Vingt ans après sa sortie initiale sur PC, Gothic II revient dans une édition remasterisée sobrement intitulée Gothic II Complete Classic, désormais disponible sur Nintendo Switch. Dans la foulée du portage du premier opus, THQ Nordic poursuit sa politique patrimoniale avec une ambition claire : remettre sur le devant de la scène une licence fondatrice du RPG européen.
Sous ses airs de capsule temporelle, Gothic II conserve un statut à part : jeu culte, atypique, rugueux, porté par la vision monolithique de Piranha Bytes. Son univers dense, son système de progression sans concession, sa narration éclatée et sa structure ouverte continuent d’influencer — et de diviser.
Mais dans un paysage où The Witcher 3 ou Skyrim sont devenus des standards sur Switch, la question est légitime : Gothic II Complete Classic parvient-il encore à imposer son caractère, ou s’agit-il simplement d’un vestige pour nostalgiques ?
L’éveil du héros, la mémoire d’un monde en ruines
Gothic II s’inscrit directement dans la continuité du premier opus, sans ellipse, sans rupture, dans une logique de récit cousu main. Pas de recontextualisation, pas de résumé scénaristique : le joueur reprend l’histoire là où elle s’est arrêtée. Un choix audacieux, mais aussi excluant pour les néophytes, tant le jeu refuse de ménager un sas d’entrée narratif.
Après avoir vaincu le Dormeur, le héros sans nom — toujours aussi mutique — est extrait des ruines par Xardas, magicien renégat et mentor officieux. Affaibli, traqué, dépossédé de son équipement, il est à nouveau jeté dans un monde à l’équilibre fragile, menacé par une armée démoniaque, une société en déliquescence et des factions antagonistes prêtes à tout pour conserver leur pouvoir.
L’écriture de Gothic II ne cherche jamais l’esbroufe. Elle s’ancre dans une routine crédible, à hauteur d’homme, où chaque personnage possède son emploi du temps, sa hiérarchie, ses objectifs propres. La force du jeu ne réside pas dans la grande intrigue — relativement convenue —, mais dans sa capacité à générer de l’organique, à faire émerger le récit à travers les tensions locales, les dialogues rugueux, les rapports de force constants.
Les personnages secondaires ne sont pas là pour vous flatter. Ils vous humilient, vous testent, vous méprisent. Vous êtes un inconnu, un gêneur, un parasite. Le monde ne vous attend pas. Il vous tolère à peine. Cette dynamique brutale forge une narration émergente, où l’ascension sociale du héros dépend uniquement de ses choix, de ses alliances, de sa capacité à naviguer entre les strates d’un monde hostile.
Le jeu intègre également l’extension La Nuit des Corbeaux, ajoutant une nouvelle région, des arcs narratifs inédits et une densité supplémentaire à un univers déjà foisonnant. Les dialogues, bien que datés dans leur formulation, sont tous sous-titrés en français, et le rythme global du jeu privilégie l’exploration, l’expérimentation, la prise d’initiative.
En 2024, peu de titres osent encore vous laisser vous perdre volontairement, sans carte, sans marqueur, sans guide. Gothic II persiste, fidèle à son ADN, en vous laissant reconstruire un statut, un rôle, une voix — à partir de rien.
Système à l’ancienne, puissance à conquérir
À une époque où l’ergonomie prime et où les RPG lissent toutes les aspérités, Gothic II Complete Classic surgit comme un vestige indompté, exigeant et parfois brutal. Rien n’y est intuitif. Rien n’y est immédiat. Tout se mérite. Et c’est précisément ce qui fait sa force… ou sa rupture avec les standards contemporains.
Le gameplay repose sur une structure libre, sans verrouillage de zones, sans tunnel narratif. Vous explorez, vous testez, vous échouez. La montée en puissance est lente, rugueuse, impitoyable. Chaque point de compétence doit être dépensé avec discernement. Chaque arme, chaque sort, chaque faction nécessite un véritable investissement. Il n’y a pas de classe prédéfinie. Vous devenez ce que vous construisez, à la dure.
Les combats, en revanche, restent le point de tension principal. Si le système mêle coups directionnels, blocages et gestion de la stamina, l’ensemble souffre d’une maniabilité rigide, héritée de 2003, et à peine retouchée pour ce portage. La prise en main est sèche, désuète, voire punitive sur Switch — tout particulièrement en mode portable, où la lisibilité et la précision font défaut. On apprend à s’y plier, mais jamais à l’aimer.
Le level design, lui, est d’une intelligence rare. Les régions s’enchaînent avec une logique géographique crédible. Chaque vallée, chaque colline, chaque village est pensé comme un écosystème, où les PNJ suivent leur routine et réagissent à vos actes. Il n’y a pas de zones mortes : tout est habité, connecté, potentiellement hostile. Et la structure ouverte permet des approches multiples : par la force, par la persuasion, par l’infiltration ou par l’alignement.
