Avec Gangs of Sherwood, le studio belge Appeal tente une relecture explosive du mythe de Robin des Bois. Révélé lors du Nacon Connect, le jeu avait pourtant tout pour attiser la curiosité : un univers steampunk, une promesse de coopération à quatre joueurs, et une volonté d’ancrer la légende dans un action-RPG contemporain.
Mais à mesure que l’on découvre ce qui aurait dû être une célébration iconoclaste du folklore anglais, le doute laisse place au désarroi, puis à une forme de consternation. Ni réinvention, ni hommage, Gangs of Sherwood se présente comme un gloubi-boulga mécanique et narratif, incapable de choisir une direction claire, enchaînant les maladresses avec une régularité inquiétante.
Une ambition éparpillée. Une vision floue. Et une exécution qui transforme la forêt de Sherwood en couloir sans issue.
Le mythe désossé, le récit disloqué
Dans Gangs of Sherwood, la légende de Robin des Bois est réinterprétée sans ligne directrice, sans cohérence thématique, et sans respect pour sa structure narrative d’origine. Le résultat n’est pas une relecture moderne, mais une parodie involontaire, écrasée sous le poids d’un récit confus, artificiel, et ponctué d’incohérences flagrantes.
Le joueur incarne Robin, Petit Jean, Marianne ou Frère Tuck dans un univers steampunk mâtiné de magie, d’alchimie et de mécaniques rétrofuturistes… sans que jamais ces éléments ne soient justifiés, contextualisés ou intégrés de manière organique. Robots géants, collecteurs de taxes robotiques, usage de la Pierre Philosophale : le jeu empile les concepts comme autant de références mal digérées, jusqu’à frôler l’absurde.
Mais la forme est encore plus problématique que le fond. Gangs of Sherwood adopte un double point de vue narratif schizophrène, alternant entre scènes jouées et segments présentés comme une pièce de théâtre racontée par un marionnettiste. Cette structure dissonante désynchronise constamment le joueur, brisant le rythme et la tension dramatique, sans jamais tirer profit de ce dispositif pour en faire un axe de mise en scène.
Les dialogues sont verbeux, creux, saturés de clichés. La caractérisation des personnages est inexistante, les enjeux flous, les motivations échappent à toute logique. Même les moments censés être fondateurs — la création du groupe, l’appel à la rébellion, les confrontations avec le Shérif — tombent à plat, noyés dans un flot de séquences mal rythmées, souvent mal jouées.
Ce n’est pas une trahison du mythe. C’est son effacement pur et simple, remplacé par un assemblage narratif sans ossature, dont la seule ambition semble être de cocher des cases esthétiques — sans jamais comprendre ce qu’elles représentent.
Combats mécaniques, structure égarée
Gangs of Sherwood se présente comme un action-RPG coopératif en ligne, mais ce qu’il propose réellement tient davantage du jeu d’action arcade cloisonné, aux ambitions contradictoires et à la structure mal articulée. À chaque instant, le titre semble hésiter entre beat’em up old school, hack’n’slash en escouade, jeu-service déguisé et RPG d’action sans interface — sans jamais parvenir à construire une colonne vertébrale stable.
Quatre personnages jouables : Robin, Frère Tuck, Petit Jean, et Marianne. Chacun avec son style, mais sans véritable synergie de groupe. Pire, le design des niveaux privilégie Robin au détriment des autres, son arc étant indispensable pour affronter certains ennemis à distance. Les autres doivent parfois faire des détours absurdes pour progresser, ruinant l’équilibre du gameplay solo.
Le système de combat repose sur des bases classiques : attaques légères et lourdes, esquive, saut, quelques capacités spéciales. L’ensemble est fonctionnel mais sans finesse, sans combo évolutif, sans mécanique d’enchaînement significative. Chaque coup est accompagné d’un effet de tremblement de caméra grotesque, rendant les affrontements non seulement illisibles, mais physiquement pénibles. Le motion sickness devient une réalité, pas un risque.
La construction des niveaux est d’un autre âge : couloirs linéaires, arènes fermées, points de contrôle arbitraires, avec quelques bifurcations anecdotiques pour masquer la vacuité du level design. Aucun sentiment d’exploration, aucun rythme naturel : tout est séquencé, contraint, artificiel.
Côté progression, le jeu introduit des mécaniques de RPG à peine esquissées : points d’expérience, favorabilité, or à dépenser chez des marchands. Mais rien n’est expliqué, rien n’est mis en scène, et ces systèmes, pourtant omniprésents, n’ont aucun impact lisible sur le gameplay. Même les quêtes annexes relèvent de l’alibi, souvent déclenchées sans contexte, résolues sans enjeu.
