Il y a des horreurs qu’on ne peut nommer, des ombres qui rampent à la lisière de la conscience, prêtes à consumer l’âme de ceux qui osent trop s’en approcher. Forgive Me Father, développé par Byte Barrel et sorti sur Xbox Series, puise directement dans cet imaginaire torturé pour proposer un FPS nerveux et cauchemardesque, où les balles sifflent au milieu des cris déformés de créatures venues d’un autre monde. Inspiré des classiques du genre, il fusionne le rythme effréné des années 90 avec une direction artistique inspirée du comics d’horreur, le tout plongé dans une ambiance lovecraftienne suffocante.
Mais l’horreur véritable n’est-elle pas celle qui s’immisce lentement dans l’esprit, corrompant jusqu’à la perception de la réalité ? Forgive Me Father ne se contente pas d’envoyer des vagues de monstruosités à abattre : il transforme la descente aux enfers en une mécanique ludique, une spirale où l’action et la démence ne font qu’un. Mais cette fusion fonctionne-t-elle réellement ? Ou n’est-ce qu’une incantation incomplète, une promesse rongée par ses propres contradictions ?
Dans l’ombre de l’indicible, la foi vacille
Là où tant de jeux d’horreur cherchent à vous plonger dans la peau d’un héros en quête de rédemption ou de vérité, Forgive Me Father fait le choix de l’abandon. Ici, il n’est pas question de sauvetage ni de retour à la normale. Vous êtes un prêtre ou une journaliste, figures de raison et de croyance, précipités dans un monde où les lois de la réalité se distordent, où les visages familiers deviennent des monstruosités rampantes et où le doute s’insinue à mesure que la démence s’empare de vous.
Le jeu ne s’encombre pas d’une narration dirigiste : les fragments d’histoire sont disséminés au fil des niveaux, à travers des écrits délirants, des pages arrachées d’anciens grimoires et des murmures qu’il vaudrait mieux ne pas écouter. Le choix d’un protagoniste ne modifie pas fondamentalement l’intrigue, mais teinte différemment la descente aux enfers, chaque personnage ayant son propre prisme pour interpréter l’horreur qui l’entoure.
Là où Forgive Me Father trouve une véritable originalité, c’est dans son approche de la folie. Contrairement aux habituelles jauges de santé mentale utilisées dans de nombreux jeux lovecraftiens, ici, sombrer dans la démence n’est pas une punition, mais une arme. Plus l’esprit du personnage cède sous le poids de l’horreur, plus ses capacités deviennent puissantes, transformant la terreur en un outil de destruction. Ce paradoxe, où la perte de raison devient une nécessité pour survivre, donne au jeu une tonalité aussi cruelle que jouissive, renforçant cette impression d’un combat perdu d’avance contre l’indicible.
Mais cette narration éclatée et cette approche thématique audacieuse suffisent-elles à créer un univers mémorable ? C’est là que Forgive Me Father montre ses limites. Si l’atmosphère et les inspirations lovecraftiennes sont indéniables, l’histoire reste en retrait, peinant à offrir des personnages réellement marquants ou une intrigue captivante au-delà de sa simple proposition horrifique. Il ne suffit pas d’évoquer l’horreur cosmique pour en capturer toute la force : ici, l’ambiance est là, mais le poids narratif ne suit pas toujours, laissant parfois le joueur plus spectateur qu’acteur d’un récit qu’il ne fait qu’effleurer.
Là où l’univers de Forgive Me Father aurait pu déployer toute sa puissance évocatrice, il semble se contenter d’un décor de cauchemar, où la démence est une mécanique plus qu’une véritable exploration psychologique. Une plongée effroyable, certes, mais qui laisse en arrière quelques questions non résolues, quelques échos d’un récit qui aurait pu aller plus loin.
Un bain de sang rythmique où la folie dicte la cadence
Forgive Me Father ne cherche pas à jouer la carte du survival horror, ni même celle d’un FPS tactique : ici, tout est question de frénésie et de destruction absolue. Chaque niveau est un couloir de l’horreur où seuls le mouvement constant et une gestion millimétrée de son arsenal garantissent la survie.
