Après avoir exhumé Front Mission 1st et Front Mission 2 dans deux remakes aux fortunes contrastées, Forever Entertainment remet le couvert avec Front Mission 3: Remake, en partenariat avec MegaPixel Studio. Disponible depuis le 26 juin 2025 sur Nintendo Switch, cette troisième itération entend clore la trilogie revisitée avec ce qui reste encore aujourd’hui l’épisode le plus ambitieux, le plus bavard et le plus narratif de la saga. Un jeu qui, en 1999, osait mêler simulation militaire, conflit géopolitique, systèmes économiques et scénario à embranchements dans un monde divisé entre blocs hégémoniques.
Mais ce retour en terrain tactique, s’il affiche la volonté de respecter le matériau d’origine à la ligne près, parvient-il à redonner forme à la tension politique, au poids des décisions, à la brutalité méthodique des affrontements ? Ou ne fait-il que reconstituer un mythe en surface, sans jamais retrouver la densité qui faisait de Front Mission 3 un épisode à part ?
Des protocoles secrets dans des ruines programmées
Front Mission 3: Remake reprend intégralement la structure narrative du jeu original, avec ses deux campagnes distinctes — celle de Kazuki Takemura et celle de Ryogo Kusama — déclenchées par un simple choix en apparence anodin. Deux lignes temporelles, deux blocs militaires, deux visions opposées du conflit. Ce double récit, rare en 1999, conserve aujourd’hui une forme d’élégance brute, sans que le remake n’en modifie la substance. Mais cette fidélité intégrale, revendiquée comme un gage de respect, révèle aussi ses failles.
Les personnages sont nombreux, bavards, encastrés dans des dialogues qui alternent froideur fonctionnelle et fulgurances politiques. Kazuki, ingénieur impulsif projeté malgré lui dans un complot industriel à grande échelle, incarne le vecteur idéal pour explorer les mécaniques souterraines d’un monde fragmenté par la guerre froide post-nationale. Ryogo, son contrepoint plus cynique, ramène l’intrigue sur le terrain de l’humain : doute, loyauté, résignation.
Mais les autres figures, souvent réduites à des rôles typologiques — la scientifique piégée, le frère disparu, le mercenaire à l’éthique instable — peinent à exister au-delà de leur fonction narrative. Aucun doublage ne vient porter les voix. Aucun remaniement n’actualise le phrasé. On lit les mêmes lignes qu’en 1999, avec les mêmes cadrages rigides, les mêmes silences. Le jeu reste prisonnier de ses fenêtres de texte, aussi bavard qu’il est figé.
Le monde, en revanche, garde son épaisseur. L’USN, l’Océania Cooperative Union, la République populaire de Da Han Zhong… chaque bloc géopolitique possède une logique interne, une histoire, une ambition claire. Les tensions ne sont pas réduites à un prétexte narratif : elles structurent chaque mission, chaque interaction, chaque révélation. C’est là que le jeu affirme encore sa pertinence. Dans sa manière de montrer un monde fractionné non pas par le bien et le mal, mais par des visions incompatibles de la stabilité.
Mais cette densité théorique se heurte à l’absence de mise en scène. Aucune séquence ne vient transcender les mots. Aucun geste, aucune rupture visuelle ne donne chair à l’effondrement politique qu’il prétend raconter. La guerre reste abstraite. Le danger reste désincarné. Ce n’est pas un problème d’écriture, c’est un manque de chair.
Des échiquiers d’acier et des marges sans faille
Le gameplay de Front Mission 3: Remake repose sur une mécanique de combat tactique en cases isométriques, figée dans une logique militaire pure. Chaque unité — Wanzer — est un assemblage modulaire : châssis, bras, jambes, armes, CPU. Chaque pièce peut être ciblée, détruite, remplacée. Le jeu ne propose pas de héros invincibles ni d’escouades flamboyantes. Il propose des machines lourdes, lentes, précises, où chaque tir est une opération chirurgicale, chaque déplacement un risque calculé.
La profondeur du système repose sur cette granularité : la gestion de la chaleur, des points d’action, de l’énergie des modules, des zones de tir. L’issue d’un affrontement dépend moins de la chance que de la construction de votre Wanzer, de son positionnement exact et du choix d’une stratégie pensée plusieurs tours à l’avance. Ce n’est pas un combat. C’est une planification. Une méthode. Une descente froide dans une violence technologique maîtrisée.
Mais si la structure mécanique reste solide, le remake ne vient jamais la réinterroger. Aucune révision d’équilibrage. Aucun ajustement d’IA. Les batailles reprennent leur architecture originelle, avec les mêmes scripts, les mêmes déclencheurs, les mêmes routines. L’ennemi reste passif, prévisible, presque scolaire. L’habillage graphique a changé, mais les lignes de code tactique sont restées immobiles.
L’interface de combat, pourtant légèrement modernisée, reste rigide. Les menus conservent leur logique arborescente, les animations sont lentes, les déplacements souffrent d’un pathfinding archaïque. Le temps mort entre les actions, les confirmations répétées, la lisibilité approximative des zones de tir : tout cela trahit l’absence de remise à plat. Le jeu vous offre les outils d’un stratège, mais vous les tend à travers une vitre.
Le cœur du gameplay reste intact. Il bat encore. Mais il bat dans un cadre ancien, reconstruit plan par plan, sans qu’aucune pièce nouvelle ne vienne perturber la symétrie.
Des machines lissées dans un décor de carton
Visuellement, Front Mission 3: Remake opère un lifting partiel. Les Wanzers bénéficient d’un traitement soigné : textures métalliques, animations mécaniques, effets d’impact. Chaque machine gagne en lisibilité sans perdre sa silhouette anguleuse d’origine. Le travail de modélisation respecte l’identité militaire du jeu, sans excès de brillant, sans caricature futuriste. Le métal reste lourd. Les coups portent. Mais tout autour, l’environnement trahit un moteur de remake limité.
Les champs de bataille sont vides. Les décors urbains se répètent. Les arrières-plans évoquent plus le décor d’un simulateur que le théâtre d’une guerre globale. Les zones industrielles, les bases, les plaines, les ports : tout semble peint à la truelle, sans perspective, sans profondeur. Il n’y a aucune tentative d’injection d’échelle, aucun effort pour situer le conflit dans un monde crédible. Ce sont des damiers posés sur des maquettes. On y joue, on n’y croit pas.
Les portraits des personnages, retravaillés en HD, sont restés figés dans leur époque. Le trait est propre, les couleurs sont plus nettes, mais les expressions demeurent statiques. Aucun doublage ne vient donner corps aux dialogues. Aucun travail d’animation faciale ne vient porter les dilemmes ou les tensions. L’ensemble conserve une distance froide, une neutralité graphique qui empêche l’émotion de traverser l’écran.
La bande-son, réorchestrée, conserve les compositions originales de Koji Hayama, dans une version plus ample, plus claire, mais moins texturée. Les nappes électroniques, les motifs militaires, les thèmes de mission ou de briefing conservent leur justesse fonctionnelle, sans jamais se réinventer. Ce n’est pas une relecture musicale. C’est une copie remastérisée. Propre. Correcte. Sans audace.
Les bruitages, eux, manquent cruellement de relief. Les impacts de missiles, les tirs, les bruits d’éjection ou d’écrasement ont perdu en violence ce qu’ils ont gagné en clarté. Les champs de bataille sonnent creux. Le métal cogne sans masse. Les explosions vibrent sans souffle. La guerre ne fait pas de bruit.
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