L’horloge s’arrête rarement à Krat, même lorsque la souffrance se drape d’un nouveau masque. Avec Lies of P: Overture, Neowiz et Round8 Studio n’ajoutent pas un simple chapitre : ils invitent à déterrer les vérités enfouies sous la cendre d’un monde condamné. Ce DLC, disponible depuis le 6 juin 2025 sur Xbox Series, s’impose par son ambition : revisiter la genèse de la folie qui a englouti la cité, bien avant que la frénésie des pantins ne déferle sur la pierre et le sang.
En déroulant le fil d’un prologue tragique, Overture questionne : la douleur d’avant la catastrophe porte-t-elle les germes d’un avenir plus cruel encore ? Que reste-t-il à perdre lorsque l’innocence, elle aussi, se délite dans le mensonge ?
La fiction disséquée sous la cendre du mensonge
Lies of P: Overture cherche à revenir aux racines de la tragédie, à explorer ce qu’il restait d’innocence avant la grande fracture. Mais à mesure que la progression s’enfonce dans ce Krat d’avant la ruine, le jeu ne propose pas un récit nouveau : il préfère dérouler, dans un décor à peine éclairé, la même mécanique de la désillusion. L’histoire reste un prétexte : celle d’une ville piégée, dont chaque recoin porte la marque d’une catastrophe imminente, mais où le joueur avance sans jamais pouvoir changer l’issue du drame.
Le Zoo de Krat, décor central du DLC, n’est pas un espace de renouveau : c’est une extension du cauchemar. Vous ne trouverez pas de galerie de personnages attachants ou d’échanges marquants. Les figures croisées, qu’elles soient humaines ou monstrueuses, ne cherchent jamais à séduire, ni même à expliquer. Elles existent comme autant de preuves d’un monde en sursis, habité par la peur et l’amertume. L’écriture privilégie la suggestion : chaque bribe de dialogue rappelle que tout est déjà perdu, que l’on ne bâtira rien sur les cendres.
Ce choix de la narration minimaliste n’est pas un accident : il poursuit la logique du jeu de base. Mais là où la fresque originelle pouvait encore compter sur le mystère pour créer le malaise, Overture n’a plus ce luxe. L’effet de surprise s’est éteint. Il ne reste que la répétition des mêmes motifs : solitude, désolation, impossibilité de sauver quiconque, même soi-même. Les rares personnages qui émergent – gardiens du Zoo, témoins d’une humanité défaite – ne disposent d’aucun développement véritable. Ils viennent, s’effacent, laissent derrière eux un sentiment de vide et d’inachevé.
L’absence de charisme n’est pas compensée par une écriture puissante. On avance, mais la ville reste muette. Les antagonistes, mi-créatures, mi-fantômes, ne font qu’amplifier cette impression de décor sacrifié, sans enjeu narratif fort ni montée en tension. L’ensemble ne construit pas de légende : il accumule des fragments de souffrance, sans jamais offrir au joueur autre chose qu’un constat d’impuissance face à la fatalité.
À l’image du jeu principal, Overture aurait pu faire de la tragédie un moteur narratif. Il préfère faire de la ruine une prison. Le récit, plutôt que d’élargir l’univers, rabat les cartes sur une seule tonalité : la certitude que tout ce qui pouvait être sauvé a déjà disparu.
Des mécaniques en tension qui refusent la catharsis
Le gameplay de Lies of P: Overture ne propose pas de révolution. Il applique, prolonge, affine ce que le jeu principal maîtrisait déjà : un système de combat exigeant, rythmé par le timing du contre et l’apprentissage brutal de chaque attaque adverse. Mais ce qui, dans le jeu de base, pouvait encore surprendre par la montée en puissance, ne bénéficie plus ici de l’effet de découverte. Le DLC fonctionne sur une inertie maîtrisée, sur une rigueur formelle qui frôle parfois l’asphyxie. Chaque boss devient une énigme à déchiffrer dans une arène fermée, mais jamais un affrontement où la créativité peut s’exprimer librement.
