C’est en janvier 2022 que Légendes Pokémon : Arceus surgit, tel un éclair au cœur d’une franchise solidement ancrée dans ses habitudes. Quelques mois auparavant, Game Freak provoquait l’effervescence en annonçant un projet mystérieux au sein d’un Pokémon Direct déjà chargé : non seulement un remake de la quatrième génération, mais également une curieuse tentative de réinvention, au titre à rallonge, aux promesses floues. Un vent d’audace semblait souffler sur une série qui, depuis des années, avançait à pas comptés.
Ce vent, pourtant, n’était pas sans remous. Car si l’ambition du studio semblait claire – redessiner les contours du RPG Pokémon traditionnel – les premières images laissaient déjà entrevoir un paradoxe : celui d’un jeu oscillant sans cesse entre modernité assumée et archaïsme criant. Présenté comme un open world, rapidement rectifié en zones ouvertes à la manière d’un Monster Hunter, Légendes Pokémon : Arceus posait d’emblée une question fondamentale : comment réécrire l’histoire d’une légende sans trahir son essence ?
Aujourd’hui, avec le recul nécessaire et les illusions dissipées, il est temps de revisiter cette tentative de mue. Entre propositions intrigantes, maladresses structurelles et élans avortés, que reste-t-il vraiment de cette odyssée dans le passé de Sinnoh ?
Chroniques d’un monde oublié… et d’une mémoire sélective
Vous incarnez un protagoniste propulsé dans le passé par une mystérieuse faille céleste, parachuté au cœur de la région d’Hisui, terre encore sauvage qui deviendra un jour Sinnoh. Cette prémisse, aux airs de voyage initiatique, aurait pu être le terreau fertile d’un récit profond, tissé de mystères, de mythes et d’échos à la cosmogonie de la série. Pourtant, Légendes Pokémon : Arceus préfère effleurer plutôt que creuser, compiler plutôt que raconter, et avance ainsi un scénario plus conceptuel que réellement construit.
Le Groupe Galaxie, autour duquel gravite la structure narrative, agit comme un vecteur fonctionnel : ses membres donnent les quêtes, définissent les objectifs, structurent les missions. Mais leur écriture s’efface derrière une mécanique purement utilitaire. Seule la Commandante Zelma se distingue, par son autorité sèche et ses silences calculés, quand le Professeur Lavande – archétype du scientifique distrait – peine à susciter le moindre attachement. Quant aux antagonistes, ils s’esquissent sans jamais se définir, simples prétextes pour ponctuer une intrigue étirée.
L’univers, pourtant, regorge de promesses. Chaque biome semble contenir les vestiges d’une mythologie oubliée. Chaque Barons, imposants et menaçants, incarne un lien entre nature et sacré. Chaque nouvelle créature – Farfurex, Paragruel, Ursaking ou Cerbyllin – réactive la fascination des origines. Mais la narration ne les relie jamais véritablement. L’univers étendu de Pokémon, pourtant si riche en potentiel mythologique, n’est ici qu’un décor figé, sans souffle ni mémoire.
Et puis il y a le paradoxe : ce « premier Pokédex » que vous êtes censé construire, alors que deux siècles plus tard, il semble avoir été totalement effacé de l’histoire. Les formes régionales, pourtant bien documentées, n’ont laissé aucun fossile, aucune trace, aucune mention. Comme si ce chapitre entier de la civilisation Pokémon avait été volontairement oublié. Et à chaque avancée du scénario, cette dissonance narrative s’accentue, jusqu’à questionner la légitimité même du projet.
Rares sont les scènes qui marquent, rares sont les dialogues qui résonnent. L’histoire s’étire, ajoute des quêtes secondaires anecdotiques, sans jamais enrichir la fresque principale. Là où elle aurait pu jouer de la symbolique du souvenir, du mythe, du temps, elle choisit la facilité : celle d’un récit linéaire, efficace, mais sans ampleur.