L’intégration de La Nuit des Corbeaux vient enrichir cette structure avec de nouveaux outils de progression, de nouveaux camps et des arcs secondaires, souvent mieux équilibrés que ceux de la trame principale. L’ensemble offre une centaine de quêtes, dont une grande partie peut être résolue de plusieurs manières, en fonction de votre réputation ou de votre faction.
Mais il faut aussi mentionner les archaïsmes : absence de véritable journal de quête, système de sauvegarde manuel, dialogues sans doublage en français, tutoriel inexistant, menus opaques. Gothic II ne prend jamais le joueur par la main. Il le pousse dans la boue, et le regarde se relever — ou abandonner.
Relief brut, écho d’un monde désuet
Visuellement, Gothic II Complete Classic affiche sans complexe les marques de son âge, même sous les retouches timides de cette édition Nintendo Switch. Le moteur est le même que celui du premier opus, et cela se ressent à tous les niveaux : textures rugueuses, animations rigides, éclairages fixes, visages figés. Mais si la technique accuse le poids des années, la direction artistique, elle, tient encore debout.
Le monde de Khorinis respire une cohérence rare. Les environnements sont crédibles, articulés avec une lisibilité géographique précise, entre vallées escarpées, bourgs fortifiés, temples en ruines et camps de fortune. Le relief est organique, le placement des lieux narrativement logique, et les panoramas — malgré leur rudesse polygonale — conservent une forme d’élégance rugueuse. Ce n’est pas beau. Mais c’est habité.
Le lissage graphique opéré sur Switch permet une netteté accrue, notamment en mode docké, où la lecture de l’espace devient plus agréable. Les couleurs ont été ravivées, les contrastes mieux équilibrés, et certains effets de lumière ont été retravaillés. Mais le jeu conserve ses limitations structurelles : distance d’affichage réduite, modélisation datée, faune clonée, architecture répétitive. Ce n’est pas un remaster : c’est un portage nettoyé, à peine réhaussé.
Les cinématiques, quant à elles, restent en basse définition, non sous-titrées, dans une résolution à peine tolérable. Une absurdité, alors que les vidéos en haute qualité sont librement disponibles sur internet. L’absence de mise à jour de ces segments clés trahit un manque flagrant d’investissement éditorial.
Côté sonore, Gothic II se défend mieux. Les compositions orchestrales de Kai Rosenkranz, bien que synthétiques, portent toujours une certaine majesté : thèmes de plaine éthérés, tensions souterraines, motifs épiques discrets mais efficaces. L’ambiance sonore, surtout dans les zones sauvages, contribue à l’immersion par le silence et les sons d’ambiance bien dosés : bruissements de feuillages, cris d’animaux, cliquetis d’armure.
Les dialogues, tous en anglais, sont correctement interprétés, avec ce ton sec, presque rude, qui colle parfaitement à l’univers. Mais là encore, l’absence de doublage français, ou même de sous-titres pendant certaines séquences clés, rappelle les limites du projet.
Un portage sans ambition, une relecture minimaliste
Gothic II Complete Classic reprend trait pour trait la philosophie de son prédécesseur sur Nintendo Switch : un portage brut, sans amélioration structurelle, ni contenu annexe, ni fonctionnalité moderne. Ce n’est pas une refonte. Ce n’est pas une version “Definitive”. C’est une copie fonctionnelle, adaptée au support portable sans réinvention.
L’interface reste inchangée, rigide, pensée pour un clavier-souris de 2003. Naviguer dans les menus à la manette relève toujours du défi, et aucun effort n’a été fait pour moderniser l’ergonomie ou intégrer des raccourcis intuitifs. L’inventaire est illisible. Les dialogues ne sont pas recontextualisés. Le système de journal est confus, sans tri ni suivi intelligent.
Aucune option de confort n’a été intégrée. Pas de sauvegarde rapide. Pas de remapping des touches. Pas de filtre visuel. Pas de codex, ni de carte interactive. Le joueur est plongé dans une expérience brute, sans outils pour l’accompagner. Même les bugs d’époque persistent parfois, notamment dans la détection de collision ou la réactivité des PNJ.
La version embarque bien La Nuit des Corbeaux, ce qui constitue un ajout de taille. Mais aucune nouveauté n’est proposée en dehors du contenu original. Pas de galerie d’artworks, pas de commentaires de développement, pas même une intro recontextualisée. Une opportunité manquée de valoriser ce monument du RPG autrement que par sa seule réédition.
Côté performance, le jeu reste stable, même dans les zones densément peuplées. Pas de ralentissements majeurs ni de crashs recensés. La Switch gère correctement ce moteur peu exigeant. Mais aucune optimisation spécifique n’est perceptible. Les temps de chargement sont longs, l’interface souffre de lenteurs, et le tactile n’est pas pris en charge en mode nomade.
Gothic II Complete Classic remplit sa mission minimale : porter un classique sur une console moderne. Mais en refusant d’adapter, d’expliquer, ou d’enrichir, il se condamne à n’exister que pour ceux qui le connaissent déjà.
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