Il fut un temps où le rêve de John Hammond semblait possible. Un parc, des clôtures, des visiteurs émerveillés… et des créatures sorties des abysses du Crétacé, de l’ADN et de l’hubris. Mais ce rêve s’est effondré — plusieurs fois —, jusqu’à ne plus être qu’un avertissement en boucle sur des écrans de contrôle fissurés.
Avec Jurassic World Evolution 2, Frontier Developments revient sur les ruines fumantes de son premier opus pour tenter autre chose : non pas reconstruire un parc, mais survivre dans un monde où les dinosaures ne sont plus des attractions, mais des forces incontrôlées, échappées dans les écosystèmes humains.
Sorti sur PC en novembre 2021, cette suite ne se contente pas d’ajouter du contenu : elle reformule l’approche, recentre l’expérience sur la gestion dynamique, la logique environnementale, et surtout les conséquences de vos décisions scientifiques.
Plus qu’un jeu de gestion, c’est un test d’éthique sous haute tension. Car ici, les enclos cèdent. Les visiteurs paniquent. Les Raptors apprennent. Et vous, vous construisez. Encore. Mais peut-on vraiment gérer l’extinction inversée ?
Des voix dans les enclos, des fantômes dans les laboratoires
Jurassic World Evolution 2 n’est pas un jeu de gestion scénarisé au sens traditionnel. Il ne vous offre pas un récit linéaire, mais une série de cadres — des contextes, des postures, des dilemmes. Et c’est précisément là que réside sa puissance : dans sa capacité à vous confronter à des situations où la science rencontre la catastrophe, où l’expertise se heurte à l’imprévisible.
La campagne principale se déroule après les événements de Jurassic World: Fallen Kingdom, dans un monde où les dinosaures ne sont plus confinés. Libres, égarés, dangereux, ils se répandent dans des environnements qui ne sont pas faits pour eux — et c’est à vous de réagir. Avec l’aide du gouvernement, vous devez capturer, stabiliser, réintroduire, ou contenir des espèces à travers les États-Unis, dans des zones où chaque terrain a sa propre logique, son propre écosystème.
Côté personnages, le jeu reprend les visages familiers de la franchise : Ian Malcolm (Jeff Goldblum), Claire Dearing (Bryce Dallas Howard), et Dr. Henry Wu (BD Wong) reviennent prêter leurs voix et commenter vos décisions. Mais ne vous attendez pas à de véritables arcs narratifs : ces figures fonctionnent davantage comme des balises morales ou idéologiques, des échos de la saga cinématographique, que comme de réels protagonistes en évolution.
Et c’est là que la critique se dessine : si ces présences ravivent une nostalgie certaine, elles restent en surface, souvent réduites à des commentaires génériques sur vos choix ou des rappels thématiques. Leur écriture manque de mordant, et leurs interventions, trop rares, échouent à insuffler un véritable souffle dramatique à la campagne.
Le mode “Théorie du chaos”, qui propose de réinterpréter les grands moments des films, est plus narratif, mais reste très dirigiste. On y retrouve les tensions de Nublar, la chute de San Diego, ou les échecs de Jurassic World, mais sans réelle liberté de dévier du script. Une sorte de musée interactif, fascinant pour les fans, mais limité en termes de choix et de répercussions.
Jurassic World Evolution 2 n’essaie pas de vous raconter une histoire. Il vous donne les conditions d’en vivre une. À vous de décider si vos parcs sont des sanctuaires, des prisons, ou des laboratoires à ciel ouvert. À vous d’endosser la responsabilité, non pas d’un scénario, mais d’une vision.
Contrôler l’incontrôlable, échouer avec élégance
Dans Jurassic World Evolution 2, la gestion n’est plus une boucle fermée. Ce n’est plus une simple question de construire des clôtures, de poser des bâtiments, d’attirer des visiteurs et d’empêcher les dinosaures de tout massacrer. C’est une tentative permanente de dompter un système vivant, instable, et souvent hostile.