Le multijoueur, vendu comme cœur de l’expérience, ne propose aucune flexibilité : il faut quitter sa partie pour l’activer, impossible de rejoindre un ami en cours, pas de matchmaking dynamique. Et surtout, aucun mode local — une absence incompréhensible pour un jeu misant autant sur la coopération.
Gangs of Sherwood ambitionne un jeu à système, mais ce qu’il livre est une juxtaposition de mécaniques jamais finalisées, qui s’ignorent mutuellement plutôt qu’elles ne s’enrichissent.
L’éclat d’une coquille, l’écho d’un silence vide
Visuellement, Gangs of Sherwood affiche une ambition claire : soutenir son univers steampunk-fantastique avec une direction artistique à la hauteur. Mais cette ambition se heurte à des limites techniques, stylistiques et de mise en scène qui réduisent l’enrobage visuel à un simple vernis, sans profondeur ni cohérence d’ensemble.
Certes, certains environnements bénéficient d’un réel soin — quelques panoramas d’usines en flammes, des décors gothiques, des intérieurs richement modélisés. Mais l’ensemble reste figé, sans respiration, sans logique d’occupation. Les décors sont vides, sans interactions, sans verticalité, et toujours cloisonnés. L’architecture ne raconte rien. La géographie du monde n’a aucun sens. Sherwood n’est plus une forêt vivante, mais un couloir texturé.
Les personnages, eux, sont correctement modélisés. Robin, Marianne, Petit Jean, Tuck : chacun dispose d’un design clair, identifiable, avec des animations de combat parfois réussies. Mais aucune mise en scène n’accompagne ces modèles. Les séquences narratives sont rigides, souvent filmées de manière statique, sans direction de caméra, ni variation d’échelle. Les transitions sont sèches. Aucun souffle épique, aucune ampleur dramatique.
Pire : la caméra tremble à chaque action. Taper, tirer, esquiver, sauter… chaque interaction déclenche un soubresaut, rendant l’expérience rapidement éprouvante. Même en réduisant la sensibilité, la lisibilité des combats est détruite par ce choix de mise en scène absurde, symptôme d’une volonté de dynamiser artificiellement un système mécanique.
Côté sonore, le constat est tout aussi terne. La bande-son est générique, oubliable, composée de nappes orchestrales sans identité. Les bruitages manquent d’impact, les coups manquent de poids, et la spatialisation sonore est inexistante. Quant au doublage, il oscille entre le médiocre et l’involontairement comique, sans direction d’acteurs perceptible.
Tout ici donne l’impression d’un jeu encore en chantier visuel, où chaque élément existe en solo, sans harmonie, sans souffle, sans vision d’ensemble.
Fonctions absentes, systèmes abandonnés
Sous ses allures de jeu-service à composantes multiples, Gangs of Sherwood s’effondre dès qu’il s’agit de structure ou de fonctionnalités. Aucun de ses systèmes ne va au bout de sa logique. Aucune boucle de progression n’est pleinement exploitée. Tout semble amorcé, jamais achevé.
Le système de « faveur » — cette ressource récoltée en libérant des civils — n’est jamais expliqué. Ni son utilité, ni son lien avec la progression, ni son impact réel sur l’aventure. On la collecte, on l’accumule, sans savoir pourquoi. Même constat pour l’argent, omniprésent, mais dont l’usage fluctue sans logique : tantôt utilisé pour acheter des compétences, tantôt transformé en points d’expérience… au mépris total de l’identité de Robin des Bois.
Le système de missions secondaires est tout aussi désincarné. Déclenchées à l’aveugle, sans mise en contexte ni narration, elles se limitent à de courts segments recyclant des zones de la campagne principale. Aucun enjeu, aucune récompense mémorable, aucun plaisir de découverte.
Les checkpoints disséminés dans les niveaux servent à la fois de sauvegarde, de point de résurrection et de magasin ambulant. Mais là encore, aucune interface claire, aucun tutoriel, aucune lisibilité. L’ensemble est noyé dans des menus mal pensés, sans hiérarchie de l’information.
La personnalisation des personnages est réduite à quelques arbres de compétences, sans construction de build ni effet tangible en jeu. On débloque des attaques, sans comprendre ce qu’elles changent. Le feedback est absent, l’impact invisible.
Enfin, aucune fonction moderne ne vient relever l’expérience. Pas de mode photo, pas de New Game +, pas d’options d’accessibilité, pas de journal de quête, pas de filtre de lisibilité… Et surtout, pas de mode local, dans un jeu pensé pour la coopération. Un choix d’autant plus regrettable que la structure même du jeu — séquences courtes, gameplay immédiat, progression en escouade — s’y prêtait naturellement.
Gangs of Sherwood n’est pas simplement incomplet. Il est structurellement sous-développé. Tous les systèmes sont présents, mais aucun ne fonctionne pleinement.
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