Les combats conservent leur poids, leur lecture précise, mais les marges se rétrécissent. Vous ne testez plus, vous répétez. L’ajout d’armes inédites – gunblade, griffes, arcs – élargit l’éventail des coups possibles, mais reste enfermé dans une logique de pattern et de punition. Chaque outil nouveau devient une variation sur le même thème : frapper, esquiver, contrer, recommencer. Ce n’est pas un système ouvert, c’est une partition fixe, à rejouer jusqu’à l’épuisement. Et quand bien même certaines de ces armes renouvellent les sensations, aucune ne casse le moule. La gunblade impose sa puissance sur un tempo lent, les griffes accélèrent la cadence, mais jamais elles ne modifient la structure des affrontements.
Les boss, point culminant de l’expérience, affichent une densité technique impressionnante. Le bestiaire du Zoo convoque autant l’imaginaire forain que la pulsion grotesque : monstres animaliers déformés, poupées guerrières, créatures composites. Chacun d’eux pousse à la rigueur, à la précision absolue, et les patterns agressifs forcent l’attention constante. Pourtant, cette intensité finit par devenir étouffante. Le jeu ne propose pas de respiration, pas d’échappée. Même en difficulté allégée, l’exigence reste haute, et la brutalité ne faiblit jamais. Ce n’est pas un choix de difficulté, c’est une orientation systémique : tout dans ce DLC est construit pour enfermer le joueur dans une spirale d’échec et de perfectionnement. Il n’y a pas d’improvisation, seulement une longue série d’ajustements.
Le level design, lui, alterne moments de tension et décors plus fonctionnels. Le Zoo impressionne d’abord par sa verticalité, sa composition fragmentée, ses chemins sinueux qui suggèrent une exploration plus libre. Mais cette promesse retombe vite. Les zones traversées, bien que plus ouvertes que dans le jeu principal, finissent par se rabattre sur des boucles fermées. Chaque détour mène à une impasse contrôlée. L’illusion du labyrinthe ne tient pas face à la rigidité des scripts. Le manège, les ruines enneigées, les cages rouillées… tout semble chargé d’histoire, mais rien ne se joue en dehors du combat. L’environnement devient décor, pas moteur de gameplay.
Même les ajouts pensés pour diversifier l’expérience – les deux nouvelles Legion Arms, le mode Battle Memories, les niveaux de difficulté alternatifs – fonctionnent dans la même logique de répétition. Le boss rush n’est qu’un miroir plus sec, plus froid, des affrontements déjà maîtrisés. Les nouvelles options de difficulté n’ouvrent rien, elles encadrent. Pas de surprise, pas de déviation. Vous rejouez encore et encore les mêmes affrontements, en modifiant légèrement les règles du supplice.
Lies of P: Overture est un contenu solide, mais verrouillé. Il pousse toutes les mécaniques dans leur retranchement sans jamais leur laisser d’air. C’est un DLC qui comprend la structure, mais oublie la tension dramatique, la montée, le relâchement. Tout est sérieux, tout est difficile, tout est maîtrisé. Mais tout est aussi figé. Le défi est là, impeccable, méthodique. Il ne vous laisse qu’un choix : l’obsession ou l’abandon.
Un monde magnifique figé dans le formol
Overture reconduit l’esthétique de Lies of P sans la réinterroger. Il la prolonge, l’amplifie parfois, mais sans jamais la bousculer. Le Zoo de Krat, avec ses arches rouillées, ses cages fracturées et ses allées vitrées, impressionne par la précision de son agencement. L’image reste léchée, la lumière travaillée, les textures nettes. Chaque recoin semble avoir été poli comme une vitrine. Mais cette beauté maîtrisée a un prix : elle étouffe toute spontanéité. Aucun moment ne semble brut, sale ou chaotique. Même la décrépitude est mise en scène.
