Ce 24 mai 2018, Mary Skelter 2 replonge les joueurs dans les abîmes mouvants de la Jail, cette prison organique qui respire, hurle et dévore. Développé par Compile Heart, ce second volet s’inscrit dans la continuité du premier opus, oscillant entre Dungeon Crawler complexe et grotesque érotico-gothique, dans un univers où les contes de fées sont reconvertis en instruments de cauchemar.
Otsuu, nouvelle Blood Maiden en proie à sa propre monstruosité, mène la danse dans cette suite plus ambitieuse, plus stratégique, mais toujours dérangeante. Les ambitions sont claires : étoffer le système de jeu, assombrir la narration, approfondir le malaise. Et pourtant, derrière l’horreur corporelle et la richesse mécanique, une question demeure : la série parvient-elle enfin à se défaire de ses pulsions parasites pour devenir le chef-d’œuvre qu’elle annonce depuis le début ?
Innocence perdue et monstruosité assumée
Mary Skelter 2 ne raconte pas une histoire. Il raconte une chute. Celle d’Otsuu, Blood Maiden à l’identité fracturée, poussée dans les tréfonds d’un monde viscéral pour sauver Jack — son ami, son fardeau, devenu Nightmare. Ce n’est pas une épopée. C’est une errance, un désespoir lent, peuplé de figures féminines brisées par la douleur, la mutation, ou l’amour contrarié.
Le récit, tout entier baigné dans la symbolique des contes de fées déformés, multiplie les références détournées : Little Mermaid, Blanche-Neige, Cendrillon… mais ici, ces héroïnes ne dansent pas. Elles saignent, elles tuent, elles sombrent. Leurs noms ne sont que des parures pour dissimuler une angoisse existentielle permanente, nourrie par la culpabilité, la perte et la transformation.
Otsuu, en tant que protagoniste, incarne une tension permanente : elle est à la fois sauveuse et menace, Blood Maiden et prédateur. Sa lutte pour la préservation de son humanité alimente la narration, tout comme ses liens affectifs avec ses compagnons, souvent ambigus, parfois troubles. La relation avec Little Mermaid, notamment, oscille entre la tendresse tragique et le vertige du sacrifice.
Mais cette richesse thématique est freinée par une écriture qui peine à rester concentrée. Le jeu alterne moments poignants et dialogues interminables, enchaînant les séquences de visual novel sans toujours justifier leur longueur. Certaines scènes tombent dans la répétition, voire l’affectation forcée, et le fanservice latent ne cesse de venir contaminer la gravité du propos.
Le résultat est ambivalent : une galerie de personnages puissamment archétypaux, porteurs de thèmes sombres et dérangeants, noyés dans une narration qui manque parfois de discernement.
Stratégies de chair et prisons conscientes
Mary Skelter 2 ne se contente pas de dérouler des couloirs : il les fait saigner. Chaque donjon est une entité vivante, animée par des pulsations grotesques, par des bouches qui murmurent et des yeux qui observent. Vous ne marchez pas dans des couloirs. Vous progressez dans une gorge. Et derrière cette atmosphère suffocante, le jeu déploie une architecture labyrinthique d’une rare complexité, où exploration et survie se confondent.
Les donjons, vastes et déformés, regorgent de pièges, de raccourcis cachés et d’embranchements conditionnés par les compétences spécifiques des personnages. La progression est lente, méthodique, mais toujours sous tension. Car à chaque détour rôde la menace absolue : les Nightmares, créatures invincibles qui surgissent sans prévenir et transforment l’exploration en fuite désespérée. Le simple fait de les entendre suffoque. Les combattre est impossible tant que vous n’avez pas détruit le cœur du donjon. La logique est claire : ici, la peur est une mécanique.
Les affrontements, au tour par tour, mettent l’accent sur une gestion millimétrée des ressources mentales et sanguines. Le système de “corruption” redéfinit la dynamique de chaque combat : plus vous êtes éclaboussé par le sang ennemi, plus vos personnages deviennent puissants… jusqu’à franchir un seuil irréversible. Dans cet état de “Blood Skelter”, les Blood Maidens sombrent dans la démence et attaquent sans distinction, alliés comme ennemis. Un gain de puissance à double tranchant. Une promesse de chaos.
