Sorti le 28 août 2018 en exclusivité sur Nintendo Switch, Monster Hunter Generations: Ultimate s’impose comme le chant du cygne d’une époque entière, celle des zones cloisonnées, des pauses stratégiques, et des monstres mythiques surgissant des entrailles de la cartouche. Version enrichie du volet 3DS Generations, il s’inscrit dans la lignée des éditions « Ultimate » chères à Capcom, condensant des années de contenu, d’équilibrages, de mécaniques héritées et d’ajouts spectaculaires.
Longtemps perçu comme un épisode de transition, ou pire, un fossile vidéoludique face au renouveau radical opéré par Monster Hunter: World, ce titre cristallise pourtant tout ce que la saga avait construit avant sa mue. Avec ses 132 monstres, ses quinze zones, ses quatre villages, ses centaines d’heures de chasse et sa structure éclatée, il n’offre pas une vision du futur, mais un musée vivant de la chasse telle qu’elle fut pratiquée par une génération entière de joueurs.
À condition d’en accepter les règles, les lenteurs et les archaïsmes, ce Generations: Ultimate s’élève alors en pur artefact de passion, à la fois compilation, célébration et testament.
Le récit disséminé dans la poussière des plaines
Monster Hunter Generations: Ultimate n’a jamais prétendu raconter une histoire. À l’inverse des épisodes récents centrés sur une trame cinématographique ou des enjeux dramatiques unifiés, cet opus assume une approche éclatée, presque muséale, où chaque village, chaque monstre, chaque quête constitue un fragment d’un monde ancien, à explorer pour lui-même.
Pas de grande menace cosmique, pas de héros désigné. Vous incarnez un chasseur anonyme, sans passé ni destinée, qui pose son sac dans l’un des quatre villages disponibles, et accepte les missions qu’on lui propose comme un artisan accepte une commande. C’est à vous de décider où résider, dans quel ordre affronter les quêtes, et avec quels interlocuteurs tisser des liens — autant dire que la narration repose intégralement sur la structure de jeu, jamais sur un scénario dirigé.
Ce minimalisme n’est pas un manque. Il fait écho à l’essence même de Monster Hunter, où chaque traque raconte sa propre histoire : celle de l’apprentissage, de la survie, de la progression silencieuse vers l’excellence. Les personnages qui peuplent les villages sont souvent de simples figures fonctionnelles : le forgeron, l’intendante, le cuisinier. Mais à force de les croiser, de les écouter, de lire leurs remarques anodines, ils finissent par dessiner une ambiance, une mémoire collective, une communauté d’hommes et de femmes qui vivent en équilibre fragile avec la nature sauvage.
On sent là un héritage de la narration par l’environnement, où les textures, les objets, les animations racontent davantage que les dialogues. Le monde est vaste, fragmenté, sans centre ni ligne directrice, mais il respire. Le récit est celui que vous y inscrivez, jour après jour, quête après quête, comme un carnet de chasse qui ne se referme jamais.
Ce choix de ne pas imposer de dramaturgie laisse certains joueurs sur le bord du chemin. L’absence de progression scénaristique formelle, de climax, de personnages emblématiques ou d’ennemis archétypaux peut dérouter. Mais pour celles et ceux qui savent lire entre les lignes, Generations: Ultimate raconte la mémoire d’un genre, celle d’une époque où l’on partait seul, sans boussole ni grand dessein, affronter des colosses dans des environnements taiseux.
Un monde de gestes, plus que de mots.
L’art de la chasse, figé dans l’ambre
Il suffit de quelques minutes pour comprendre que Monster Hunter Generations: Ultimate est une créature d’un autre âge. Son gameplay repose sur des fondations millimétrées, perfectionnées au fil des générations portables, avant que World ne vienne dynamiter la formule. Ici, tout est affaire de timing, de préparation, d’endurance et de mémoire musculaire. Chaque affrontement est un rituel, et chaque victoire, une leçon.
Le bestiaire est son pilier. Avec 132 monstres à traquer, l’opus affiche le plus vaste casting de l’histoire de la licence (hors Frontier Z), déployant un éventail d’attaques, de comportements et de résistances qu’il vous faudra étudier, contourner, dompter. Chacun d’eux exige un apprentissage spécifique. Certains esquivent, d’autres s’enragent, d’autres encore convoquent des phénomènes climatiques. Il n’y a pas d’adversaire « par défaut » : tout est affrontement de haute précision.
L’organisation du jeu privilégie la liberté absolue. Vous choisissez votre village de départ, votre progression, les quêtes que vous souhaitez remplir, les zones que vous explorez. Mais ce choix s’accompagne d’un revers : l’absence de ligne directrice rend parfois la progression déséquilibrée, avec des allers-retours entre quêtes trop faciles ou trop dures selon la zone. Le joueur doit donc auto-réguler sa courbe de difficulté, ce qui peut s’avérer grisant… ou déroutant.