L’héritage des FPS des années 90 se ressent immédiatement : des niveaux labyrinthiques, une vitesse de déplacement vertigineuse, un arsenal varié et des vagues d’ennemis qui déferlent sans relâche. L’exploration récompense les joueurs les plus méthodiques, chaque recoin pouvant cacher des munitions salvatrices, des secrets bien dissimulés ou des monstres tapis dans l’ombre, attendant leur moment pour frapper. Aucune main tendue, aucune aide : c’est un jeu qui vous apprend à survivre dans la douleur.
Mais Forgive Me Father ne se contente pas d’être un simple hommage à Doom ou Blood : il injecte une mécanique qui le distingue du simple défouloir pixelisé. La folie est un outil, une mécanique évolutive qui transforme progressivement la façon dont vous abordez le combat. Plus la démence gagne du terrain, plus vos capacités deviennent dévastatrices, vous permettant de déchaîner des pouvoirs surnaturels en plus de votre arsenal traditionnel. Accepter la folie, c’est devenir un monstre parmi les monstres, rejetant les dernières miettes de rationalité au profit d’une puissance absolue.
L’arsenal, lui, est un festival de brutalité, mêlant armes classiques revisitées (fusil à pompe, mitraillette, revolver) et artéfacts impies qui transforment chaque affrontement en une explosion d’hémoglobine et d’énergie occulte. Chaque arme possède une évolution influencée par la progression du joueur, et l’intégration du système de folie ajoute une nouvelle couche de profondeur, obligeant à équilibrer l’usage des armes conventionnelles et des compétences surnaturelles.
Cependant, si l’expérience est viscérale et indéniablement efficace, elle n’est pas exempte de défauts. Certains niveaux souffrent d’un level design trop confus, où les objectifs se perdent dans un dédale de couloirs, forçant le joueur à errer sans direction claire. Si l’exploration est une part essentielle du genre, ici, elle peut parfois virer à la frustration, faute d’une lisibilité optimale. L’IA ennemie, elle, oscille entre des assauts frénétiques et des comportements étrangement apathiques, réduisant l’intensité de certains affrontements qui auraient mérité une menace plus intelligente.
Reste que Forgive Me Father remplit son contrat en matière de sensations fortes : c’est brutal, c’est viscéral, et c’est conçu pour pousser à l’adrénaline pure, quitte à sacrifier une partie de la lisibilité et de la stratégie au profit de l’intensité et du spectacle sanglant. Un véritable bain de démence où le seul espoir de survie est de ne jamais lâcher la gâchette.
Un cauchemar illustré, un vacarme possédé
Si Forgive Me Father frappe fort dès les premières secondes, c’est grâce à son esthétique unique, une fusion entre l’horreur lovecraftienne et le comics d’épouvante. Ici, chaque texture semble griffonnée à l’encre noire, chaque ombre est une entité propre, et chaque ennemi ressemble à un croquis cauchemardesque arraché d’un grimoire interdit. Ce style donne au jeu une identité visuelle forte, bien loin des standards lisses et réalistes habituels.
Mais cette direction artistique osée ne se contente pas d’être une façade esthétique : elle se déforme avec la progression du joueur. Plus la folie grandit, plus le monde se corrompt, les couleurs s’intensifient, les traits deviennent plus bruts, les décors plus chaotiques, comme si l’univers lui-même se délitait sous la pression de l’indicible. Cette approche donne une profondeur immersive, renforçant le malaise et la tension constante qui accompagne chaque pas dans ce monde maudit.
Les ennemis ne sont pas de simples monstres, ce sont des aberrations grotesques, des silhouettes déformées aux mouvements saccadés, des visages où l’horreur pure s’imprime dans chaque expression figée. Chaque confrontation devient une scène de bande dessinée en mouvement, où le sang éclabousse comme un trait de pinceau maléfique, et où la mort devient une macabre illustration aux contours déchirés.
