Sorti le 19 septembre 2023 sur Xbox Series, Lies of P est l’œuvre sombre et cruelle du studio sud-coréen Neowiz, qui réinvente le mythe de Pinocchio dans un écrin gothique, mécanique et désespéré.
Véritable lettre d’amour aux Souls, le jeu vous propulse dans la ville de Krat, cité dévorée par la folie, où le mensonge devient l’ultime arme et la vérité une condamnation. Lies of P ne se contente pas de singer ses influences : il interroge le prix de l’humanité, l’art de la manipulation et le poids de chaque choix au cœur d’un cauchemar d’acier et de sang.
Jeux de dupes et âmes fracturées
Dans Lies of P, vous incarnez P, marionnette à la destinée tragique, façonnée pour défier le chaos qui s’abat sur Krat. La ville, autrefois foyer d’opulence, s’effondre sous la déraison : les automates se rebellent, les humains sombrent dans l’horreur, et chaque ruelle s’imprègne de la tristesse d’un conte dénaturé. Le récit se nourrit de l’ambiguïté : chaque rencontre vous met face à des figures brisées, tantôt guides, tantôt bourreaux, tous prisonniers de leur propre mensonge.
La narration s’ancre dans une écriture elliptique, parsemée de silences, de fragments de vérité et de dialogues en demi-teinte. P ne parle pas, mais chaque choix tisse la toile de sa propre humanité : mentir pour rassurer, sacrifier pour avancer, trahir pour survivre. Les personnages secondaires — Geppetto, la mystérieuse Sophia, le marionnettiste déchu — incarnent chacun une vision tordue de l’espoir et de la rédemption. Ici, les alliés vacillent, les antagonistes s’effondrent, et la frontière entre innocence et corruption s’efface à chaque croisée de chemin.
L’écriture s’attarde moins sur le spectaculaire que sur la tension intime : la ville de Krat respire à travers ses non-dits, ses souvenirs écorchés et ses promesses toxiques. L’identité, la mémoire, le mensonge et la liberté deviennent les véritables enjeux, offrant à la tragédie de P une profondeur rare, entre désespoir et ténacité.
Maîtrise du fil et vertige de l’acier
Lies of P ne se contente pas de calquer la formule des Souls : il la sculpte à même la douleur et la précision. Les combats, d’une exigence implacable, exigent de chaque joueur une lecture parfaite du rythme, une observation des patterns ennemis et une gestion chirurgicale de la stamina. L’esquive et la parade deviennent un art mortel, et chaque affrontement vous rappelle la minceur du fil qui sépare la grâce de la chute.
La progression se structure autour d’un level design dense, sinueux et vertical : Krat dévoile ses secrets à mesure que vous survivez à ses embuscades et que vous déverrouillez de nouveaux raccourcis. Les environnements, à la fois oppressants et fascinants, oscillent entre ruelles gangrenées, théâtres en ruine et usines déshumanisées, chaque zone imposant ses propres pièges, énigmes et épreuves de nerfs.
Le système d’armes s’inscrit dans l’alchimie de la personnalisation : vous assemblez lames et manches, forgeant votre arsenal sur mesure pour épouser votre style ou répondre à la menace du moment. À cela s’ajoute la Légion, bras mécanique offrant des compétences spéciales — grappin, canon, parade renforcée —, ouvrant la porte à des approches variées, jamais figées dans la routine.
La difficulté, rude mais loyale, récompense l’audace et la maîtrise : chaque boss, chaque ennemi d’élite incarne un pic de tension où l’observation et l’expérimentation deviennent les seules issues possibles. Le jeu ne s’adresse pas aux impatients : il exige la persévérance, la précision et la capacité à apprendre de ses échecs.
Lies of P ne fait aucune concession : il transforme chaque combat en épreuve initiatique, chaque détour en pari sur la survie, sculptant une expérience aussi éprouvante qu’envoûtante.
Nuit baroque et cris de ferraille
L’identité visuelle de Lies of P tranche d’emblée : Krat, ville crépusculaire rongée par la folie, s’étale dans une splendeur gothique où chaque bâtisse, chaque reflet, chaque ombre raconte la déchéance d’un monde. Le jeu embrasse un baroque industriel : pavés noyés de sang, horloges brisées, machines monstrueuses et intérieurs décadents sculptent un décor où la beauté s’efface derrière la ruine. Les lumières, rares et froides, transpercent la brume pour mieux souligner l’isolement du protagoniste et l’imminence du danger.
Les animations, d’une fluidité inquiétante, participent à la tension des combats : chaque parade, chaque esquive, chaque coup fatal résonne comme une sentence mécanique. Les ennemis, grotesques ou majestueux, imposent leur présence par une gestuelle saccadée, une déformation du métal, un regard vidé d’âme. Rien n’est laissé au hasard dans la mise en scène de cette apocalypse de rouages et de chairs.
La bande-son, tour à tour oppressante et mélancolique, renforce le vertige : cordes grinçantes, nappes industrielles, thèmes orchestraux funèbres s’entrelacent pour hanter chaque recoin de Krat. Les bruitages — grincements d’automates, impacts métalliques, chuchotements à peine perceptibles — enveloppent le joueur d’une angoisse diffuse, soulignant la solitude et la fragilité de P face à l’abîme.
La direction artistique, sans jamais tomber dans le pastiche, réussit à imposer une signature visuelle et sonore qui marque durablement la rétine et l’oreille.
Machines fidèles et frontières de l’épreuve
Sur Xbox Series, Lies of P impose sa rigueur : la stabilité technique, quasi irréprochable, permet de traverser Krat sans le moindre accroc majeur. Le framerate reste constant, même dans les moments les plus denses, les temps de chargement sont brefs, et la réactivité de l’interface ne faiblit jamais, assurant une immersion totale dans la cité déchue. Les rares problèmes de clipping ou de collision ne ternissent pas la performance d’ensemble, portée par un moteur maîtrisé.
Les options d’accessibilité, si elles restent limitées face à l’exigence du gameplay, proposent tout de même une adaptation des sous-titres, la possibilité de régler la taille des textes et quelques ajustements visuels. En revanche, aucune assistance à la difficulté n’est prévue : Lies of P s’adresse d’abord aux joueurs prêts à relever le défi sans filet, au prix d’une frustration parfois redoutable.
La rejouabilité, quant à elle, s’appuie sur la richesse des choix moraux et l’exploration minutieuse de Krat. Plusieurs fins attendent les plus persévérants, la personnalisation des armes et l’expérimentation avec la Légion incitent à recommencer l’aventure sous un autre angle. Les secrets, les zones cachées, les quêtes annexes disséminées récompensent la curiosité et la ténacité, donnant à l’expérience un goût d’inachevé jusqu’à la dernière révélation.
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