La structure des cartes reste fidèle à l’ancienne école. Les zones sont découpées en segments numérotés, séparés par des temps de chargement. Ce cloisonnement, déjà vieillissant à sa sortie, impose un rythme spécifique : le repli stratégique, la fuite vers une zone sûre, l’anticipation des chemins. La lisibilité des environnements y est exemplaire, et chaque biome, malgré les limites techniques, propose une topographie lisible et cohérente, pensée pour être maîtrisée dans la durée.
Côté mécaniques pures, l’opus multiplie les styles et les arts de chasse. Chaque type d’arme peut être associé à un style de combat unique, du plus acrobatique au plus défensif, permettant une personnalisation profonde. Vous débloquez également des « Arts » spéciaux, sortes de techniques surpuissantes à charger en cours de combat. Le système encourage l’expérimentation, le perfectionnement, la découverte. Il ne s’agit pas de spammer des combos : il s’agit de choisir le bon outil pour le bon monstre au bon moment.
Les chasses sont longues. Certaines peuvent durer plus d’une demi-heure, surtout en solo. Le moindre faux pas se paie en potions, en retours au camp, en frustration. C’est une école de patience, une célébration de la difficulté comme vecteur de tension. On y pose des pièges, on observe les routines, on suit les traces, on anticipe les charges. Ce n’est pas un jeu d’action : c’est un jeu de stratégie organique où chaque mouvement a un poids, chaque esquive un prix, chaque erreur une conséquence.
En multijoueur, tout s’enrichit. La complémentarité des armes, la synergie entre joueurs, la montée en difficulté, les cris dans le salon. Monster Hunter Generations: Ultimate prend alors tout son sens, devenant un rituel collectif, une chasse partagée où les échecs rassemblent autant que les victoires.
C’est un gameplay exigeant, daté, parfois rugueux. Mais dans cette rugosité réside sa beauté. Il ne cherche pas à séduire : il attend que vous soyez à sa hauteur.
Rugosité texturée, résonances anciennes
Sur le plan visuel, Monster Hunter Generations: Ultimate est un rescapé. Issu de la Nintendo 3DS, dont il adapte les fondations sans refonte majeure, il affiche ses limites avec franchise. Textures datées, modèles anguleux, animations rigides : tout ici respire le recyclage technique. Les environnements, bien que variés, sont figés dans une esthétique utilitaire. Chaque zone semble tirée d’une époque où le détail importait moins que la lisibilité.
Et pourtant, malgré sa pauvreté graphique relative, le jeu dégage une ambiance unique. Cela tient à sa direction artistique, qui multiplie les styles — du volcan en éruption aux forêts oniriques, des déserts arides aux cavernes marines —, mais aussi à la clarté de ses silhouettes, au soin apporté aux armures, à la lisibilité de ses monstres. Le réalisme est secondaire. Ce qui prime, c’est l’iconicité, la capacité d’un design à imprimer la rétine. En cela, l’opus réussit encore à captiver.
Sur Switch, le passage à la haute définition apporte un minimum de netteté, mais aucune retouche majeure n’a été effectuée. Le jeu reste verrouillé à 30 FPS, souffre de légers ralentissements en multi local, et les textures des arrière-plans trahissent à chaque instant leur origine portable. Les effets de lumière sont réduits à leur plus simple expression, les transitions abruptes, les particules rares. Mais là encore, l’habitude reprend le dessus : le regard apprend à voir au-delà de la technique.
Côté bande-son, en revanche, Generations: Ultimate frappe fort. Chaque village possède son propre thème musical, souvent repris d’anciens épisodes dans des arrangements subtils. Les compositions de base de la saga sont là, retravaillées pour mieux accompagner cette compilation vivante. Des chœurs épiques résonnent dans les arènes de boss, tandis que des notes plus intimistes accompagnent les préparatifs au camp.
Là où l’image s’efface, le son raconte. Chaque cri de monstre est distinct, chaque choc d’arme a son timbre, chaque rugissement évoque une menace. La spatialisation reste basique, mais les bruitages sont précis, l’ambiance sonore efficace. Les voix des PNJ, minimalistes, viennent ponctuer les transitions sans jamais s’imposer.
Il serait vain de juger Monster Hunter Generations: Ultimate selon les standards actuels de la mise en scène. Ce qu’il propose est une mémoire visuelle et sonore, un témoignage d’une saga qui se construisait à la force des griffes et des cornes, avant l’avènement des caméras scriptées et des panoramas interactifs.
Dans son dépouillement graphique, il y a quelque chose d’authentique. Un appel brut aux souvenirs.
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