Sorti initialement sur PC où il avait su séduire un public friand d’hommages malicieux et de mécaniques bien huilées, Legend of Keepers débarque en novembre 2022 sur consoles grâce au studio français Goblinz Studio. En revisitant avec audace la formule culte du mythique Dungeon Keeper de Bullfrog (1997), ce roguelite ne vous place pas sous l’armure brillante d’un héros traditionnel mais dans la peau autrement moins reluisante – mais ô combien réjouissante – d’un maître du mal chargé de défendre farouchement son donjon contre des envahisseurs intrépides et bien intentionnés.
L’idée séduira assurément les nostalgiques du titre original, mais le défi demeure de taille : Legend of Keepers parvient-il à transcender son modèle ou reste-t-il prisonnier d’un hommage un peu trop appuyé ?
Les héros à l’abattoir, les monstres au pouvoir
Dans Legend of Keepers, Goblinz Studio inverse radicalement les rôles habituels en vous propulsant aux commandes d’un seigneur du Mal chargé de défendre bec et ongles son donjon contre une horde d’aventuriers venus piller vos trésors. Ce retournement jouissif est servi par un mélange de roguelite, dungeon crawler et gestion, reprenant avec justesse les fondamentaux initiés par Dungeon Keeper. Le jeu s’articule autour de semaines durant lesquelles vous préparez minutieusement votre défense : recrutement de monstres, placement stratégique de pièges sournois, pillages indispensables pour renflouer vos caisses, ou encore entretien du moral de vos créatures.
Cependant, si l’idée se révèle prometteuse sur le papier, le jeu manque parfois d’ambition dans la variété des tâches proposées. La gestion, bien qu’efficace, offre un éventail d’actions assez restreint qui peine à renouveler l’intérêt sur la longueur. Goblinz tente toutefois de rompre cette monotonie avec des événements aléatoires censés dynamiser vos journées de gestionnaire démoniaque, mais leur impact demeure relativement limité, ne provoquant que rarement de véritables bouleversements stratégiques.
Le véritable plaisir de Legend of Keepers réside dans la confrontation avec les héros intrus, qui s’aventurent impunément dans votre repaire avec une détermination irritante. Avant chaque affrontement, vous bénéficiez d’un temps précieux pour disposer pièges et monstres dans un enchaînement de salles conçu pour infliger un maximum de dégâts physiques et psychologiques à vos ennemis. Inspiré sans détour du système tactique popularisé par Darkest Dungeon, les combats se déroulent au tour par tour et reposent sur une mécanique de faiblesses et résistances à exploiter méthodiquement. Vos créatures peuvent ainsi affaiblir les héros par la peur ou la douleur, voire briser complètement leur moral, les poussant à fuir dans une panique particulièrement satisfaisante.
Ces séquences offrent un sadisme assumé particulièrement jubilatoire : brûler, empoisonner, geler les aventuriers ou observer impitoyablement leur déchéance mentale procure une satisfaction délicieusement maléfique. Le défi reste néanmoins constant, car les héros deviennent graduellement plus forts et mieux préparés à mesure que les semaines passent, tandis que vos monstres doivent se contenter de maigres améliorations glanées çà et là.
Lorsque vos défenses échouent, les héros accèdent à votre salle du trésor pour vous affronter directement, vous, le maître ultime des lieux. Si vous succombez, le jeu vous renvoie sans pitié à vos ambitions de grandeur déçues. Toutefois, l’aspect roguelite intervient à ce moment précis : chaque défaite renforce votre personnage grâce à l’expérience accumulée, débloquant de nouvelles capacités pour vos futures tentatives.
Enfin, bien que le titre propose trois maîtres aux spécificités distinctes, leur nombre restreint et des différences trop superficielles ne suffisent pas à éviter une certaine répétitivité sur la durée. On se surprend ainsi à recommander de privilégier des sessions courtes, afin de préserver intact tout le plaisir cynique de voir triompher l’obscurité sur la naïveté héroïque.
