Le titre est long comme un couloir de donjon, l’intention limpide comme une dalle piégée : Mon-Yu: Defeat Monsters And Gain Strong Weapons And Armor. You May Be Defeated, But Don’t Give Up. Become Stronger. I Believe There Will Be A Day When The Heroes Defeat The Devil King s’inscrit dans une tradition aussi noble que rigide, celle des Dungeon RPG japonais à la première personne. Publié sur Nintendo Switch le 29 septembre 2023 par Numskull Games, ce nouvel opus signé Experience Inc. s’annonce comme un retour aux sources pour un studio passé maître dans l’art de faire souffrir ses joueurs avec élégance.
Depuis Demon Gaze en 2013, l’équipe nippone a tissé un lien étroit avec les passionnés de labyrinthes impitoyables, de mécaniques millimétrées et de récits cryptiques. Operation Abyss, Undernauts, Stranger of Sword City… tous ces titres portaient une signature forte, tant par leur style que par leur ambition. Avec Mon-Yu, le studio semble pourtant prendre une tangente inattendue, mêlant austérité mécanique, charte graphique chibi, et minimalisme narratif assumé.
À la croisée de l’hommage maladroit et du recyclage précipité, cette nouvelle production entend séduire les puristes du genre tout en proposant une formule plus légère, plus accessible, presque familière. Mais dans un paysage vidéoludique où les Dungeon Crawler rivalisent d’ingéniosité pour renouveler leur formule, Mon-Yu parvient-il à retrouver la magie de ses aînés ? Ou se perd-il dans les couloirs sans fin de sa propre paresse créative ?
Le silence du roi démon, la vacuité du conte
Au commencement, une tour. À son sommet, sept rois démoniaques. En bas, une reine féerique nommée Eternia, qui charge une bande d’aventuriers de gravir les étages de Yggdran pour rétablir la paix au sein du royaume de Tir na Balc. Voilà la toile de fond de Mon-Yu, une quête aussi épurée que fonctionnelle, déroulée sans détour ni profondeur. Pas de rebondissements, pas de tensions dramatiques, ni même d’arrière-plan mythologique exploité au-delà de quelques clins d’œil. L’inspiration celtique, pourtant porteuse d’un imaginaire riche, se résume à quelques noms épars, sans développement ni ancrage.
Le récit se contente d’exister pour justifier l’ascension. Les dialogues sont rares, succincts, purement utilitaires, et ne s’autorisent aucun détour narratif. Le scénario ne s’épaissit jamais, même au fil des étages franchis, et ne tente à aucun moment de surprendre ou d’émouvoir. À chaque étage, une mission. À chaque mission, un ennemi. Le reste est silence.
Pour donner corps à cet univers, Mon-Yu introduit deux personnages non jouables : un cochon bedonnant à l’air benêt et une fée au sourire figé, qui remplissent à eux seuls l’intégralité des fonctions de narration, de tutoriel et de commerce. Aucun autre visage, aucun autre acteur, ne vient enrichir le monde en dehors des ennemis rencontrés dans les donjons. L’univers reste figé, comme gelé dans une interface de menu.
Ce choix de minimalisme narratif ne surprend pas, venant d’un studio qui a souvent privilégié l’ambiance au texte. Mais là où Stranger of Sword City ou Undernauts posaient un univers dense avec peu de mots, Mon-Yu renonce simplement à raconter. Il propose un squelette d’intrigue, sans chair ni souffle.
Le style graphique chibi appliqué aux personnages vient adoucir ce dépouillement, en apportant une touche de légèreté presque burlesque. Pourtant, cette esthétique tranche radicalement avec la sobriété visuelle des donjons, créant une dissonance étrange entre le monde extérieur et les profondeurs à explorer. Le charme naïf des personnages n’équilibre jamais l’austérité narrative, et ne suffit pas à bâtir un univers cohérent.
Mon-Yu assume un choix radical : celui de la simplicité extrême, où la narration tient en deux phrases et les personnages en deux silhouettes. Mais ce dépouillement, loin d’ouvrir l’imaginaire, réduit l’aventure à un enchaînement de combats sans incarnation. Une descente dans les entrailles d’un monde qui a oublié de parler.
Couloirs sans fin, commandes sans élan
Mon-Yu commence comme tant d’autres Dungeon RPG japonais : par la création d’une équipe de six héros, disposés sur deux rangées, selon des archétypes classiques. Chevalier, moine, voleur, magicien… les classes n’affichent aucune audace. Le système de personnalisation, fonctionnel mais daté, reproduit des schémas bien connus sans jamais les interroger, ni même les affiner. Ce n’est pas un hommage, mais une répétition.
