Sorti le 19 février 2025 sur PC, HPL: Nyarlathotep Rising est une tentative ambitieuse d’adapter l’horreur cosmique de Lovecraft sous une forme interactive, plongeant les joueurs dans une spirale de mystères, de cultes interdits et de vérités trop effroyables pour être comprises. Développé par Touched By Grace et Why Not AI, édité par Plug In Digital, le jeu promet une immersion totale dans l’angoisse et la fatalité d’un monde où la connaissance est une malédiction.
Mais cette plongée dans l’indicible parvient-elle à retranscrire la puissance de l’œuvre lovecraftienne, ou se contente-t-elle de recycler des motifs horrifiques déjà trop souvent exploités sans en capturer la véritable essence ?
Trois âmes brisées face à une vérité qui ne devrait pas être connue
L’horreur lovecraftienne repose moins sur ce qui est vu que sur ce qui est suggéré, sur cette lente dégringolade vers l’incompréhensible, où chaque découverte, chaque indice trouvé ne fait qu’élargir le gouffre entre ce que l’esprit humain peut concevoir et la véritable nature de l’univers. HPL: Nyarlathotep Rising s’efforce de retranscrire cette spirale infernale à travers trois personnages aux perspectives bien distinctes, dont les récits s’entrelacent pour former une tragédie où l’illusion du libre arbitre s’efface progressivement.
Le jeu alterne entre les destins de Mark, Anna et Victor, trois figures piégées dans des événements qui les dépassent. Mark, journaliste à la dérive, pense démêler une simple affaire de disparitions inquiétantes, avant que ses recherches ne l’amènent à remettre en question jusqu’à sa propre perception de la réalité. Anna, scientifique cartésienne, voit ses certitudes voler en éclats lorsqu’elle découvre des structures et des symboles impossibles, tandis que Victor, ancien soldat marqué par la guerre, comprend trop tard que ce qu’il croyait n’être qu’un artefact ancien est en réalité un avertissement laissé par ceux qui ont déjà échoué à contenir l’indicible.
Le récit, fragmenté et insidieux, adopte une approche non linéaire, où chaque avancée semble d’abord rationnelle avant que le doute ne s’installe. À mesure que l’on progresse, les événements prennent une tournure de plus en plus abstraite, et la narration elle-même devient plus instable, jouant sur les distorsions temporelles, les contradictions dans les témoignages et la disparition progressive des repères logiques.
Si l’ambiance est indéniablement travaillée, elle souffre de longueurs, notamment dans certaines séquences où le jeu s’évertue à exposer ses mystères de manière trop directe. Là où Lovecraft excelle dans l’implicite, HPL: Nyarlathotep Rising tombe parfois dans l’excès d’explications, ruinant certains effets de tension qui auraient gagné à rester plus énigmatiques.
Les personnages manquent d’interactions marquantes. Leurs récits se croisent, mais jamais de façon véritablement organique, et l’on finit parfois par avoir l’impression d’enchaîner trois histoires parallèles plutôt qu’un récit global véritablement tissé autour d’un même axe. La montée en tension est là, mais elle aurait gagné en puissance si le jeu avait mieux exploité la dynamique entre ses protagonistes au lieu de les cantonner chacun à leur propre spirale d’horreur individuelle.
Malgré ces faiblesses, l’essence de Lovecraft est bien présente, et HPL: Nyarlathotep Rising parvient à capter cette sensation unique de découverte maudite, où chaque réponse ne fait qu’éloigner davantage du salut. L’histoire est une descente en apnée, et si l’on accepte ses quelques maladresses, elle propose l’un des récits lovecraftiens interactifs les plus fidèles à l’esprit du maître de Providence.
Une lente descente dans la folie
L’horreur lovecraftienne ne repose pas sur des monstres surgissant de l’ombre, mais sur une montée en tension progressive, une sensation d’impuissance où chaque découverte ne fait que rapprocher le protagoniste d’une vérité qui aurait dû rester cachée. HPL: Nyarlathotep Rising s’efforce de traduire cette angoisse à travers un gameplay qui oscille entre exploration, résolution d’énigmes et choix narratifs aux conséquences troublantes.
Le jeu adopte une structure semi-linéaire, où chaque protagoniste progresse dans son propre récit, ses décisions influençant non seulement son destin, mais aussi l’état mental des autres personnages. Contrairement à un jeu d’horreur classique misant sur l’action ou la fuite, ici tout repose sur l’interaction avec l’environnement, la collecte d’informations et l’interprétation de documents cryptiques qui ne livrent jamais une réponse claire.
L’exploration, qui s’étale sur différentes zones inspirées des œuvres de Lovecraft, alterne entre des environnements réalistes (les ruelles sombres d’Arkham, un institut de recherche aux archives poussiéreuses, un temple perdu dans le désert égyptien) et des lieux où la logique commence à s’effondrer. Les murs se déforment sous l’effet d’une géométrie impossible, des voix résonnent sans source apparente, et certains chemins disparaissent derrière le joueur, l’enfermant dans un labyrinthe sans issue.
Le game design joue intelligemment avec la perception du joueur, intégrant des illusions optiques, des objets qui changent de place sans explication et des événements aléatoires qui modifient l’environnement sans avertissement. Cette approche fonctionne particulièrement bien dans les phases de transition entre les réalités, où les repères habituels deviennent inutilisables, forçant à remettre en question jusqu’à la fiabilité des choix effectués.
