Il y a des jeux qui ne font pas de bruit. Pas de bande-annonce tapageuse, pas de twist narratif monté en épingle, pas de révolution mécanique. Mondealy, sorti sur Nintendo Switch en août 2023, appartient à cette famille discrète. Celle des jeux qui s’ouvrent comme un carnet intime oublié sous un banc. On y joue comme on entre dans une ruelle déserte : sans trop savoir pourquoi, mais en espérant y trouver un raccourci vers ailleurs.
Développé par Denis Haidurov, jeune créateur russe aux ambitions feutrées, Mondealy raconte l’histoire d’un adolescent ordinaire qui trébuche — littéralement — sur l’existence d’un monde caché sous sa ville natale. Un royaume souterrain, Dargratt, peuplé de créatures humaines et hybrides, où les conversations remplacent les combats, et où chaque rencontre semble sortir d’un rêve à demi oublié.
Pas de score, pas d’XP, pas de menace. Seulement des rues étranges, des palais silencieux, et des habitants qui vous parlent comme s’ils vous connaissaient déjà. Un jeu qui refuse l’urgence, qui vous invite à rester, à écouter, à perdre du temps.
Mais dans cette proposition de douceur pixelisée, Mondealy parvient-il à éviter l’écueil du vide ? Est-ce une œuvre sincère, ou un simple exercice de style mignon destiné à se faire oublier aussi paisiblement qu’il est venu ?
Ceux qui vivent en dessous parlent plus doucement
Dans Mondealy, vous incarnez Michael, adolescent ordinaire au destin anodin, dont la seule particularité est d’avoir été au mauvais endroit au bon moment — ou peut-être l’inverse. Une promenade nocturne, une barrière franchie, une trappe oubliée… et soudain, la chute. Pas vers l’enfer, ni vers un monde mécanique ou magique, mais vers Dargratt : un royaume souterrain suspendu entre rêverie et quotidienneté.
Là-bas, rien ne menace votre vie. Aucun monstre, aucune catastrophe imminente. Seulement des gens, des figures hybrides, mi-humaines mi-autres, qui vivent sous terre comme d’autres vivent dans les marges. Vous y rencontrez la princesse Aethra, douce, étrange, dont le regard semble trop ancien pour son visage ; ses amis, habitants d’un monde lent, où chaque mot pèse plus qu’un combat.
Les personnages de Mondealy ne sont pas des archétypes. Ils sont des silhouettes bienveillantes, maladroites, fatiguées parfois, mais toujours justes. Chacun d’eux semble traîner un passé qu’il ne veut pas expliquer, une solitude qu’il n’ose pas nommer. Vous n’êtes pas là pour les sauver, ni pour les juger. Juste pour leur parler. Et peut-être les écouter.
Le jeu construit sa narration par l’errance et la conversation, à la manière des contes silencieux. Il ne s’agit pas d’aller quelque part. Il s’agit de comprendre pourquoi on y reste. Les dialogues, souvent légers mais jamais creux, tissent une ambiance doucement mélancolique, où même les moments absurdes ont un fond de gravité. Comme si tous les personnages savaient qu’ils sont prisonniers d’un monde minuscule, et qu’il leur reste peu de temps à offrir.
Il ne se passe presque rien dans Mondealy. Et pourtant, tout est là : l’envie de partir, la peur d’oublier, le besoin d’être vu. L’histoire n’est pas celle de Michael. C’est celle d’un endroit trop discret pour exister, et qui ne demande rien d’autre que d’être visité.
Flâner pour comprendre, écouter pour avancer
Le gameplay de Mondealy est aussi discret que son monde. Oubliez les quêtes secondaires à tiroirs, les arbres de compétences et les inventaires à trier. Ici, vous marchez, vous parlez, vous observez. Parfois vous offrez un objet, parfois vous suivez quelqu’un. Et souvent, vous vous arrêtez pour ne rien faire, parce que le jeu ne vous pousse jamais à aller plus vite.
C’est une aventure en 2D à défilement horizontal, mais qui refuse les codes du platformer ou du jeu de puzzle. Chaque écran est une pièce de théâtre figée, que l’on traverse comme une page tournée trop lentement. Le level design est simple, presque naïf : rues souterraines, palais de pierre, tavernes chaleureuses, petits intérieurs un peu vides.
Tout semble tracé à la main avec une bienveillance artisanale. Rien n’est là pour vous défier. Tout est là pour vous inviter à rester.
Les mécaniques sont réduites à l’essentiel. Vous interagissez, vous suivez le fil du jour, vous discutez avec les habitants. Les objectifs ne sont jamais imposés : ils apparaissent à mesure que les conversations se déroulent. Parfois, une interaction déclenche un petit événement. Parfois, elle ne mène à rien. Et c’est très bien ainsi.
