Sorti le 23 mai 2023 sur Xbox Series, Miasma Chronicles est la dernière création du studio suédois The Bearded Ladies, déjà connu pour Mutant Year Zero: Road to Eden et, de manière plus confidentielle, pour quelques titres passés sous silence. Si l’on retient surtout de leurs productions précédentes une affection certaine pour la tactique post-apocalyptique, leur nouveau projet confirme cette orientation avec une ambition renouvelée.
Ici, la dystopie n’est pas un prétexte. Elle devient un souffle, une atmosphère, un socle narratif sur lequel vient se greffer une proposition tactique dense et affirmée. Miasma Chronicles vous invite à arpenter les ruines d’une Amérique disloquée, gangrenée par un phénomène mystérieux et mortifère, le Miasme, et à incarner Elvis, un jeune mécano à la recherche de sa mère et d’une vérité enfouie au-delà des brumes toxiques.
Mais derrière ce récit de retrouvailles contrariées se dessine un paradoxe troublant : le jeu semble vouloir s’éloigner de Mutant Year Zero, tout en en reprenant les fondations esthétiques et structurelles. À mi-chemin entre héritage et émancipation, Miasma Chronicles trace une route incertaine, pleine de promesses, mais jamais totalement affranchie de son ombre tutélaire.
Les silences du passé et les échos du Miasme
Dans les terres lézardées d’une Amérique rongée par les cendres, le monde semble s’être figé dans une impasse technologique et organique. Vous incarnez Elvis, jeune mécanicien au regard franc et à la main gantée d’un artefact mystérieux, légué par sa mère disparue. Ce gant, relique de science oubliée, détient le pouvoir de manipuler le Miasme, cette substance envahissante qui scinde le pays, dévaste les territoires et ravage les corps.
L’histoire de Miasma Chronicles s’écrit dans cette fracture. Le récit ne s’embarrasse pas de fresques historiques grandiloquentes ni d’une mythologie trop pesante : il tisse une quête personnelle, directe et charnue, portée par une volonté d’introspection plus que de révolution. Elvis ne cherche pas à sauver le monde ; il cherche sa mère, et peut-être un sens à ce qui subsiste de l’humanité.
Le chemin est balisé par une galerie de compagnons aux profils tranchés, chacun portant sa propre cicatrice, son propre éclat. Parmi eux, Diggs, frère de substitution au gabarit massif, incarne une force brute tempérée par une tendresse à peine voilée. D’autres figures viennent s’ajouter à ce petit théâtre ambulant, composant un groupe aussi hétéroclite que crédible, où les dialogues — souvent ciselés — servent autant la caractérisation que l’humour noir qui innerve l’univers.
L’ambiance dystopique, familière à ceux qui ont parcouru Mutant Year Zero, trouve ici un prolongement. Même désolation, même luxuriance toxique, même amertume diffuse. Pourtant, Miasma Chronicles ne cherche plus l’adaptation. Il s’approprie son décor, forge son propre univers, quitte à frôler parfois le mimétisme. Cette proximité formelle avec leur œuvre précédente brouille légèrement les lignes, mais le récit, dans son écriture et sa progression, affirme une voix plus posée, plus structurée.
Le monde est balafré, mais les enjeux sont intimes. Ce qui compte n’est pas l’ampleur de la catastrophe, mais la relation qu’Elvis entretient avec ses fragments de mémoire, avec les ruines vivantes qu’il croise, avec l’héritage silencieux de ceux qui ont tenté de contenir le Miasme avant lui. Il ne s’agit pas ici d’un héros providentiel, mais d’un survivant guidé par une obsession, dans un monde où chaque pas soulève un souvenir.
Dans les rouages du chaos, l’illusion d’un contrôle
Le monde de Miasma Chronicles ne se contente pas d’exister : il attend d’être contourné, exploré, absorbé par une progression fluide, jamais interrompue par la lourdeur d’un système. Ici, la tactique ne repose pas sur l’innovation formelle, mais sur une exécution affûtée, pensée pour ne jamais ralentir le plaisir d’avancer. Le studio suédois affine ses fondations, hérite de Mutant Year Zero ses grands principes, mais répare ses angles morts.
