent une impression d’inachevé. Elles viennent étoffer l’univers de manière discrète, mais sans jamais enrichir réellement la progression.
Les pigments de l’effroi, les notes de la damnation
Le monde de Morbid: The Seven Acolytes est une fresque de souffrance peinte au couteau. Sa direction artistique, éclatante de laideur volontaire, convoque un imaginaire macabre où chaque texture semble imbibée de pus, de crasse et de chair déformée. Le pixel art y devient matière brute, tordu et exsangue, loin de toute nostalgie. C’est une esthétique de la décomposition ritualisée, où l’élégance n’est jamais recherchée, mais où le dégout est chorégraphié avec précision.
Chaque environnement — marécages gangrenés, temples sanglants, ruelles nécrosées — fonctionne comme une illustration de recueil interdit. La palette oscille entre les ocres malades, les verts toxiques et les noirs d’encre, accentuant la tension permanente. L’animation, certes sommaire, s’intègre parfaitement à cette atmosphère : elle ne cherche pas la fluidité, mais l’étrangeté visuelle.
Les créatures, quant à elles, sont d’un design grotesque fascinant. Boss difformes, humanoïdes décharnés, idoles impies : tout respire l’inconfort, tout évoque la fusion sacrilège entre biologie altérée et sorcellerie oubliée. Cette cohérence morbide forge un univers qui imprime la rétine, même après avoir posé la console.
Côté sonore, le jeu tisse un linceul auditif glaçant. Les ambiances bruitistes — cris étouffés, bruissements fétides, échos lointains — enveloppent le joueur d’un voile anxiogène constant. Les musiques, tantôt lancinantes, tantôt rituelles, surgissent par vagues, comme des invocations. Lors des boss, la bande-son se transforme en liturgie oppressante, renforçant le caractère cérémoniel des combats.
Le doublage est absent, mais la localisation française assure une lecture limpide de l’univers, malgré l’austérité volontaire des textes. Rien ne vient rompre la cohérence de cette immersion viscérale, pensée comme une descente ininterrompue vers l’innommable.
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