On ne traverse pas un monde en déliquescence : on visite une reconstitution. Chaque lieu – le carnaval dévasté, les hauteurs du manège, le laboratoire souterrain – aligne les signes d’un désastre esthétisé. Tout est là pour rappeler que la chute est proche, mais rien ne la rend réelle. Le bestiaire suit la même logique. Les nouvelles créatures du Zoo sont visuellement distinctes, parfois grotesques, souvent dérangeantes, mais elles obéissent toutes à une charte graphique ultra-contrôlée. Aucune n’échappe à la logique de la pose, du tableau. Même la monstruosité est calibrée.
Ce manque de spontanéité visuelle est d’autant plus frappant que la direction artistique conserve une cohérence redoutable. Les ambiances sont soignées, les arrière-plans élégants, la verticalité des lieux intelligemment exploitée. Mais l’ensemble reste trop souvent figé. Le monde ne respire pas. Il expose. Il déroule une esthétique imposante, mais sans faille ni débordement.
La bande-son, elle, poursuit son effacement. Elle habite l’espace sans jamais le remplir. Les compositions orchestrales, discrètes, soulignent les instants clés sans jamais prendre de place. On entend la musique, mais on ne l’écoute pas. Elle passe, comme un murmure sans poids. Le jeu ne cherche pas l’emphase musicale. Il préfère laisser ses silences s’installer, et ses ambiances mécaniques parler d’elles-mêmes.
C’est une posture assumée, mais qui laisse un arrière-goût de retenue constante. Les bruitages font leur travail : le cliquetis des lames, les cris étouffés, les pas sur les dalles métalliques. Rien ne sonne faux. Mais rien ne marque. Il n’y a pas de signature sonore. Le DLC n’ajoute aucun moment mémorable à l’identité acoustique du jeu. Il prolonge une ligne claire, propre, sans surprise.
Pas de voix, pas de cris, pas de chant. Juste un murmure visuel et sonore qui dit la peur, la solitude, la mort à venir. Mais qui ne fait jamais trembler.
Un supplément solide dans un écrin verrouillé
Techniquement, Lies of P: Overture reste fidèle à la stabilité du jeu principal. Aucun bug majeur signalé, pas de ralentissements notables, ni sur Xbox Series X, ni sur Series S. Les temps de chargement sont courts, les transitions fluides, l’ensemble tourne proprement. C’est une extension bien intégrée, sans accroc visible. Mais cette solidité n’est pas un gage de générosité.
Le contenu proposé est conséquent, mais rigoureusement balisé. Comptez 10 à 15 heures pour une première traversée, plus si vous poussez les niveaux de difficulté, testez toutes les armes ou tentez le boss rush en mode Death March. La durée de vie n’est donc pas artificiellement gonflée : elle repose sur la répétition méthodique, sur l’apprentissage, pas sur la variété. Chaque boss devient un mur à franchir, chaque nouvelle tentative un exercice de mémorisation. La progression est rude, parfois brutale, mais jamais injuste.
La rejouabilité existe, mais elle suit la même logique d’encadrement strict. Le mode Battle Memories permet de rejouer tous les boss du jeu, DLC compris, avec classement, paliers, bonus. Mais ce mode est pensé pour ceux qui ont déjà tout maîtrisé. Il ne propose pas une expérience alternative, juste un perfectionnement supplémentaire. L’ajout de trois paliers de difficulté dans l’histoire principale (dont un très accessible) permet d’adoucir le tout, mais ne modifie pas la structure.
Rien ici n’invite à la surprise ou à l’improvisation. Overture ne s’ouvre pas. Il se replie sur ses propres codes. Tout est calibré, verrouillé, sec. C’est un DLC qui ne se pense pas comme une digression, mais comme une épreuve. Il n’y a pas d’espace pour explorer, juste des routes à maîtriser. Ceux qui aiment la contrainte trouveront une matière dense à dépecer. Les autres n’y verront qu’une prolongation rigide d’un jeu déjà exigeant.
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