Il aura fallu attendre un demi-siècle pour que Goldorak, figure totem de l’animation japonaise en France, reçoive enfin une adaptation vidéoludique digne de porter son nom en toutes lettres. GOLDORAK : Le Festin des Loups surgit des limbes éditoriales, piloté par Endroad, studio nantais indépendant pour qui il ne s’agit que d’un second projet. Sous l’égide de Microids, et avec une licence aussi iconique qu’encombrante, le jeu arrive bardé d’attentes, de promesses et de fantasmes générationnels.
Mais dans le sillage de cette œuvre culte, reste une réalité que les fans les plus fervents ont souvent du mal à admettre : le mythe Goldorak pèse plus lourd que ce que peut porter un studio indépendant. Le résultat, bien qu’animé de bonnes intentions, oscille entre hommage sincère et limitations techniques flagrantes. Et si l’on doit saluer la volonté de faire exister un tel projet, la question demeure : Goldorak avait-il besoin de ce retour ?
L’ombre d’Actarus, l’éclat fané des étoiles
GOLDORAK : Le Festin des Loups reprend les grandes lignes du mythe d’Actarus, prince d’Euphor exilé sur Terre après l’invasion de sa planète. L’histoire débute alors que le Grand Stratéguerre lance un nouvel assaut, interrompant une cérémonie de paix pour plonger la galaxie dans le chaos. Le scénario s’articule autour du retour en service du mythique robot Goldorak, avec en fil rouge l’antagoniste inédit Janus, surnommé le « Festin des Loups ».
Le récit ne suit pas à la lettre les épisodes de l’anime des années 70, mais il en intègre les moments-clés avec respect, dans une logique de condensé narratif. Pour les amateurs de la série originale, le plaisir est réel : les références pleuvent, les voix françaises rappellent une époque oubliée, et l’identité de l’œuvre d’origine est préservée jusque dans ses naïvetés. Il ne s’agit pas ici de réinventer, mais de célébrer une mémoire collective.
Mais cette fidélité a un prix : le scénario peine à construire une tension autonome. Ceux qui découvriraient la licence aujourd’hui risquent de rester en marge d’un récit trop dépendant du matériau d’origine. Les personnages secondaires sont présents, parfois bien écrits, mais manquent d’arc narratif propre. Les dialogues, s’ils sont intégralement doublés, oscillent entre respect du ton d’époque et rigidité désuète.
L’ensemble reste néanmoins cohérent, porté par une écriture modeste mais appliquée, qui parvient à livrer un hommage sincère. Le rythme général s’essouffle parfois, mais conserve une structure claire. Et surtout, le jeu ne trahit jamais son cœur : celui d’un récit de sacrifice, de guerre interstellaire, et de foi en une justice plus grande que soi.
Fulguropoings, nostalgie et inertie
Là où GOLDORAK : Le Festin des Loups aurait pu sombrer corps et âme dans l’hommage passif, son gameplay évite le naufrage. Endroad a fait le choix d’un rythme simple, presque naïf, mais articulé autour de plusieurs boucles mécaniques distinctes. Et si chacune d’elles manque de profondeur, leur variété offre un certain souffle à une expérience qui aurait pu se révéler purement décorative.
Le cœur du jeu repose sur des phases de beat’em up en monde semi-ouvert, où le joueur incarne Goldorak, naviguant entre objectifs linéaires et petites zones d’exploration. La prise en main est immédiate : combos simples, roulades, projections, attaques spéciales iconiques (Fulguropoings, Cornofulgure…) — tout est pensé pour offrir un défouloir sans friction. Goldorak se manie comme un personnage classique, sans inertie, ce qui renforce le sentiment d’agilité, mais dissout totalement l’illusion de gigantisme.
À intervalles réguliers, le jeu propose également des phases en shoot’em up à bord de l’Ovteract ou de la soucoupe, clairement inspirées des classiques de l’arcade, avec une mise en scène dynamique, des patterns lisibles et un rythme enlevé. Ces séquences sont brèves, mais offrent une rupture bienvenue dans la structure.
Cependant, derrière cette variété se cache une boucle ludique pauvre, répétitive, sans montée en puissance réelle. Le système de progression, réduit à un tableau d’améliorations basiques, n’apporte aucune dimension tactique ou personnalisable. Le joueur débloque de nouvelles attaques au compte-gouttes, mais aucune ne modifie l’approche du combat.
Les niveaux, quant à eux, se ressemblent dans leur structure : zones cloisonnées, vagues d’ennemis, checkpoints espacés, objectifs génériques. Le rythme est correct, mais l’absence de surprise mécanique ou d’évolution de design finit par étouffer l’élan initial.