Le jeu pousse à la réflexion permanente : faut-il libérer la puissance maintenant, ou retenir l’explosion au risque de mourir lentement ? Cette mécanique, couplée à un système de changement de classes, de personnalisation des compétences et de gestion du “Jail Meter” (un système réactif qui modifie l’environnement selon vos actions), offre une profondeur stratégique impressionnante… mais exigeante.
Et c’est peut-être là le cœur du paradoxe : Mary Skelter 2 regorge de systèmes d’une richesse rare, mais les empile sans pédagogie. Les premières heures sont pesantes, presque hostiles. Le plaisir n’est pas immédiat. Il se mérite. Il s’arrache.
Beauté morbide et dissonances féériques
L’univers visuel de Mary Skelter 2 est une énigme organique, une fusion malsaine entre l’esthétique des contes de fées et l’horreur corporelle. Chaque décor, chaque personnage, chaque ennemi semble issu d’un cauchemar baroque, où le mignon flirte avec le monstrueux, où l’enfance s’effondre dans le sang.
Les donjons vivants — aquariums fendus, cavernes de chairs, couloirs infectés — forment un écrin aussi fascinant que répugnant, dessiné avec une minutie morbide. Les personnages, dans leur style anime très marqué, tranchent volontairement avec cet univers. Ce contraste n’est pas une incohérence. C’est une provocation visuelle. Les visages doux des Blood Maidens, souvent figés dans des expressions d’innocence ou d’effroi, semblent narguer la cruauté des décors.
L’interface, claire et soignée, facilite la navigation dans cette prison déréglée, même si certaines animations restent sommaires lors des phases de visual novel. Ces séquences, d’ailleurs, oscillent entre l’illustration soignée et la surcharge de textes, avec des cutscenes parfois trop statiques pour maintenir la tension narrative.
Côté audio, Mary Skelter 2 frappe juste. Sa bande-son varie entre le rock gothique, les litanies électroniques et des nappes plus mélancoliques. Les thèmes de combat explosent, les musiques de donjons rampent sous la peau, les morceaux clés soulignent la gravité des décisions. La musique devient un amplificateur émotionnel, tour à tour galvanisant ou pesant. Un contrepoint à l’étrangeté visuelle.
Mais l’équilibre n’est pas parfait. La traduction anglaise du jeu est trop littérale, parfois bancale. Des phrases mal construites, des tournures maladroites, voire incompréhensibles, viennent parasiter l’immersion — un défaut d’autant plus dommageable que la narration se veut dense et dramatique.
Système labyrinthique et impasses morales
Sous ses couches de chair et de conte corrompu, Mary Skelter 2 déploie une structure systémique impressionnante — mais à double tranchant. Chaque mécanique semble vouloir enrichir l’expérience, approfondir la personnalisation, stimuler l’exploration… au point d’en devenir étouffante.
Le système de job change, qui permet de réorienter le rôle de chaque Blood Maiden, est un modèle de flexibilité. Il modifie compétences, statistiques, et même l’apparence des personnages, encourageant des configurations de groupe audacieuses. Mais il exige aussi une compréhension fine des synergies, des résistances, des ressources. Sans cette maîtrise, chaque combat peut devenir un piège. Chaque décision, une faute.
Le Jail Meter, cet organe semi-conscient qui réagit à vos actions, pousse encore plus loin cette idée de monde vivant. En combattant, en explorant, en nourrissant la Jail, vous influencez son comportement : des buffs aléatoires, des objets générés, ou des malus imprévus peuvent surgir. Le donjon n’est pas un décor. C’est un interlocuteur monstrueux, imprévisible, presque capricieux.
Mais ces subtilités ne sont jamais vraiment expliquées. Le tutoriel est partiel, l’accompagnement inexistant. Les premières heures de jeu laissent le joueur livré à lui-même dans une usine à systèmes, où la moindre négligence se paie au prix fort. Une richesse fascinante pour les vétérans, un mur pour les curieux.
Autre ombre au tableau : le mini-jeu de “purification”, hérité du premier opus, persiste. Frottements tactiles, postures suggestives, cris gênants… Le tout présenté comme un mécanisme de nettoyage spirituel. Ce contenu érotique — déplacé, superfétatoire, malaisant — n’ajoute rien au gameplay. Il contamine l’expérience, tirant vers le bas un jeu qui, par ailleurs, ne manque ni de personnalité ni d’intelligence mécanique.
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