Deux décennies. Vingt longues années durant lesquelles le trône des Mechas est resté vacant, orphelin de son souverain. MechWarrior, série emblématique de la simulation guerrière mécanisée, fut jadis le porte-étendard d’une époque où le bruit des moteurs valait bien celui des épées. Depuis la disparition de FASA Studio, le destin de la franchise est resté suspendu, captif des tractations, des rachats et des promesses silencieuses. En décembre 2019, l’attente s’est muée en réalité : MechWarrior 5: Mercenaries débarquait enfin sur Xbox Series, porté par Piranha Games, studio canadien plus connu pour ses tâtonnements que pour ses coups d’éclat.
Avec son ambiance de guerre interstellaire, ses dizaines de modèles de Mechs pilotables et son univers baigné de conflits de factions, MechWarrior 5 avait tout pour incarner le grand retour d’une légende. Surtout sur Xbox, où les licences militaro-futuristes ne manquent pas d’alliés. Le nom, la promesse, l’héritage… tout appelait au respect. Mais qu’advient-il d’un géant mécanique lorsque ses articulations grincent, que ses circuits vacillent et que son cœur ne pulse plus qu’à moitié ? Faut-il saluer l’effort ou constater l’obsolescence ? Le champ de bataille s’ouvre, la carlingue vibre — mais le moteur suit-il encore ?
Lignées brisées et héritage en miettes
Dans MechWarrior 5: Mercenaries, la guerre ne s’habille ni de drapeaux ni de convictions : elle se vend, elle s’achète, elle se loue à l’heure. Vous incarnez un jeune commandant de lance, héritier d’un père assassiné et d’une compagnie de mercenaires brisée, contraint de bâtir sa légende non à travers une quête sacrée, mais à coups de contrats, de réparations, et de trahisons nécessaires. L’histoire, ici, ne s’écrit pas sur les murs d’un temple, mais dans les hangars d’acier et les salles de briefing, entre deux livraisons de pièces détachées.
Le scénario central repose sur une trame de vengeance familiale, fil conducteur discret dans une galaxie éclatée en centaines de systèmes. Loin des grandes fresques narratives, il s’articule autour de missions ponctuelles qui servent davantage à structurer la progression qu’à provoquer l’émotion. Les personnages secondaires — pilotes, mécènes, officiers — remplissent leur fonction avec sobriété, sans chercher à marquer l’histoire du jeu vidéo. Le récit ne brille ni par sa densité ni par sa complexité, mais s’insère dans une logique de simulation plus que de dramaturgie.
C’est en réalité dans l’économie narrative du système de factions que MechWarrior 5 trouve son souffle. Chaque mission, chaque contrat signé influence votre réputation auprès de grandes puissances interstellaires. Les relations se modifient, les prix fluctuent, les alliances s’érodent. Vous ne combattez pas pour une cause, mais pour le poids de votre nom, pour la rentabilité de vos expéditions, pour la survie de votre unité. C’est là que l’on mesure l’ampleur du monde : non dans les cinématiques, mais dans les lignes froides du tableau de bord.
L’univers du jeu, hérité de la licence BattleTech, est dense, structuré, mais trop souvent réduit à des transmissions brèves et à des résumés fonctionnels. Les planètes traversées, pourtant nombreuses, conservent un visage impersonnel, et les dialogues in-game tendent à survoler des enjeux pourtant riches. Ce qui devait être un théâtre de guerre moralement trouble devient un vaste champ d’opérations, plus administratif que dramatique.
MechWarrior 5 ne cherche pas à raconter une épopée, mais à vous plonger dans le quotidien rugueux d’un capitaine de guerre mécanisée. L’intrigue s’efface derrière les missions, les rituels de maintenance, les alliances fluctuantes. C’est une vie de décisions calculées, d’escales coûteuses, de pertes à compenser. L’émotion ne jaillit pas du texte : elle émerge lentement, dans la mort d’un pilote vétéran, dans le regard d’un Mech ruiné mais victorieux, dans le silence qui suit une mission trop chère payée.
Acier pesant, cadence brisée, et mécaniques rouillées
MechWarrior 5: Mercenaries repose sur un socle ludique hérité d’une époque où la simulation de Mechs exigeait une main ferme et des nerfs d’acier. Chaque mission vous propulse aux commandes d’un titan mécanique de plusieurs dizaines de tonnes, dont les jambes et le torse obéissent à des commandes distinctes. Le stick gauche oriente le châssis, le droit gère la tourelle. L’ensemble évoque plus la navigation d’un navire de guerre que le pilotage d’un véhicule futuriste — un choix assumé, mais dont l’inertie constitue autant un marqueur identitaire qu’une barrière à la fluidité.
Chaque affrontement se déroule dans un environnement semi-ouvert, où les ennemis surgissent par vagues, ciblent vos structures à défendre, ou tentent de vous piéger dans un ballet d’artillerie nourrie. Vos Mechs disposent d’armes thermiques, balistiques ou à énergie, montées sur des emplacements modulables, à répartir selon les contraintes de poids, de dissipation thermique et de consommation énergétique. Le système de gestion d’arsenal, d’apparence complexe, devient rapidement le cœur stratégique du jeu. Chaque tir doit être pesé, chaque surcharge évitée. La précision compte autant que la cadence.