Le plus grand paradoxe reste l’écart entre l’enveloppe et l’expérience : on incarne un dieu mécanique, mais on avance comme dans un jeu d’action B des années 2000. Ce n’est pas injouable. C’est simplement limité — et sans ambition autre que celle de restituer une nostalgie tactile, sans la transcender.
Un robot de légende dans une coquille de plastique fondu
Visuellement, GOLDORAK : Le Festin des Loups accuse un retard technique difficile à ignorer, même à l’aune de ses origines indépendantes. Endroad livre un jeu dont l’esthétique rappelle davantage l’ère Xbox 360 que les standards actuels, avec des environnements pauvres, des textures floues, une direction artistique inconstante et une technique globalement bancale.
Le modèle de Goldorak bénéficie d’un soin particulier : ses animations de combat sont lisibles, ses poses cultes fidèlement reproduites, et l’arsenal visuel qui accompagne chaque attaque spéciale — Fulguropoings, Astéro-hache, Planitron — respecte les codes de la série. Mais ce soin ne dépasse jamais le cadre du fan service. Tout le reste s’effondre.
Les environnements, bien qu’assez vastes, sont d’une pauvreté alarmante. Arrière-plans vides, bâtiments sans vie, végétation rigide, éclairages inexistants. La mise en scène est minimaliste, parfois absente. On avance dans des cartes génériques et désincarnées, sans l’ombre d’une architecture crédible ou d’un panorama mémorable. La sensation de gigantisme, pourtant essentielle dans un jeu de mecha, ne fonctionne jamais. Ni l’échelle, ni les proportions, ni le cadrage ne permettent de ressentir le poids du robot.
La technique suit cette même pente descendante : clipping omniprésent, aliasing marqué, distance d’affichage ridicule, et framerate instable, y compris sur machines de dernière génération. Le jeu donne parfois l’impression d’être en pré-alpha, tant les artefacts visuels et les bugs d’affichage s’enchaînent.
Côté sonore, le tableau est plus contrasté. Le doublage français, intégral, assume un ton résolument rétro, qui pourra autant séduire les nostalgiques que rebuter les néophytes. Les voix, parfois caricaturales, s’inscrivent dans l’héritage de l’époque — volontairement ou non. Les musiques, elles, font le choix de l’accompagnement discret, avec quelques thèmes inspirés de la bande-son originale, sans jamais atteindre une puissance émotionnelle mémorable.
Le titre souffre d’un décalage criant entre son ambition visuelle affichée et sa réalisation réelle. L’enveloppe graphique, incapable de soutenir le reste de l’expérience, trahit un manque de moyens… mais surtout un manque d’arbitrages artistiques clairs.
Une structure figée dans l’ambre
GOLDORAK : Le Festin des Loups repose sur une structure linéaire, à peine enrichie de quelques à-côtés fonctionnels. Le jeu se boucle en une dizaine d’heures, missions annexes comprises, avec une progression rigide, sans options de rejouabilité, ni contenu post-crédit notable.
Le système d’évolution emprunte aux RPG les plus élémentaires : débloquer des attaques spéciales iconiques contre des points d’expérience, sans véritable personnalisation ni effet stratégique. Une fois les quelques compétences acquises, le gameplay cesse d’évoluer, verrouillant l’expérience dans une forme répétitive, sans souffle nouveau.
Aucune New Game +, aucun mode défi, aucun contenu bonus (artworks, galeries, cinématiques). Le joueur termine la campagne… et rien ne l’invite à replonger. L’économie du jeu repose sur une seule partie, avec quelques objectifs secondaires ponctuels, souvent redondants. L’absence de profondeur structurelle devient vite un plafond de verre, surtout pour une licence aussi riche en héritage narratif et visuel.
Sur le plan technique, aucun ajustement d’accessibilité, aucune option d’optimisation avancée, aucun correctif pour les soucis d’échelle, de visibilité ou d’interface. Les menus sont fonctionnels, mais impersonnels. Les systèmes de confort de jeu sont réduits au minimum vital.
Le jeu ne propose pas non plus de véritable galerie des références : aucun lexique, aucune base de données, aucune archive pour contextualiser les ennemis ou les événements — ce qui aurait été un ajout précieux, notamment pour les joueurs ne connaissant pas la série d’origine.
Tout ici donne l’impression d’un projet refermé sur lui-même, pensé comme une expérience courte, ciblée exclusivement sur la fibre nostalgique, sans projection ni ouverture. Une capsule temporelle — certes jouable —, mais hermétique à toute forme de prolongement.
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