Initialement développé par Interactive Studios en 1998 sur Nintendo 64, Glover revient sur le devant de la scène via la collection QUByte Classics, dans une réédition Switch publiée le 27 février 2025. Vous incarnez un gant magique anthropomorphe chargé de ramener l’équilibre au royaume du Château, après un accident de potion qui a dispersé les cristaux essentiels à travers des mondes interconnectés.
Mais cette résurrection rétro, pensée comme un hommage ludique à l’ère polygonale, réussit-elle à réenchanter la plateforme ou dévoile-t-elle les failles d’un design resté coincé dans les limbes ?
Une fable désarticulée dans un théâtre de cubes
L’histoire de Glover tient en quelques lignes : un sorcier rate une expérience, explose un cristal d’énergie, tombe dans le coma… et l’un de ses gants prend vie pour partir à la recherche des fragments disparus. L’autre gant, corrompu, devient l’antagoniste. Le royaume, divisé en six mondes thématiques, attend votre retour pour être restauré. Ce synopsis, s’il conserve un charme naïf, reste un simple prétexte à l’enchaînement de niveaux.
Aucun dialogue, aucune mise en scène animée, aucun personnage secondaire marquant ne vient enrichir ce conte minimaliste. Les rares tentatives de narration passent par des écrans fixes ou des introductions sommaires avant chaque monde. Le jeu ne cherche pas à raconter une aventure, mais à suggérer une trame féerique, comme un décor peint en arrière-plan de mécaniques pures.
Glover lui-même, en tant que protagoniste, repose uniquement sur son animation. Pas de voix, pas de texte, mais des gestuelles expressives et exagérées. C’est une présence physique, presque burlesque, plus proche d’un accessoire animé que d’un véritable personnage. Ce choix fonctionne dans l’esthétique du jeu original, mais aujourd’hui, il laisse un vide émotionnel que rien ne vient combler.
Les mondes traversés (cirque, forêt, monde aquatique, horreur…) suivent des codes esthétiques classiques, mais sans aucune contextualisation. Pas d’habitants, pas d’histoire locale, pas d’éléments narratifs à découvrir. L’univers de Glover est une série de plateaux abstraits, sans logique interne ni continuité thématique. Ce n’est pas un monde vivant : c’est un bac à sable suspendu dans le vide.
Un concept unique enchaîné par sa propre époque
Le gameplay de Glover repose sur une idée aussi brillante que casse-gueule : vous incarnez un gant capable de faire rouler, rebondir, flotter ou porter une balle qu’il vous faut amener intacte jusqu’à la fin du niveau. Chaque monde regroupe plusieurs niveaux semi-ouverts, où exploration, précision et logique s’entrelacent. Sur le papier, c’est une promesse d’originalité radicale. Dans les faits, c’est un cauchemar d’ergonomie héritée d’un autre temps.
La physique de la balle, élément central du jeu, varie selon sa forme : caoutchouc, bowling, cristal, chacun avec ses particularités de rebond, de poids et d’adhérence. Vous devez jongler entre ces formes en temps réel, selon les obstacles rencontrés. Ce système crée une tension constante, où chaque saut devient une prise de risque, chaque erreur vous renvoyant plusieurs plateformes en arrière. Le problème, c’est que la maniabilité ne suit pas.
La caméra, rigide et souvent désorientante, ruine la lisibilité des trajectoires. Le déplacement du gant manque de finesse, et les sauts, souvent imprécis, transforment la progression en exercice de frustration. Même si la Switch offre des contrôles plus réactifs que la Nintendo 64, aucune retouche n’a été apportée pour moderniser l’expérience. Pas de recentrage caméra automatique, pas de système de lock, pas même de sauvegarde intermédiaire dans les niveaux. C’est brut, et souvent injuste.
Le level design, quant à lui, alterne entre idées brillantes et séquences absurdes. Certains niveaux regorgent de trouvailles mécaniques : labyrinthes à la balle de bowling, puzzles environnementaux, plateformes mobiles chronométrées… mais l’ensemble est plombé par une architecture hostile, où la moindre chute vous condamne à recommencer une section entière. Aucun checkpoint dynamique, aucun filet de sécurité. La difficulté repose trop souvent sur des approximations techniques plus que sur une réelle exigence de gameplay.
Le portage Switch ne corrige rien. Il ne fluidifie pas la progression, ne propose pas d’option d’accessibilité ou de paramètres modernisés. C’est le jeu d’origine, brut, tel quel, sans relecture ni amélioration, et avec tous ses angles morts conservés intacts.
Des polygones figés dans l’ambre et une bande-son venue d’un rêve flou
Visuellement, Glover appartient à une époque bien précise : celle des premiers mondes en 3D, où la faible densité polygonale dictait l’esthétique. Le portage QUByte sur Nintendo Switch ne fait rien pour transcender cet héritage. Aucun filtre, aucun lissage, aucun travail de modernisation graphique. Ce que vous voyez, c’est littéralement la version Nintendo 64 avec un affichage plus stable.
Les textures sont grossières, souvent étirées, et les environnements, bien que variés dans leurs thématiques, manquent de détails, de profondeur, de vie. Chaque niveau semble posé dans le vide, sans ciel, sans horizon, sans liens logiques entre les objets. C’est un monde de blocs, d’angles morts et de surfaces vides. Même les effets visuels, comme les particules ou les ombres, sont réduits à l’essentiel.
Le plus problématique reste la lisibilité : certaines plateformes se fondent dans le décor, les repères sont flous, et les différences de hauteur sont parfois indiscernables. La caméra libre, rigide et mal intégrée, ne permet pas de compenser. Résultat : vous chutez souvent, non par erreur de timing, mais parce que le jeu ne vous montre pas clairement ce que vous faites.
La bande-son, signée par le compositeur Barry Leitch, conserve un charme étrange. Chaque monde a son thème, mélange de musique d’ambiance et de motifs mélodiques dissonants. Certaines compositions restent en tête – notamment celles du monde du cirque ou du château – mais l’ensemble semble parfois trop abstrait, trop vaporeux, comme un rêve sonore inachevé.
Les effets sonores, eux, sont fidèles à l’original, pour le meilleur et surtout pour le pire : des bruitages répétitifs, des sons de rebond stridents, des feedbacks audio pauvres voire absents lors des collisions ou des actions critiques. Aucun travail de remasterisation n’a été effectué pour équilibrer ou moderniser le mixage.
Il en résulte une direction artistique coincée entre l’expérimental d’époque et la pauvreté technique, qui n’est jamais sublimée par le portage. Ce n’est pas un hommage, ce n’est pas une restauration : c’est une archive jouable, inchangée, brute, aussi fascinante que frustrante.
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