Ce choix assumé de minimalisme pousse le joueur à adopter un rythme contemplatif. Vous n’êtes pas là pour progresser, mais pour exister, temporairement, dans un espace doux et étrange. Le design du jeu ne récompense pas la performance, mais la curiosité. Il vous laisse prendre des détours inutiles, parler à des personnages secondaires qui n’ont rien à offrir d’autre qu’un bout de vie.
Ce fonctionnement a ses limites. Les mécaniques sont peu nombreuses, les allers-retours fréquents, et certains dialogues parfois trop légers pour justifier leur longueur. Mais dans un monde de jeux surchargés, Mondealy parvient à transformer cette lenteur en force, à faire de l’attente une proposition ludique.
C’est un gameplay sans score, sans victoire, sans défaite. C’est l’anti-jeu classique, un petit territoire de silence jouable, qui vous demande seulement une chose : ralentir.
Des pixels pleins de soupirs, des notes au bord du silence
Visuellement, Mondealy respire la retenue. Son pixel art ne cherche ni la performance, ni la nostalgie forcée. Il propose quelque chose de plus rare : un espace doux, pastel, presque fragile, fait de décors simples mais chaleureux, de personnages aux animations légères, et de couleurs tamisées comme une ville plongée dans l’heure bleue.
Chaque zone a son ambiance propre, même si les palettes restent proches : ocre pour les ruelles, bleu-gris pour les cavernes, verts fanés pour les intérieurs végétalisés. Le design des personnages est modeste, mais expressif. Deux ou trois frames d’animation suffisent à faire passer un haussement d’épaules, une gêne, un sourire triste.
L’absence de mouvement excessif donne à l’ensemble une atmosphère presque onirique, comme si le monde attendait que vous lui donniez la permission d’exister. Rien ne vous agresse. Rien ne vous presse. Vous n’observez pas un décor. Vous êtes accueilli dans une pièce.
Et puis il y a la musique.
La bande-son de Mondealy est l’un de ses atouts les plus discrets mais les plus puissants. Composée de morceaux acoustiques et synthétiques minimalistes, elle accompagne les pas de Michael sans jamais prendre le dessus. Des notes de piano suspendues, des nappes étirées, parfois quelques accords de guitare isolés. C’est une musique qui accepte le silence. Elle ne comble pas le vide, elle l’encadre. Elle le valorise.
Certains thèmes reviennent à des moments-clés — non pas pour souligner un drame, mais pour ancrer une émotion fugace. Le souvenir d’une rencontre. Le frisson d’une rue inconnue. Le calme avant un choix.
Il n’y a pas de doublage. Pas de bruitage marquant. Juste des sons de pas, de portes, et cette ambiance générale de ville endormie que l’on découvre comme une confidence.
Dans un monde où tout est de plus en plus bruyant, Mondealy choisit la modestie absolue. Et c’est précisément dans ce choix que se trouve sa force visuelle et sonore : il ne veut pas vous impressionner. Il veut seulement vous accompagner.
Ni bonus, ni détour — juste le monde tel qu’il est
Mondealy ne cherche pas à multiplier les fonctionnalités. Il ne promet ni rejouabilité infinie, ni contenus additionnels, ni menus cachés. Il est ce qu’il montre dès la première minute : une histoire simple, une ville secrète, quelques personnages à découvrir. Rien de plus. Et surtout, rien de moins.
Le jeu se termine en trois à cinq heures, selon votre rythme. Il n’y a pas de quêtes secondaires, pas de carte à explorer librement, pas de collectibles à traquer. Le temps passé dans Dargratt est entièrement conditionné par votre envie de parler, de lire, d’errer. Si vous foncez vers la fin, elle arrive vite. Si vous prenez le temps, vous pouvez vous y perdre un peu.
Sur Nintendo Switch, le portage est stable et fluide. Aucun ralentissement, aucun bug bloquant. L’expérience est agréable en portable comme en mode docké. L’interface est limpide, même si l’absence de journal de quête ou de carte pourra dérouter les joueurs les plus routiniers. Mais Mondealy n’est pas fait pour être optimisé. Il est fait pour être traversé à l’aveugle, avec la curiosité comme seul guide.
Le jeu est disponible en anglais, et ne propose aucune traduction française à ce jour. Un frein évident pour certains, d’autant que si l’anglais utilisé est accessible, certains dialogues jouent sur des nuances émotionnelles ou des références un peu floues qui gagneraient à être localisées avec finesse.
Pas d’accessibilité notable non plus : pas de taille de police ajustable, pas de filtre, pas de colorblind mode. Mondealy est un projet artisanal, pensé avec le cœur, mais sans doute sans les ressources pour étendre son confort de lecture au-delà du strict minimum.
Il ne propose pas de galerie, pas de mode bonus, pas de système de sauvegarde avancé. C’est un aller simple, linéaire, sans détour. Et cela fait partie de sa sincérité : Mondealy ne cherche pas à vous garder captif. Il veut juste que vous le rencontriez.
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