Sorti le 28 juin 2018 sur Nintendo Switch, Harvest Moon: Lumière d’Espoir s’inscrit dans une lignée qui ne porte plus que l’ombre de son nom. Ce n’est plus Marvelous aux commandes, mais Natsume, désormais seul maître à bord d’un navire vidéoludique sans boussole. La scission de 2014 avec l’équipe fondatrice a marqué un tournant irréversible : d’un côté, Story of Seasons continue de cultiver un héritage enraciné dans la finesse et la progression naturelle ; de l’autre, Harvest Moon s’obstine à aligner des avatars dévitalisés d’un passé glorieux.
L’épisode Lumière d’Espoir, confié à Tabot Inc., développeur éphémère désormais disparu, symbolise cette déconnexion totale. Aucun site web actif, aucune trace durable, comme si le jeu lui-même avait aspiré son créateur dans un néant logique. La promesse affichée d’un retour aux sources s’efface rapidement derrière les approximations, les choix incohérents et l’abandon pur et simple de tout ce qui faisait autrefois l’ADN de la série.
La campagne commence par un naufrage. Le vôtre. Echoué dans une ville déserte, vous héritez d’une ferme en ruine et d’une mission lumineuse : réactiver les phares éteints de l’archipel pour redonner espoir aux habitants. Une métaphore idéale pour résumer l’expérience qui vous attend. L’héritage est là, en surface, mais chaque décision prise dans cette production semble née d’une lecture erronée de ce qu’était réellement Harvest Moon. La nostalgie n’est qu’un décor. Et derrière, il ne reste qu’une coquille vide.
L’éclat d’une lanterne sans flamme
Dans Harvest Moon: Lumière d’Espoir, l’intrigue se veut plus étoffée que celle des opus classiques. L’arrivée du protagoniste sur une île frappée par une mystérieuse tempête sert de prétexte à la reconstruction d’un village abandonné, à la restauration de phares antiques, et à la réapparition de divinités rurales endormies. En théorie, cette trame ambitionne de renouer avec la magie naïve des premiers épisodes. En pratique, elle s’éparpille dans un enchaînement mécanique de quêtes sans relief, incapables de porter une dynamique émotionnelle.
Les lutins, les esprits et la Déesse de la Récolte répondent tous présents, comme autant de figures symboliques recyclées pour cocher des cases familières. Pourtant, aucun souffle ne les anime. Leurs interventions ponctuent le scénario comme des jalons prévisibles, et leurs dialogues se réduisent à des phrases interchangeables, sans mystère ni mémoire. L’univers, censé s’étoffer au fil de la reconstruction du village, reste figé dans un état d’attente permanente. Rien ne surprend, rien ne dérange, rien ne touche.
La narration progresse selon une logique opaque, qui laisse volontairement de côté toute forme d’indication ou de fil conducteur. Les événements s’enchaînent lorsque certaines conditions sont remplies, mais sans jamais prévenir. Le joueur est donc condamné à errer, déclenchant des avancées scénaristiques par hasard plus que par choix. Le récit n’avance pas : il surgit, comme un script oublié qui se réveille brusquement.
Les personnages, pourtant nombreux, n’incarnent aucune trajectoire singulière. Les dialogues sont minimalistes, les relations stagnantes, les arcs narratifs à peine esquissés. Les candidates au mariage s’intègrent au village sans personnalité marquée, répétant les mêmes phrases jour après jour, sans réagir à vos actions. Ce n’est plus un jeu d’interaction : c’est un théâtre d’ombres.
Même les scènes de fin, censées récompenser la patience du joueur, ne proposent qu’un bref enchaînement de plans fixes dénués d’émotion ou de tension narrative. Le monde n’a pas changé. Vos actions n’ont rien bouleversé. Seul un message de clôture vient certifier que le jeu est terminé. L’histoire a rempli sa fonction, sans jamais chercher à signifier quoi que ce soit.
La terre est basse, le gameplay l’est aussi
Le cœur d’un Harvest Moon repose sur une boucle de gameplay simple, cyclique, patiente : labourer la terre, planter les graines, soigner le bétail, explorer les environs, tisser des liens. Tout cela s’estompe dans Lumière d’Espoir, remplacé par une succession d’actions répétitives, rendues laborieuses par une interface rigide et un système d’interaction réduit à son strict minimum.
Les outils ne s’équipent pas : ils se déclenchent automatiquement selon le contexte. En supprimant toute gestion de l’inventaire actif, le jeu retire une dimension essentielle de la planification. Ce qui devait offrir de la fluidité s’apparente plutôt à une perte de contrôle. Chaque geste devient automatique, chaque journée se confond avec la précédente, sans jamais offrir ce frisson discret que suscite l’optimisation d’une parcelle ou la récolte d’un fruit rare.
La gestion de la ferme souffre d’un appauvrissement généralisé. Les cultures poussent selon un calendrier immuable, sans variation ni aléa. Les animaux suivent des routines simplifiées, les saisons n’induisent aucun changement de rythme, et la météo n’a qu’un impact marginal. Le plaisir de l’expérimentation disparaît derrière une mécanique plate, sans aspérité, où tout semble avoir été conçu pour éviter toute complexité plutôt que pour encourager la découverte.
Les activités annexes prolongent cette impression d’abandon. La mine, censée incarner un espace d’exploration progressif, se résume à une succession verticale sans identité visuelle ni structure cohérente. La pêche, la collecte, la cueillette : tout est présent, mais dans un état embryonnaire, comme si chaque fonctionnalité avait été implantée en vitesse pour remplir un cahier des charges. Aucune progression véritable ne s’en dégage, aucune interaction notable ne relance l’envie de creuser davantage.
