Il était ringard. Il est revenu. Et il ne comprend rien à ce qu’il voit. Leisure Suit Larry: Wet Dreams Don’t Dry, développé par CrazyBunch et porté sur Xbox One, ne ressuscite pas un héros. Il réveille une dissonance. Celle d’un homme en col de soie des années 80 propulsé dans un monde qu’il ne reconnaît pas, entre applications de rencontre, égalité de genre, et réseaux sociaux à filtre automatique.
Sorti initialement en 2018, ce point’n click pastiche post-moderne entend faire cohabiter l’ADN libidineux de la saga avec les règles — et les contradictions — du XXIᵉ siècle. Larry Laffer, toujours en quête de “l’amour” (comprendre : une femme trop bien pour lui), se heurte ici à des technologies qui le dépassent et à des mœurs qu’il n’a jamais vraiment comprises.
Mais sous la couche de blagues salaces, de dialogues meta et de références forcées, Wet Dreams Don’t Dry peut-il prétendre à autre chose qu’un clin d’œil fan service ? La série a-t-elle quelque chose à dire dans une époque qu’elle ne maîtrise plus, ou n’est-elle que le rire gêné d’un vieux mec dans une boîte trop jeune ?
L’inadéquation comme posture, l’idiotie comme moteur
Larry Laffer est de retour. Toujours aussi obsédé, toujours aussi paumé. Mais cette fois, il n’est pas simplement décalé : il est anachronique. Sorti de sa capsule temporelle, projeté dans un monde où le téléphone a remplacé le bar, où le consentement est une exigence et non une surprise, Larry n’a pas changé d’un pixel. Et c’est à la fois le sujet du jeu… et sa plus grande limite.
Wet Dreams Don’t Dry repose sur un postulat simple : Larry tente de séduire la femme de ses rêves via une application de rencontre, dans un univers qui pastiche celui des GAFAM et des startups éco-branchées. Il doit pour cela améliorer son “score” sur une plateforme appelée Timber (l’équivalent fictif de Tinder), en enchaînant les missions absurdes, les dialogues surréalistes et les rencontres grotesques.
Le jeu construit un monde rempli de caricatures volontairement outrées : l’influenceuse narcissique, le hipster végane, le développeur misanthrope, l’assistante vocale sentencieuse. Chaque personnage fonctionne comme une satire codée des archétypes contemporains, avec un second degré plus ou moins réussi selon les séquences. Faith, l’objectif principal de Larry, se distingue par un traitement un peu plus subtil, entre distance amusée et fragilité contenue — mais même elle reste prisonnière d’un scénario où tout tourne autour du fantasme de séduction.
Et c’est là que le jeu devient double. D’un côté, il parodie les limites de Larry : ses punchlines ringardes, sa misogynie dépassée, son égo boursouflé. Il vous dit, en somme : regardez comme il est pathétique. Mais d’un autre côté, il s’amuse encore à le récompenser. À chaque scène, Larry est moqué — mais il avance. Il échoue en riant. Il triomphe sans comprendre. Et le jeu rit avec lui, plus qu’il ne le corrige.
Résultat : l’humour fonctionne parfois — parce qu’il est absurde, méta, parfois bien vu. Mais souvent, il tombe à plat. Il repose sur des références culturelles datées, ou sur des provocations sexuelles qui n’ont plus le sel d’antan. Certaines blagues sont volontairement malaisantes… d’autres le sont involontairement. Et là où le jeu aurait pu aller plus loin dans sa critique d’un monde d’hommes dépassés, il se replie dans une forme de nostalgie ironique.
Larry n’évolue pas. Il s’adapte en mimant. Et à la fin, le jeu n’ose pas le transformer. Il préfère le figer comme une mascotte d’un humour passé, plus toléré que réinventé. Un personnage culte, revenu au mauvais moment…ou resté trop longtemps à l’écran.
Le clic, le gag et la gêne
Wet Dreams Don’t Dry ne réinvente pas le point’n click. Il le récite. À la manière des classiques de Sierra ou LucasArts, il vous propose de cliquer sur des objets, combiner des éléments, parler à des PNJ, résoudre des énigmes absurdes. Tout est là : les dialogues à choix multiples, les objets à collecter dans l’inventaire, les réponses idiotes à des problèmes farfelus. Et tout fonctionne… mécaniquement.
Le gameplay repose sur une structure très classique : exploration de zones fermées, résolution de puzzles contextuels, progression linéaire par enchaînement de conditions. Rien d’original, rien de cassé. Le jeu vous demande d’expérimenter, de vous tromper, de recommencer. C’est du pur old school, avec ses lourdeurs, ses logiques tordues, et parfois — ses impasses frustrantes.
Certaines énigmes sont bien conçues, jouant sur le non-sens ou les associations inattendues, mais d’autres sombrent dans l’absurde gratuit, voire l’illisible. Le jeu vous fait parfois cliquer dans le vide, ou tenter toutes les combinaisons possibles, faute d’indice clair ou de feedback logique. Et quand la solution arrive, ce n’est pas un “aha moment” — c’est un soupir.
Le level design est découpé en zones urbaines interconnectées, souvent réutilisées, avec quelques lieux plus spécifiques (bureaux, bars, lieux VIP…). La variété est mince, et les déplacements deviennent vite répétitifs, d’autant plus que Larry se déplace lentement, même avec les raccourcis contextuels. Il n’y a pas de carte, pas de navigation rapide : le jeu vous oblige à traverser les mêmes décors en boucle, jusqu’à épuisement du gag.
L’ergonomie, sur Xbox One, souffre d’un héritage PC mal adapté. Le curseur simulé avec le joystick reste imprécis, et la navigation dans l’inventaire ou les dialogues manque de fluidité. Certaines interactions sont pénibles, non à cause de la difficulté des énigmes, mais à cause de l’interface elle-même.
Aucune mécanique moderne ne vient renouveler l’expérience : pas de journal de quête dynamique, pas de surbrillance des objets interactifs, pas d’aide contextuelle. Ce choix peut flatter les puristes du genre… mais pour les autres, il devient rapidement un frein.
Wet Dreams Don’t Dry rejoue une partition ancienne, avec les outils d’hier et les maladresses d’aujourd’hui. Il n’a ni la finesse d’un Thimbleweed Park, ni l’audace d’un Paradise Killer. C’est un pastiche de gameplay, plus qu’un renouveau. Un point’n click figé, fidèle à ses racines, mais incapable de sortir de la préhistoire qu’il prétend moquer.
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