Frontier a revu sa copie en profondeur. Le jeu abandonne la logique linéaire de son prédécesseur pour vous confronter à des environnements plus variés, plus contraints, et surtout moins prévisibles. Le système météorologique dynamique, les différences d’altitude, les variations de climat, les conflits inter-espèces : tout pousse à une micro-gestion permanente, où chaque décision a un effet domino.
La construction reste intuitive, avec des menus clairs et une interface retravaillée. Mais la véritable évolution vient du comportement des dinosaures. Chaque espèce a désormais des besoins complexes, non seulement alimentaires ou environnementaux, mais aussi comportementaux : un Allosaurus malheureux ne devient pas simplement moins rentable, il devient instable. Un Tricératops sous-stimulé peut défoncer une clôture par simple ennui. On ne gère plus un parc. On gère des équilibres nerveux.
Les systèmes de soin, de capture et de recherche sont également plus profonds. Vous ne dirigez plus un personnel abstrait : chaque scientifique a des compétences propres, un niveau de stress, un coût. Mal gérer votre équipe, c’est risquer des erreurs, des crises, voire des sabotages. Cette approche introduit une logique de gestion RH inédite dans la série, et ajoute une tension inattendue dans les choix stratégiques.
Mais malgré ces réussites, le jeu n’est pas sans failles. Le rythme reste lent, voire répétitif, surtout sur les longues sessions. Les boucles de gameplay — analyser, incuber, placer, stabiliser — finissent par se répéter, et même si les événements aléatoires tentent de briser la routine, ils n’y parviennent pas toujours.
Autre limite : l’absence de vraie difficulté systémique. Les crises peuvent être coûteuses, les dinosaures peuvent semer la panique, mais rarement un mauvais choix vous met réellement en danger. Le jeu vous laisse corriger, amortir, compenser — trop souvent. On aurait aimé plus d’irréversibilité, plus de décisions dramatiques, plus de risques réels. Une part de chaos que le moteur simule, mais que le gameplay n’ose jamais vraiment embrasser.
Enfin, malgré la richesse des mécaniques, l’IA reste trop simpliste. Les dinosaures ont des comportements crédibles sur le papier, mais leurs animations de combat ou de chasse manquent encore de naturel, et certains bugs d’interaction viennent ruiner l’immersion d’un écosystème pourtant très bien modélisé.
Jurassic World Evolution 2 réussit là où le premier échouait : il vous donne les outils d’un vrai gestionnaire, dans un monde instable et mouvant. Mais il lui manque encore la brutalité du vivant, cette imprévisibilité que l’on attend d’un jeu qui parle d’espèces éteintes revenues défier notre contrôle.
La majesté domptée, l’esthétique du vivant
Jurassic World Evolution 2 est un jeu de gestion, mais c’est aussi un jeu d’émerveillement. L’œil est constamment sollicité, parce que ce que vous construisez n’est pas simplement un parc : c’est un sanctuaire mouvant, peuplé de créatures disparues que l’on n’a jamais vraiment vues.
Visuellement, le titre de Frontier Developments est somptueux. Chaque dinosaure est modélisé avec un soin quasi muséographique : textures de peau, mouvements musculaires, comportement au sol comme dans l’eau, tout contribue à cette illusion de présence. Les animations ont gagné en fluidité, en particularité : un Pachyrhinosaurus qui s’ébroue, un Pteranodon qui rase l’eau dans un virage millimétré… Ce ne sont pas simplement des créatures, ce sont des espèces, avec une identité visuelle propre.
Les environnements sont également en net progrès. Chaque biome — désert, forêt tempérée, climat humide, toundra — est modélisé avec ses contraintes, ses couleurs, sa lumière. Le cycle jour/nuit et les effets météorologiques (tempêtes de sable, neige, foudre) renforcent la tension, mais aussi l’authenticité de la simulation. Construire au milieu d’une vallée enneigée ou sur un promontoire boisé modifie profondément la lecture du parc. Et surtout, de votre position de surplomb, le monde semble enfin respirer.
Mais tout n’est pas parfait. Certains éléments restent trop rigides, notamment les bâtiments, qui manquent d’animations ou de variété visuelle. À l’échelle du parc, les infrastructures ont parfois un aspect modulaire sans âme, et l’intégration de certains objets dans le décor reste mécanique, voire artificielle. Il y a une tension constante entre le vivant magnifiquement modélisé et l’architecture utilitaire, qui peine à suivre en expressivité.