Vous contrôlez un groupe défini de personnages, chacun doté de compétences précises et d’une identité forte. Aucune création de héros, aucune perte définitive : vous naviguez dans un cadre strict, mais jamais étriqué. Ce choix structurel sert un objectif clair : mettre l’accent sur le rythme et la complémentarité plutôt que sur la personnalisation infinie. Chaque nouveau membre enrichit votre arsenal de possibilités, sans jamais briser l’équilibre d’un groupe cohérent.
La structure du jeu repose sur une alternance maîtrisée entre exploration libre et affrontements tactiques. Les zones ouvertes, fragmentées mais généreuses, regorgent de recoins à fouiller, de quêtes à embrasser, d’équipements à dénicher. Ce monde post-effondrement conserve une respiration organique : les ruines sont lisibles, les parcours intelligemment balisés, et les détours toujours récompensés par une ressource, un texte caché ou un éclat de narration environnementale.
Lorsque le combat s’impose, le jeu embrasse les mécaniques classiques du RPG tactique occidental. Couverts, lignes de tir, positionnements latéraux, zones de vigilance : tout est là, fluide, limpide, éprouvé. Et si la profondeur stratégique ne bouleverse pas les codes du genre, la nervosité des affrontements, leur lisibilité, et la réactivité du système suffisent à maintenir l’attention. Chaque altercation est brève mais signifiante, jamais diluée dans une surabondance artificielle.
La difficulté, volontairement modérée, encourage la prise d’initiatives : les ennemis tombent rapidement si vous les abordez avec méthode, et la marge d’erreur permet l’expérimentation. Ce positionnement offre une accessibilité rare dans le genre, sans sacrifier la logique tactique. Les joueurs aguerris y verront une opportunité de jouer à la perfection, d’enchaîner les éliminations sans la moindre égratignure, dans un ballet de décisions chirurgicales.
En parallèle, le gantelet d’Elvis ajoute une couche mécanique précieuse. Grâce à lui, vous manipulez le Miasme et ses effets dévastateurs. Ces capacités spéciales, à débloquer et à moduler, viennent enrichir les possibilités d’approche et apportent une signature propre à chaque affrontement. Ce gant, plus qu’un outil, devient un symbole : celui d’une puissance volée au désastre, d’une technologie oubliée qui modifie les règles établies.
The Bearded Ladies livre ainsi un gameplay solide, précis, jamais étouffant. Miasma Chronicles ne cherche pas à déstabiliser, mais à maîtriser. Et dans cette rigueur élégante, il trouve sa force : un jeu où la tactique n’écrase pas le récit, où chaque carte devient un terrain de chasse sans pour autant écraser la narration.
Ruines irradiées, lumière vivante
La désolation n’a jamais semblé aussi riche. Miasma Chronicles déploie un univers visuel saisissant, où chaque recoin, chaque silhouette à demi effacée dans la poussière, participe à l’ancrage d’un monde brisé mais encore vibrant. La direction artistique trouve son équilibre entre réalisme rouillé et flamboyance toxique, multipliant les contrastes visuels pour souligner l’ambivalence de cette Amérique coupée en deux.
Les environnements, variés et généreusement texturés, tracent une cartographie précise du désastre. Ruines industrielles, villes abandonnées, marécages grouillants, abris souterrains rongés par l’humidité : chaque lieu porte les stigmates d’un monde fracturé, mais chaque décor raconte aussi une histoire. La lumière, tamisée ou éclatante selon les zones, joue un rôle essentiel dans la mise en scène. Elle découpe les formes, souligne les perspectives, creuse les angles morts pour y faire naître le doute. Le Miasme, entité diffuse et mouvante, est magnifiquement représenté : ses volutes, ses couleurs étranges, sa présence sourde s’imposent comme un personnage à part entière.