Cependant, si le jeu parvient à instaurer une ambiance oppressante, son rythme peut parfois être inégal. Certaines séquences traînent en longueur, notamment lorsque l’on doit parcourir plusieurs fois un même environnement pour collecter des indices qui auraient pu être mieux intégrés à la narration. De même, les énigmes oscillent entre des moments de pure génie et d’autres où la solution est inutilement obscure, donnant parfois l’impression que l’on tâtonne sans réelle direction.
Le système de choix aurait pu être plus nuancé. Si certaines décisions débouchent sur des fins radicalement différentes, d’autres semblent avoir un impact limité, donnant l’impression que certaines destinées sont figées, malgré les efforts du joueur.
Malgré ces quelques défauts, HPL: Nyarlathotep Rising réussit là où de nombreux jeux d’horreur échouent : il ne cherche pas à faire peur par des artifices, mais à plonger le joueur dans un état d’inconfort progressif, où chaque interaction creuse un peu plus l’abîme sous ses pieds. Un jeu qui comprend la lente agonie du savoir interdit, mais qui aurait gagné à mieux équilibrer son rythme et l’impact réel des choix proposés.
Un cauchemar d’ombres et de distorsions
L’univers de HPL: Nyarlathotep Rising ne repose pas uniquement sur ses textes cryptiques et ses dilemmes narratifs, mais aussi sur une direction artistique et un travail sonore méticuleux, conçus pour distiller un malaise insidieux et une tension permanente. Là où de nombreux jeux inspirés de Lovecraft se contentent d’une obscurité omniprésente et d’environnements brumeux pour instaurer une atmosphère d’angoisse, ici, l’approche est plus subtile, plus psychologique, jouant sur la perception et la déformation progressive de la réalité.
Chaque protagoniste voit son monde différemment, et cela se reflète dans l’identité visuelle propre à chaque segment narratif. Anna, bercée par ses visions mystiques, évolue dans un univers où les couleurs semblent s’effacer par endroits, où les contours des objets tremblent comme une image sur le point de disparaître. Mark, plongé dans un passé militaire qu’il ne peut oublier, perçoit son environnement comme une succession de souvenirs érodés, avec une palette sépia qui se fissure sous l’effet de ses traumatismes. Victor, obsédé par les symboles occultes, voit son monde se noircir de gravures et de glyphes qu’il n’a pourtant jamais dessinés, comme si ses propres pensées se projetaient sur son environnement sans qu’il puisse les contrôler.
Cette fragmentation visuelle est l’un des aspects les plus intéressant du jeu. Plutôt que de proposer un monde homogène où l’horreur s’impose par le décor, le jeu plonge directement dans la subjectivité de ses personnages, laissant transparaître leurs peurs, leurs obsessions et leurs doutes à travers une esthétique en constante mutation. Les environnements se métamorphosent sans avertissement, non pas pour surprendre le joueur par un effet de surprise facile, mais pour lui faire comprendre que ce qu’il observe est une vérité fragile, instable, vouée à s’effondrer sous le poids de l’indicible.
Mais si les visuels jouent sur une horreur psychologique et progressive, c’est surtout la bande-son qui transforme l’expérience en un cauchemar palpable. Dès l’écran titre, une musique de jazz, en apparence ordinaire, résonne avec une dissonance imperceptible, un son légèrement trop saturé, un tempo qui semble ralentir par instants, comme si le morceau lui-même était en train de se perdre dans une autre dimension.
L’ambiance sonore ne se limite pas à ce que l’on entend, mais aussi à ce que l’on croit entendre. Certains bruits n’ont pas de source identifiable, des murmures surgissent sans que personne ne parle, des échos se répètent alors que l’on sait n’avoir prononcé qu’un seul mot. À mesure que l’histoire progresse, le sound design devient plus agressif, plus discordant, mais jamais de manière prévisible. Ce n’est pas une montée en puissance classique, mais un dérèglement progressif, un enchevêtrement de sons qui semblent se superposer à des endroits où il ne devrait y avoir que du silence.
Ce qui rend ce travail sonore si efficace, c’est son utilisation parcimonieuse et imprévisible. Contrairement aux jeux d’horreur qui abusent des crescendo et des bruits stridents pour provoquer une peur immédiate, ici, le son est une menace sourde, un élément qui évolue lentement et qui finit par envelopper le joueur sans qu’il puisse identifier le moment exact où tout a basculé.
Si l’on devait reprocher quelque chose à cette approche, ce serait une gestion parfois inégale des effets sonores en fonction des scènes. Certaines séquences plus intimes, où l’accent est mis sur la réflexion et la lecture des indices, auraient pu bénéficier d’un sound design plus organique, moins minimaliste, afin de maintenir une tension constante même en l’absence d’action immédiate. De même, les variations de volume d’une scène à l’autre sont parfois brutales, créant un contraste qui n’est pas toujours maîtrisé.
Mais dans l’ensemble, HPL: Nyarlathotep Rising réussit ce que peu de jeux Lovecraftiens parviennent à faire : manipuler la perception du joueur à travers ses graphismes et son sound design, plutôt que de simplement lui montrer des visions cauchemardesques. Ce n’est pas une terreur frontale, mais une immersion lente et insidieuse, un travail de déconstruction progressive du réel qui s’infiltre bien après que l’écran se soit éteint.
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