Les quêtes secondaires participent à cette mécanique de dilution. Il ne s’agit pas de récits complémentaires ou d’événements marquants, mais d’objectifs répétitifs — livrer un objet, récolter un ingrédient, assister à une apparition — sans mise en scène, sans finalité narrative, sans enjeu. Elles prolongent artificiellement une durée de vie déjà limitée, mais n’enrichissent jamais l’univers.
Le sentiment de stagnation s’installe très tôt. Aucun choix de personnalisation n’influence votre quotidien, aucune stratégie agricole ne vous distingue d’une autre partie. Le jeu fonctionne, certes, mais il n’encourage aucune appropriation. Il déroule sa mécanique, imperturbable, sans jamais inciter à réfléchir, adapter, ou varier. Dans un genre fondé sur la patience et la créativité, Lumière d’Espoir propose un rythme figé et un système d’interactions réduit à l’os.
Couleurs mortes et silences pesants
Harvest Moon: Lumière d’Espoir déploie une direction artistique qui semble figée dans le temps, incapable de traduire l’évolution technique d’une console pourtant capable de prouesses bien supérieures. Les environnements se composent de textures ternes, de motifs réutilisés à l’envi, et d’éléments de décor disposés sans cohérence spatiale. L’herbe n’évoque aucun relief, les forêts n’inspirent aucune densité, les intérieurs n’expriment aucune chaleur. La campagne rêvée laisse place à un diorama sans charme, empilé de modules interchangeables.
Les personnages arborent un design hérité directement de Skytree Village, déjà critiqué à sa sortie. Leurs animations se limitent à un mouvement alternatif des bras ou des jambes, le torse et la tête restant parfaitement rigides. L’impression d’assister à un défilé de mannequins désarticulés s’impose rapidement. Même les animaux, élément essentiel du genre, se déplacent comme des figurines mécaniques, sans aucune variation de comportement, sans regard, sans vie.
Les transitions entre zones déclenchent des écrans de chargement systématiques, particulièrement longs pour un monde aussi peu détaillé. L’optimisation technique peine à masquer les limites d’un moteur vieillissant. L’ensemble affiche des ralentissements lorsque plusieurs objets s’accumulent à l’écran, révélant un manque de maîtrise qui altère l’expérience même dans les moments les plus simples.
La bande-son accompagne ces choix visuels avec la même timidité. Les musiques des saisons, bien qu’agréables au printemps, deviennent de plus en plus dissonantes au fil du calendrier. L’automne et l’hiver s’accompagnent de pistes audio compressées, parfois même mal calibrées, comme si la qualité sonore se dégradait volontairement. Certaines zones n’en disposent pas du tout, ce qui accentue une impression de vide, non comme effet de mise en scène, mais comme symptôme d’un manque de finition.
Aucun doublage n’est proposé. Les dialogues se déroulent dans un silence mécanique, interrompu seulement par quelques effets sonores standardisés, eux-mêmes recyclés d’anciens épisodes. Le vent ne souffle jamais, l’eau ne clapote pas, les animaux n’émettent aucun son distinctif. Tout ce qui pourrait rendre cet univers audible se tait, laissant la place à une ambiance fantomatique.
Une carcasse vide sous une licence mythique
Du point de vue technique, Harvest Moon: Lumière d’Espoir fonctionne, mais sans élégance ni constance. Les bugs bloquants sont rares, mais l’expérience globale est ternie par une série d’accrocs continus : ralentissements fréquents, interfaces peu lisibles, actions contextuelles imprécises. La navigation dans les menus demande plusieurs manipulations inutiles, là où une ergonomie fluide aurait permis de gagner en confort et en rythme.
L’accessibilité se limite à l’essentiel. Aucun réglage particulier n’est proposé pour adapter l’expérience à différents types de joueurs. Le rythme de jeu, déjà lent par essence, devient pesant faute de raccourcis ou d’automatisations des tâches. Il faut tout répéter manuellement, sans variation, sans système de planification, sans gain d’efficacité au fil du temps. L’impression de stagner ne vient pas d’un mauvais calibrage de progression, mais de l’absence d’outils pensés pour alléger le quotidien du joueur.
La rejouabilité reste extrêmement faible. Une fois les phares rallumés, les relations stabilisées et le village reconstruit, aucun événement marquant ne vient relancer le cycle des saisons. Le choix du personnage, du sexe, ou du nom n’influe sur rien. Même les mariages, pourtant cœur émotionnel de la série, se concluent sans arc narratif spécifique. Aucune scène supplémentaire, aucun quotidien partagé, aucune évolution. Ce qui devrait constituer un second souffle se réduit à une simple ligne de dialogue répétée chaque matin.
Les festivités, d’ordinaire moments de respiration et de convivialité dans ce type de jeu, sont ici absentes ou expédiées. Le calendrier reste désespérément vide. Aucune fête de la moisson, aucune course d’animaux, aucun concours culinaire ne vient ponctuer l’année. L’alternance des saisons se constate graphiquement, mais ne modifie jamais la structure du gameplay. La boucle reste identique, jour après jour.
Enfin, le moteur de jeu, manifestement hérité d’un outil mobile ou portable, contraint la mise en scène comme la gestion des données. La faible densité du monde ne s’explique pas par un choix artistique, mais par des limites techniques évidentes. Tout dans ce titre évoque une version de travail jamais finalisée, une démonstration figée dans le brouillon. Le support Nintendo Switch est pourtant capable de bien plus. Ici, rien ne le sollicite.
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