Forgive Me Father adopte une approche sonore percutante, mêlant ambiances malsaines et déferlantes de métal. Les riffs saturés s’intensifient lors des combats, transformant chaque fusillade en un carnage rythmé, tandis que les phases d’exploration s’enveloppent de murmures lointains, de râles inquiétants et de nappes sonores sinistres. Le son ici n’est pas un simple accompagnement, c’est une présence, une menace sourde qui pèse sur chaque instant.
Chaque tir claque avec un impact viscéral, chaque coup porté résonne avec une violence sourde, et chaque cri d’agonie s’étire en un écho malsain. Les gémissements abominables, les râles de créatures impossibles, le martèlement des pas dans des couloirs imbibés d’effroi : chaque détail sonore alimente la tension, renforçant l’impression d’être pris au piège d’un cauchemar dont on ne se réveille pas.
Cependant, si l’habillage sonore et visuel est une réussite, certaines imperfections ternissent légèrement le tableau. Certains décors finissent par manquer de variété, certaines animations ennemies souffrent d’un manque de fluidité, et la musique, bien que puissante, pourrait proposer plus de variations, évitant ainsi une certaine redondance dans l’intensité des affrontements.
Mais ces défauts restent mineurs face à la force brute de l’identité artistique du jeu. Forgive Me Father ne cherche pas à être beau, il cherche à être cauchemardesque, à être dérangeant, à s’imprimer dans la rétine comme une fresque d’horreur qu’on ne pourra plus jamais effacer.
Un moteur possédé par ses propres démons
Si l’esthétique de Forgive Me Father capture à merveille l’essence d’un cauchemar vivant, la machine qui l’anime grince encore sous le poids de ses imperfections. Bien qu’optimisé pour tourner de manière fluide sur Xbox Series, le jeu souffre encore de quelques aspérités techniques, nuisant légèrement à l’expérience brutale et rythmée qu’il cherche à imposer.
En termes de performances, le framerate reste globalement stable, même dans les séquences les plus frénétiques où les ennemis affluent par vagues entières. Les temps de chargement sont réduits, et aucun ralentissement majeur ne vient briser l’intensité des affrontements. Mais si l’action reste fluide, quelques bugs graphiques et problèmes de collision viennent parfois perturber l’immersion. Certains éléments du décor ne réagissent pas correctement aux impacts, et il arrive que des ennemis restent figés ou adoptent des comportements étranges, notamment lorsqu’ils tentent de naviguer dans des environnements complexes.
L’IA des adversaires, d’ailleurs, oscille entre frénésie et incohérence. Parfois agressifs et implacables, parfois étrangement apathiques, les monstres alternent entre des phases de poursuite intense et des moments où ils semblent hésiter sur la marche à suivre. Ce comportement imprévisible renforce parfois la tension, mais diminue également l’intensité de certains affrontements, qui reposent davantage sur le nombre d’ennemis présents que sur leur réelle intelligence de combat.
L’interface et les contrôles, eux, sont bien adaptés à la Xbox Series, même si le système d’auto-visée intégré à cette version peut sembler trop permissif. Les options de personnalisation des contrôles restent limitées, empêchant un ajustement fin de la sensibilité, ce qui pourrait frustrer certains joueurs habitués à une configuration plus réactive.
Enfin, si le jeu reste techniquement solide, il aurait gagné à proposer plus d’options d’accessibilité pour améliorer le confort de jeu, notamment en permettant d’ajuster l’intensité des effets visuels, qui peuvent parfois saturer l’écran au point de nuire à la lisibilité de l’action.
Forgive Me Father tient la route sur Xbox Series, mais ses imperfections techniques trahissent encore une certaine rigidité, un manque de finesse dans la gestion des détails qui empêche l’expérience d’atteindre une fluidité parfaite. Le cauchemar fonctionne, mais son exécution mécanique mérite encore quelques exorcismes.
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