Entre ombres et hautes herbes : l’éveil d’un instinct oublié
Sous ses atours de RPG ancestral, Légendes Pokémon : Arceus déploie une structure de jeu à la croisée des chemins. En reprenant les fondements de la série – capture, observation, combat, collection – pour les intégrer dans un monde semi-ouvert, Game Freak amorce ici une mue timide mais réelle. À la rigidité des routes et des arènes se substituent les contours mouvants d’une traque en liberté, dans un monde où chaque Pokémon devient une proie, une menace, une énigme.
Chaque biome propose une étendue à arpenter, à sonder, à apprivoiser. Vous y glissez entre les feuillages, observez les déplacements, attendez la faille dans le rythme d’un Luxio trop sûr de lui pour frapper, ou capturer sans alerter. Ce renversement est l’idée fondatrice du jeu : ce n’est plus le Pokémon qui surgit dans les hautes herbes, mais le joueur qui s’y dissimule. Et de cette inversion naît une tension nouvelle, un plaisir brut, presque tactile.
La capture directe – sans transition ni combat obligatoire – redonne au gameplay une vitalité précieuse. Tout devient question de rythme, d’observation, de préparation. Le choix d’utiliser une baie, une fumigène ou une monture devient stratégique, et l’apparente simplicité du système masque une finesse de lecture particulièrement satisfaisante.
En combat, les choses sont plus classiques. Les affrontements se déclenchent sans rupture, les Pokémon se déplacent en temps réel autour de vous, et l’ensemble bénéficie d’une fluidité appréciable. L’ajout des styles – rapide et puissant – introduit une légère nuance tactique, mais reste anecdotique dans la majorité des cas. L’absence de combats en duo, ou d’interactions contextuelles avec le décor, limite la profondeur de ces duels.
C’est dans la structure globale que le jeu peine à pleinement convaincre. Si chaque mission principale vous enjoint à progresser dans l’exploration d’une nouvelle zone, la progression reste rigide. La montée en grade dans le Groupe Galaxie impose de longues sessions de grind, parfois mécaniques, souvent redondantes. La quête du Pokédex, bien que centrale, se réduit à une série de tâches répétitives – capturer, observer, vaincre, nourrir – qui finissent par freiner l’élan du joueur.
Les mécaniques de craft, inspirées d’un Monster Hunter plus édulcoré, enrichissent légèrement le parcours, sans jamais s’imposer. Quant à la gestion des ressources ou de la santé du héros, elle s’avère d’une générosité extrême : la mort n’est qu’un léger contretemps, les pénalités sont minimes, et le danger souvent illusoire.
Légendes Pokémon : Arceus tente de redéfinir la place du joueur dans le monde qu’il explore. En cela, il propose une formule neuve, audacieuse, mais bridée par une volonté constante d’accessibilité. Le potentiel est là, vif et palpitant sous la surface. Il manque juste la morsure.
L’étrange beauté d’un monde aux textures effacées
Il suffit d’un lever de soleil sur la Côte Lazuli ou d’un orage roulant sur les plateaux de l’Île Crête pour sentir que Légendes Pokémon : Arceus veut vous envoûter. Par instants, le jeu effleure cette magie que seule la nature sait invoquer, entre vastes étendues silencieuses et brumes diaphanes. Malheureusement, ces éclats de beauté sont souvent engloutis sous un voile d’imperfections techniques et de maladresses visuelles.
Le style graphique, volontairement épuré, s’éloigne des couleurs criardes des opus précédents pour adopter une esthétique plus douce, presque pastel, dans la veine d’une aquarelle estompée. Ce choix directionnel offre une cohérence artistique certaine, mais s’accompagne d’un niveau de détail désespérément bas. Les environnements manquent de vie, les décors se répètent, les textures bavent. Dans les zones rocheuses comme dans les forêts, tout semble ébauché, comme s’il manquait une dernière passe d’illustration avant livraison.