L’exploration repose sur une structure en grille rigide, dans des couloirs à angles droits où chaque déplacement fait résonner la même animation saccadée. Le donjon s’ouvre étage par étage, et propose un level design austère, sans embranchements notables, sans puzzles, sans embuscades, sans interaction avec l’environnement. Aucune énigme, aucune surprise, uniquement des crânes colorés à éviter ou affronter. Les verts patrouillent, les oranges restent figés, les crânes cornus annoncent les boss. Tout est visible, tout est prévu.
Les combats au tour par tour reprennent le schéma le plus traditionnel du genre : commandes d’attaque, de défense, de compétence et d’objet, sans la moindre variation. Les premières heures se résument à matraquer la commande « Attaque », faute de compétences disponibles. Il faut attendre de longues phases de grinding pour que les premiers sorts ou techniques fassent leur apparition. Et même alors, les choix stratégiques restent limités par un système de progression très lent, où les gains d’expérience s’obtiennent au compte-gouttes.
Un système d’évaluation vient tenter d’insuffler un peu de dynamique : les batailles sont notées selon la vitesse et l’efficacité, et peuvent débloquer des équipements rares. Mais cette mécanique reste marginale, et ne compense jamais la lourdeur générale des affrontements, ni leur redondance. De plus, le mappage des commandes, profondément contre-intuitif, oblige à jongler entre les boutons pour accélérer les tours, sans jamais fluidifier le processus. Le jeu ralentit là où il devrait respirer.
L’équilibrage, enfin, repose presque exclusivement sur la difficulté brute. Chaque ennemi agit comme un mur de points de vie, chaque boss réclame des dizaines de minutes de micro-gestion. Le plaisir de la découverte disparaît rapidement sous le poids d’un grind constant, appuyé par une progression artificiellement ralentie. Les biomes, peu distincts dans leur structure, n’offrent aucun moment marquant ni variation de rythme. Même les trésors semblent oubliables, remplaçables, génériques.
À aucun moment Mon-Yu ne semble vouloir innover, ni même raviver la flamme de ses glorieux prédécesseurs. Il avance mécaniquement, couche après couche, étage après étage, dans un monotone exercice de style, vidé de tout relief. Une mécanique bien huilée, mais laissée tourner seule, sans dessein, sans désir.
Deux visages, un même oubli
Dans la ville de Einheim, tout semble paisible, coloré, presque enfantin. Les menus flottent dans un décor de fantasy sucrée, et les personnages s’affichent dans un style chibi exagéré, aux proportions miniatures et aux expressions figées. Ce choix graphique inattendu pour une production Experience Inc. offre d’abord un décalage rafraîchissant, comme une tentative d’ouvrir le genre à un public plus large. Le rendu est propre, lisible, presque charmant.
Mais cette façade ne dure qu’un instant. Car dès l’entrée dans le premier donjon, le contraste visuel devient un choc sans transition. Les environnements troquent leur légèreté pour une austérité extrême, typique des Dungeon Crawler classiques. Couloirs ternes, murs aux textures floues, effets absents : l’exploration s’effectue dans un vide esthétique désarmant, où chaque pas accentue l’impression d’un moteur abandonné. Cette dissonance entre le hub et le labyrinthe ne semble jamais assumée, comme si deux jeux s’étaient entrechoqués sans fusionner.
L’animation, déjà minimale, souffre d’un défilement saccadé, particulièrement perceptible en mode portable. Les transitions manquent de fluidité, les effets visuels sont réduits au strict minimum, et les environnements, malgré quelques variations de biomes, ne parviennent jamais à imprimer leur identité. Le level design fonctionnel n’est accompagné d’aucun habillage immersif : aucune mise en lumière, aucune architecture marquante, aucune tentative de créer une atmosphère.
Heureusement, quelques illustrations fixes viennent relever l’ensemble. Les artworks de personnages, affichés lors de certaines actions ou transitions, conservent cette élégance graphique caractéristique du studio, avec des lignes claires, des costumes détaillés et une vraie maîtrise du character design. Ce sont les seules respirations visuelles d’un jeu qui semble lutter contre lui-même.
La bande-son, quant à elle, suit un chemin tout aussi contrasté. Le thème principal, au sein de la ville, propose une mélodie légère et sans prétention, presque répétitive mais pas désagréable. Dans les donjons, la musique s’efface, remplaçant l’épique par l’éthéré, le mélodique par le fonctionnel. Aucun morceau ne marque l’esprit, aucun ne s’impose, et tous se dissolvent dans une ambiance de fond inoffensive. Les effets sonores, eux aussi, manquent d’impact : les coups n’ont ni poids, ni variation, ni résonance.
Mon-Yu juxtapose deux styles qui refusent de cohabiter. Une surface mignonne, presque parodique, masque mal la sécheresse visuelle d’un système qui ne se renouvelle jamais. L’habillage ne sublime pas la structure, il la souligne. Et le silence des musiques, aussi propre soit-il, accompagne une aventure qui préfère la répétition au frisson.
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