Il y a dans chaque début un souffle d’espoir. Celui d’un monde à explorer, d’un destin à accomplir, d’une aventure singulière. Avec Itorah, le studio mexicain Grimbart Tales signe son tout premier jeu, un hommage aux plateformes de l’âge d’or, teinté de contes sud-américains, de forêts corrompues et d’artefacts oubliés. Publié sur Nintendo Switch le 21 avril 2023, ce titre dessine à grands traits l’ombre d’un Metroidvania, sans jamais céder au vertige du labyrinthe.
À première vue, Itorah s’inscrit dans une tendance déjà bien nourrie : celle des jeux en 2D qui mêlent action, narration et légèreté contemplative. Pourtant, derrière sa simplicité, il dévoile une volonté sincère de raconter une histoire, de convoquer des symboles rares dans le paysage vidéoludique, et d’enraciner son univers dans des traditions culturelles peu exploitées. En suivant les pas de la dernière représentante de l’humanité, le joueur traverse un monde fracturé par les échos d’une épidémie ancienne, guidé par une hache bavarde et une mémoire fragmentée.
À l’heure où des géants comme Afterimage élèvent le genre vers des sommets artistiques et mécaniques, Itorah trace sa propre route, plus modeste, mais non sans charme. Ce chemin mène-t-il quelque part, ou se perd-il dans la poussière des bonnes intentions ? Voici le moment d’entrer dans le vif du conte.
Le chant d’une mémoire perdue au bord du monde
L’univers d’Itorah s’ouvre sur un silence brisé par une fuite. Celle d’une jeune femme aux cheveux d’encre, unique survivante d’une humanité disparue, capturée puis libérée par sa propre volonté. Autour d’elle s’étend Nahucan, une terre aux échos précolombiens, ravagée par une étrange peste, rongée par les vestiges d’un âge oublié. La quête commence non pas par un appel au combat, mais par une errance : il faut comprendre, retrouver, et reconstruire les fils brisés de l’histoire.
Rapidement, Itorah s’arme — littéralement — d’une hache parlante, Koda, qui devient à la fois son outil, son arme et son confident. Le duo forme un tandem curieux, oscillant entre joutes légères et échanges plus graves. Cette dynamique crée un rythme narratif fluide, où les dialogues servent à étoffer l’univers sans jamais ralentir la progression. L’écriture, soignée, esquisse un monde rempli de non-dits, de tensions anciennes et de secrets enfouis sous les pierres.
Au fil de la traversée, Itorah croise le chemin de nombreux personnages secondaires, souvent hauts en couleur, parfois plus énigmatiques. Tous participent à la peinture d’un monde vivant, fatigué, et profondément mystique. L’intrigue, centrée sur la mémoire et l’origine, s’enrichit de symboles culturels sud-américains, peu vus dans le paysage vidéoludique actuel. Ce choix donne au récit une résonance particulière, entre fable tragique et allégorie posthumaine.
Là où le jeu surprend, c’est dans sa volonté de dépasser le simple récit initiatique. Il interroge la notion d’héritage, le poids du souvenir, et la responsabilité des survivants. Chaque zone explore un fragment d’un monde détruit par ses propres choix, chaque rencontre éclaire un pan du passé. Cette ambition narrative, parfois dense, confère à Itorah une profondeur inattendue, même lorsque le gameplay peine à suivre le souffle du récit.
Loin des grandes fresques épiques, Itorah choisit une intimité douce-amère, celle d’un voyage entre ruines et réminiscences. Sa narration ne crie pas, elle murmure. Et même si certaines figures croisées en route manquent de développement, l’ensemble tisse un univers cohérent, à la fois onirique, mélancolique, et habité par une mélodie fragile.
Sous les pas d’Itorah, des chemins sans détour
Derrière ses atours de conte initiatique, Itorah se présente comme un jeu d’action à défilement horizontal, empreint d’une structure que l’on pourrait croire métroidvaniesque. Pourtant, dès les premiers instants, le doute s’efface : l’exploration n’est jamais au cœur de l’expérience, et l’ensemble adopte une progression résolument linéaire, segmentée en zones distinctes aux embranchements limités.
Le gameplay repose sur un socle éprouvé : sauts précis, combats rapprochés, pouvoirs progressifs. Chaque compétence débloquée — saut mural, attaque chargée, dash — vient renforcer le contrôle sans jamais bouleverser l’ordre établi. Aucun retour en arrière n’est réellement nécessaire, aucune porte mystérieuse ne reste longtemps close, et les secrets, lorsqu’ils existent, ne réservent que des récompenses modestes. Le joueur avance, traverse, combat… puis poursuit sa route, sans détours ni hésitations.