Le clipping, bien qu’en léger retrait par rapport à Épée et Bouclier, reste trop visible. Les Pokémon apparaissent par à-coups, les éléments du décor surgissent à quelques mètres du joueur, cassant sans relâche la sensation d’immersion. L’optimisation laisse perplexe : la Nintendo Switch a prouvé qu’elle pouvait faire mieux, bien mieux, et Game Freak peine encore à en exploiter les capacités réelles.
Les personnages humains, quant à eux, souffrent d’un manque d’expressivité frappant. Les visages restent figés, les animations sont mécaniques, et les interactions manquent cruellement d’émotion. Les scènes narratives s’enchaînent sans relief, portées par des dialogues statiques et une mise en scène qui refuse le moindre envol.
Côté son, la bande-son composée par Hiromitsu Maeba (emblématique compositeur de Monster Hunter) aurait pu rehausser l’atmosphère. Et effectivement, certaines pistes apportent un souffle discret mais bienvenu aux moments de calme et d’exploration. Mais ces instants sont trop rares, les musiques trop en retrait, et surtout l’absence de doublage pèse lourd, laissant un silence stérile s’installer lors de dialogues pourtant censés porter l’intrigue.
Les bruitages, enfin, trahissent le manque de finition : les cris des Pokémon semblent plaqués, déconnectés de leur environnement, tandis que les effets sonores de la pluie ou du vent manquent de naturel. Rien ne semble véritablement intégré, comme si chaque couche sonore avait été ajoutée indépendamment, sans souci d’harmonie.
Légendes Pokémon : Arceus esquisse parfois un monde fascinant, mais le rend flou à force de concessions. C’est un tableau inachevé, dont on devine les intentions, mais dont le vernis se craquèle trop vite.
Entre lenteur imposée et solitude assumée
Légendes Pokémon : Arceus repose sur une structure volontairement solitaire, éloignée des habitudes communautaires de la franchise. Aucun mode multijoueur, ni coopératif, ni compétitif, ne vient accompagner l’expérience. L’absence de combats entre dresseurs en ligne, pourtant pilier historique de la série, détonne. Ce choix délibéré recentre le jeu sur une expérience purement individuelle, propice à la contemplation, mais amputée d’une part essentielle de l’ADN Pokémon.
La gestion des menus et de l’inventaire conserve une simplicité bienvenue. Chaque biome est relié à un campement dans lequel vous pouvez soigner votre équipe, fabriquer des objets, ou réorganiser vos ressources. La logique du crafting, bien que peu développée, s’intègre sans accroc au rythme de l’exploration. Les matériaux sont nombreux, parfois rares, mais toujours visibles sur la carte, favorisant l’errance calculée plus que la chasse obsessionnelle.
L’ergonomie générale souffre néanmoins de plusieurs lourdeurs. Les allers-retours à Rusti-Cité sont constants, imposés entre chaque mission ou pour débloquer certaines zones. Ces transitions, répétitives et lentes, cassent l’élan d’un jeu qui aurait mérité plus de fluidité dans sa progression. De même, la carte du monde reste peu lisible, sans possibilité de marquer ses propres repères ou de suivre simultanément plusieurs objectifs secondaires.
En matière d’accessibilité, le titre propose quelques efforts : le rythme des combats est paramétrable, le journal de quêtes est clair, les mécaniques de capture sont faciles à assimiler. Le jeu évite toute complexité superflue, préférant miser sur la répétition maîtrisée. Mais cette volonté d’universalité s’accompagne d’un risque d’ennui pour les habitués du genre, qui chercheront sans doute une technicité plus exigeante.
Enfin, l’absence de performance technique solide nuit à la version Switch, pourtant seule console à accueillir ce projet. Si les temps de chargement restent contenus et les plantages inexistants, la fluidité varie selon les zones, certaines chutes de framerate étant particulièrement sensibles en mode portable. Ce manque de stabilité, regrettable, rappelle que l’ambition ne suffit pas à masquer les carences structurelles.
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