Les engrenages du vice et les rouages du pouvoir
La boucle de gameplay de Legend of Keepers repose sur une alternance rythmée entre phases de gestion et combats stratégiques. Chaque semaine vous pousse à prendre des décisions : envoyer un monstre en mission, améliorer un piège, engager un nouveau sbire ou affronter des événements aléatoires à la tonalité délicieusement absurde. Cette mécanique fonctionne avec cohérence, mais ne parvient pas à maintenir une tension constante. La faute à une interface austère et à un contenu qui peine à se renouveler au fil des parties, en dépit de la richesse apparente des options.
L’élément central du plaisir réside toutefois dans les assauts héroïques. Là, chaque combat se transforme en véritable puzzle tactique : choix des troupes en fonction des faiblesses adverses, positionnement selon leurs compétences, enchaînements de pièges visant à affaiblir physiquement ou mentalement les envahisseurs. Si l’on retrouve l’influence directe de Darkest Dungeon, notamment dans la gestion du stress et l’usure psychologique des adversaires, le jeu conserve sa propre identité en favorisant les stratégies à long terme plutôt que la réaction à l’imprévu.
Le système de progression roguelite se montre pertinent. L’accumulation d’expérience, la montée en puissance du maître du donjon, l’amélioration des créatures et des pièges offrent un sentiment d’évolution gratifiant. Chaque tentative devient une étape vers une configuration plus solide, plus cynique, plus létale. Malheureusement, ce principe est parfois affaibli par une absence de renouvellement profond : les builds les plus efficaces tendent à se ressembler, et la diversité des menaces comme des réponses se stabilise trop rapidement.
C’est surtout dans sa structure figée que le jeu révèle ses limites. Le rythme strictement hebdomadaire, sans surprise ni rupture véritable, crée une routine dont il devient difficile de s’extraire. La tension dramatique s’efface au profit d’un automatisme mécanique, comme si l’on était condamné à répéter la même pièce, avec les mêmes acteurs, les mêmes effets. Ce manque de variété entame peu à peu la jubilation initiale, la transformant en une répétition ritualisée dont seuls les affrontements les plus tendus permettent de sortir.
La beauté du pixel au service du chaos organisé
Legend of Keepers séduit dès les premières minutes par son identité visuelle affirmée. En adoptant un style pixel art d’une grande finesse, Goblinz Studio réussit à conférer une personnalité propre à son univers de monstres et de pièges. Chaque sprite semble ciselé avec soin, du moindre gobelin hargneux aux couloirs lugubres du donjon, et l’ensemble dégage une élégance rétro qui renforce l’atmosphère comique et cruelle du titre. La direction artistique valorise chaque salle, chaque créature, chaque détail d’interface avec une rigueur graphique constante qui témoigne d’un vrai souci de cohérence.
Les animations, sobres mais efficaces, participent à cette lecture claire de l’action, indispensable dans un jeu où la stratégie repose sur l’enchaînement des effets et des résistances. Les affrontements conservent ainsi une lisibilité parfaite, soutenue par un jeu de couleurs pertinent qui distingue habilement les types de dégâts, les états mentaux ou les effets de zone.
En revanche, l’interface ne fait aucun effort pour s’adapter à des sessions longues. L’ensemble repose sur une écriture blanche sur fond noir peu ergonomique, dont le contraste élevé finit par fatiguer l’œil. Ce choix esthétique nuit à la lisibilité sur console, et rend certains écrans pénibles à manipuler, notamment lors de la gestion des troupes ou de l’organisation des semaines.
La bande-son, de son côté, joue une partition discrète. Elle soutient les combats avec une énergie mesurée, sans jamais voler la vedette au gameplay, mais sans non plus imposer de thème mémorable. Les bruitages, eux, remplissent leur rôle sans fausse note, en soulignant les coups, les cris d’agonie ou les effets élémentaires avec une efficacité sobre.
Enfin, il faut mentionner un élément regrettable : malgré le soin général apporté à la présentation, le jeu souffre de fautes d’orthographe récurrentes, parfois grossières, qui entachent les textes d’événements ou les dialogues. Ce défaut étonne d’autant plus qu’il émane d’un studio francophone, et donne à certaines séquences une impression d’inachèvement peu compatible avec la rigueur affichée ailleurs.
0 commentaires