Les combats, quant à eux, empruntent au registre du hack’n’slash allégé. Itorah affronte des créatures grotesques dans des joutes lisibles, rythmées par des animations soignées mais des patterns répétitifs. La difficulté reste modérée, les affrontements accessibles, et les boss, bien que visuellement impressionnants, ne déploient jamais de véritables mécaniques complexes. Le système d’amélioration permet d’augmenter la santé ou la puissance d’attaque, mais n’offre pas de réelle personnalisation. L’ensemble reste fluide mais peu stratégique, à l’image du level design.
C’est peut-être là que réside le paradoxe d’Itorah : il reprend les codes du genre sans chercher à les pousser. Les plateformes ne proposent que peu de variantes, les énigmes sont rares et élémentaires, et la courbe de progression suit un chemin sans surprise. Le jeu déroule un parcours balisé, ponctué de quelques défis de dextérité sans jamais verser dans l’exigence. L’apprentissage est immédiat, la maîtrise presque automatique.
Le rythme, bien qu’agréable, souffre d’une forme de prévisibilité mécanique. Aucun passage n’inspire la peur, aucun segment n’oblige à repenser sa stratégie, aucun pouvoir n’offre de rupture de ton. Itorah joue la carte de la sécurité, et cette prudence, si elle garantit une accessibilité constante, bride l’ampleur de l’expérience.
Sous sa façade de jeu d’exploration, Itorah cache un jeu de plateformes linéaire, bien construit, mais qui préfère la retenue à l’ambition. Il guide plutôt qu’il n’invite, trace un chemin plutôt qu’il ne laisse au joueur le soin de l’imaginer. Un parti pris assumé, mais qui limite la portée de son souffle ludique.
Peintures vivantes sur toile figée
Visuellement, Itorah déploie une direction artistique foisonnante, inspirée des mythes mésoaméricains et des paysages luxuriants d’un continent rarement mis à l’honneur. Chaque zone explore une palette chromatique distincte : temples moisis, forêts saturées de lumière, déserts poussiéreux… L’ensemble compose un univers à la fois organique et stylisé, porté par une 2D animée à la main, d’une fluidité remarquable. Le soin apporté aux animations d’Itorah elle-même mérite d’être salué : qu’elle frappe, grimpe ou reste immobile, son corps respire, s’équilibre, vit.
Les arrière-plans, parfois presque picturaux, renforcent cette impression de fresque mouvante. Certains passages — une silhouette projetée par le soleil couchant, une brume ondulant entre les arbres — évoquent une forme de poésie visuelle, discrète mais sincère. Le character design, quant à lui, joue sur des formes exagérées et des silhouettes expressives, dans un style évoquant par instants l’animation occidentale contemporaine.
Cependant, cette richesse graphique peine à renouveler son impact sur la durée. Les environnements, bien que variés, finissent par se ressembler dans leur construction. Les ennemis, malgré quelques créatures originales, manquent d’ampleur ou de variété. La beauté s’érode au fil des heures, moins par faute que par redondance esthétique. Itorah semble parfois prisonnier de sa propre volonté d’harmonie, sans oser la dissonance ou la démesure.
Du côté sonore, la bande originale adopte une approche atmosphérique, tissée de nappes discrètes, de percussions légères et de mélodies aux accents ethniques. L’ambiance est feutrée, presque contemplative, comme pour mieux laisser parler les paysages. Certains thèmes parviennent à capter l’essence du lieu visité, mais aucun ne s’impose comme signature mémorable. L’ensemble reste cohérent, élégant, mais sans véritable envol.
Les bruitages, eux, participent à cette sobriété. Chaque coup, chaque saut, chaque contact avec l’environnement produit un son clair, limpide, sans emphase excessive. L’équilibre sonore est maîtrisé, bien dosé, mais il reflète la même retenue que le reste de la proposition. Aucun doublage n’accompagne les dialogues, qui s’affichent sous forme de textes, renforçant le silence qui entoure l’héroïne et son monde en déliquescence.
Itorah séduit par la sincérité de sa patte artistique, mais n’ose jamais transgresser ses propres cadres. Il peint de très belles images, mais dans un album soigneusement ordonné, qui préfère le charme à la surprise.
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