Les modèles de personnages, sans chercher la prouesse technique, bénéficient d’un vrai souci de caractérisation. Les postures, les regards, les attitudes traduisent des personnalités nuancées. Les effets de particules, discrets mais efficaces, accompagnent les utilisations du gant avec des éclats colorés et organiques qui renforcent l’étrangeté de cette technologie perdue.
Côté son, Miasma Chronicles respire avec intelligence. La bande-son, majoritairement atmosphérique, pose une ambiance sans la surcharger. Les nappes synthétiques, les percussions étouffées, les motifs dissonants se marient aux lieux traversés, soulignant l’étrangeté d’un monde vidé de ses repères. La musique ne se contente pas d’accompagner : elle murmure, elle pulse, elle laisse des traces.
Les doublages anglais, bien interprétés, confèrent une vraie crédibilité aux protagonistes. Les dialogues sont bien rythmés, les voix distinctes et incarnées. Les effets sonores, eux, participent à l’immersion : tirs sourds, impacts métalliques, bruissements de feuilles mortes sous les pas, tout contribue à faire exister le décor. Même les silences sont utilisés avec mesure, renforçant la solitude ou la tension des instants-clés.
Enfin, les performances sur Xbox Series s’avèrent satisfaisantes dans l’ensemble, à l’exception de quelques bugs visuels ponctuels et de légers scintillements sur certaines textures. Les temps de chargement, eux, se montrent inhabituellement longs, rompant parfois le rythme de l’exploration avec des attentes prolongées entre deux zones.
Système brisé, monde fluide, interface bancale
En surface, Miasma Chronicles déroule une aventure linéaire au rythme volontairement fluide, dénuée d’embranchements complexes ou de mécaniques annexes superflues. Mais sous cette apparente simplicité, plusieurs systèmes discrets viennent affiner l’expérience. L’exploration, jamais corsetée, permet de dénicher des ressources, d’améliorer ses armes, ou de récupérer des objets utiles à la progression — sans jamais parasiter la narration.
Les éléments de RPG sont modestes mais bien intégrés. Chaque personnage dispose de plusieurs arbres de compétences orientés vers la survie, le combat ou l’utilisation du gant. Cette montée en puissance progressive épouse le rythme de l’histoire : à mesure qu’Elvis s’approche de la vérité, ses pouvoirs gagnent en impact. Ce sentiment de progression reste constant, fluide, organique.
L’économie du jeu repose sur un système d’équipement et de munitions bien dosé, sans excès de micro-gestion. Les armes peuvent être modifiées, renforcées, optimisées pour des effets spécifiques : dégâts de zone, tirs silencieux, effets spéciaux liés au Miasme. Mais le système évite la surcharge, et conserve toujours un axe clair : l’efficacité au service de l’action.
Côté interface, quelques aspérités viennent ternir l’élégance générale. Les textes affichés sont particulièrement petits, souvent en blanc sur fond noir, ce qui fatigue la lecture et nuit à la lisibilité, surtout lors de longues sessions. Ce choix esthétique dessert le confort, alors que l’ensemble des menus, par ailleurs, bénéficie d’une organisation limpide.
Les temps de chargement, enfin, tranchent avec les standards attendus sur Xbox Series. Longs, fréquents, parfois dépassant les deux minutes entre deux zones, ils ralentissent l’élan d’une progression autrement très bien rythmée. Cet accroc technique, en contraste avec la fluidité des combats et la nervosité de l’exploration, fragilise par endroits l’engagement du joueur.
Aucun mode multijoueur n’est prévu, et l’aventure reste strictement solo. Ce choix renforce la cohérence du ton narratif et permet de conserver un équilibre précis dans le level design et la structure des missions. L’expérience est pensée pour être vécue dans l’intimité, au cœur d’un monde condamné à disparaître.
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