Le terrain, quant à lui, obéit à une topographie artificielle. Les bâtiments offrent peu de verticalité exploitable, les cartes s’étendent sans offrir de relief significatif. On avance, on rase, on s’exfiltre. La diversité des objectifs reste contenue : prise de position, escorte, élimination ciblée. Le monde semble vaste, mais ses missions tournent inlassablement autour d’une boucle de gameplay figée. À cette logique répétitive s’ajoute une gestion logistique aussi stricte que chronophage : réparer ses Mechs, payer ses pilotes, gérer l’usure et les pièces détachées. Le moindre échec coûte cher. La moindre victoire exige des heures de maintenance.
Le titre propose un système de recrutement, de formation et de commandement d’escouade. Chaque pilote dispose de ses propres statistiques et doit être affecté à un Mech, entraîné, équipé. Mais en mission, ces compagnons souffrent d’une intelligence artificielle inconsistante. Certains foncent vers l’ennemi en ligne droite. D’autres restent bloqués derrière une colline. L’asymétrie entre la richesse de la préparation et la faiblesse du contrôle en combat finit par briser l’illusion du commandement tactique.
Sur Xbox Series, les commandes à la manette révèlent une ergonomie imparfaite. Les interactions contextuelles manquent de précision, les menus s’empilent sans hiérarchie claire, et les actions de combat reposent sur une logique pensée pour clavier-souris ou HOTAS. Pourtant, aucune alternative n’est offerte. L’absence de profils adaptés à la manette ou de simplifications dans l’interface pèse lourd dans une expérience où la technicité ne devrait pas rimer avec rigidité.
Un mode coopératif jusqu’à quatre joueurs permet de déléguer le contrôle des Mechs à des alliés humains, plus fiables et mieux coordonnés. Mais l’intégration reste partielle : pas d’écran partagé, pas de progression individuelle, pas d’accès libre à l’équipement. Les coéquipiers rejoignent la partie, mais doivent se contenter des ressources du joueur hôte. Une ouverture limitée, qui limite d’autant le potentiel d’une campagne partagée.
Dans sa volonté de rester fidèle aux canons de la série, MechWarrior 5 conserve une ossature ludique exigeante, mais oublie de la traduire en langage contemporain. L’idée reste fascinante : gérer une compagnie de guerre privée, configurer des machines colossales, négocier sa survie dans une galaxie morcelée. Pourtant, l’exécution accumule les lourdeurs, les routines, les ratés d’ergonomie. L’immersion mécanique fonctionne, mais au prix d’une accessibilité sacrifiée.
Titans de fer dans un monde sans relief
L’univers visuel de MechWarrior 5: Mercenaries aurait pu être celui des grandes batailles industrielles, des paysages lunaires sillonnés par des titans d’acier, des cités-forteresses effondrées sous les tirs croisés d’armes lourdes. Il aurait pu, en d’autres mains, devenir un théâtre de guerre aussi impressionnant que cohérent. Mais dans cette version Xbox Series, l’exécution technique peine à rendre justice à l’ambition conceptuelle.
Les Mechs, au cœur de l’expérience, bénéficient d’un soin relatif. Leur design respecte les archétypes de la licence BattleTech : silhouettes massives, jambes hydrauliques, blindages anguleux, torse articulé. Chaque modèle possède ses propres caractéristiques visuelles, souvent héritées des opus précédents, et conserve une certaine noblesse dans sa construction. Les animations, bien que rigides, participent à cette impression de poids et de puissance. Lorsqu’un Mech s’effondre, l’impact reste saisissant. Lorsqu’il déploie ses missiles, le sol tremble.
Mais cette attention portée aux unités principales contraste cruellement avec l’environnement qui les entoure. Les textures du terrain affichent une résolution inégale, les décors urbains semblent figés, et les éléments destructibles obéissent à une physique rudimentaire. Le rendu global souffre d’un aliasing visible, d’un éclairage terne, et d’effets de particules datés. Certains éléments — comme les explosions, les tirs de canon ou les impacts de projectiles — manquent de profondeur et de réaction physique. Le sentiment d’immersion visuelle s’en trouve émoussé.
Les cinématiques d’introduction, souvent statiques, affichent une compression notable. Certaines images de fond, notamment la Terre vue de l’espace, s’apparentent à des JPEG en basse résolution. Ce choix de présentation étonne, surtout sur un support affichant le logo “optimisé pour Xbox Series”. Les menus, quant à eux, superposent des couches d’interface sans hiérarchie lisible, et la lisibilité des textes souffre d’un flou typographique incompréhensible.
La bande-son, sobre, accompagne les missions sans les transcender. Les musiques s’effacent derrière les bruitages, préférant l’ambiance aux thèmes marquants. Les compositions, majoritairement électroniques et percussives, soutiennent l’intensité sans chercher à prendre le devant de la scène. Le doublage anglais, correct, remplit sa fonction sans éclat. Les voix incarnent les archétypes du genre militaire : ton sec, vocabulaire direct, inflexions prévisibles. Mais l’ensemble conserve une certaine tenue.
Les effets sonores des Mechs — moteurs, pas lourds, tirs de canons — s’avèrent plus réussis. Chaque déplacement produit une résonance métallique, chaque coup porté résonne avec une lourdeur satisfaisante. Ces détails auditifs, bien calibrés, renforcent la matérialité des engins, compensant en partie les lacunes du rendu visuel.
En l’état, MechWarrior 5: Mercenaries propose un monde d’acier sans vernis. Sa direction artistique, fidèle à l’identité BattleTech, reste prisonnière d’une exécution visuelle datée. Le fond tient, la forme vacille. Et dans une simulation où chaque tonne d’acier compte, le manque de relief visuel finit par peser.
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