Côté sonore, le travail de Frontier est une fois de plus exemplaire. Les cris, les grognements, les souffles des dinosaures sont bluffants de naturel, inspirés des archives sonores originales de la saga mais enrichis pour offrir un véritable spectre acoustique. Entendre un T-Rex rugir sous une pluie battante, au loin, au moment où la clôture tombe, provoque un frisson que peu de city-builders peuvent se vanter d’offrir.
La bande-son orchestrale signée Michael Giacchino et Stephen Barton, en partie reprise des films, fait office de toile émotionnelle discrète. Pas omniprésente, mais subtilement placée dans les moments de tension ou de contemplation. Le jeu sait quand se taire, quand faire monter les cordes, quand laisser parler le vent. Ce contrôle du rythme musical renforce l’ambiance globale : vous êtes à la fois créateur, spectateur, et témoin.
Côté voix, le retour des acteurs originaux (Goldblum, Dallas Howard, BD Wong) fonctionne, même si leurs interventions restent limitées. Les dialogues sont bien intégrés, mais parfois trop génériques, et leur fréquence diminue rapidement après quelques heures. Un luxe de production, mais qui aurait gagné à être plus narrativement exploité.
Jurassic World Evolution 2 est visuellement et auditivement remarquable, souvent même bluffant — mais il manque encore une direction artistique forte et homogène. Le vivant est traité avec amour, le bâti avec rigueur. L’un émerveille. L’autre encadre. Sans jamais vraiment se répondre.
Un parc bien gardé, mais un peu trop sécurisé
Si Jurassic World Evolution 2 impressionne par son raffinement visuel et sa richesse systémique, il repose aussi sur une architecture technique robuste, taillée pour accueillir des sessions longues, complexes et potentiellement catastrophiques. Sur PC, le jeu bénéficie d’une optimisation solide : même avec une centaine d’animaux en activité, des visiteurs par milliers et des événements climatiques simultanés, le moteur tient bon. Le framerate reste stable, les temps de chargement sont courts, et les plantages quasi inexistants.
Le jeu tire parti du PC avec une gestion poussée des détails graphiques, du multi-écran natif, du support complet du clavier/souris, et des raccourcis clavier configurables. La caméra libre, fluide, permet une observation précise ou une vue d’ensemble sans friction. Mais tout n’est pas parfait : l’interface reste très dense, avec des onglets imbriqués et une logique parfois contre-intuitive. Naviguer entre les outils de soins, de capture, de gestion génétique et de personnalisation peut devenir fastidieux, notamment quand les urgences s’enchaînent et que l’information ne circule pas toujours bien.
Sur le plan de l’accessibilité, Jurassic World Evolution 2 propose quelques options appréciables : taille de police ajustable, code couleur personnalisable, possibilité de ralentir le temps en solo, et indications visuelles claires sur les besoins des créatures. Mais aucune fonction de lecture vocale, pas de prise en charge des lecteurs d’écran, et très peu d’options auditives pour les malentendants. Le confort général est bon, mais on est encore loin des standards atteints par d’autres titres du genre.
La rejouabilité, elle, repose essentiellement sur les modes de jeu : campagne courte mais narrative, missions scénarisées façon “Théorie du Chaos”, défis progressifs à objectifs fixes, et bien sûr le mode bac à sable, cœur du jeu pour les gestionnaires de long terme. Là, tout est personnalisable : météo, types de dinosaures, événements, argent infini ou non. C’est une boîte à outils immense, mais qui pêche par l’absence d’événements aléatoires ou de scripts narratifs modulables — le joueur doit se créer ses propres histoires.
Jurassic World Evolution 2 est un jeu stable, évolutif, techniquement soigné, mais encore trop classique dans sa structure extra-ludique. Il gère bien les espèces, les enclos, les crises. Mais il aurait pu aller plus loin : dans la narration procédurale, dans la simulation sociale des visiteurs, ou dans l’impact éthique de vos choix.
0 commentaires