Développé par Sunset Arctic Games, Fool’s Pub est disponible sur Nintendo Switch depuis le 3 juillet 2024. Présenté comme une adaptation vidéoludique du bluff social, le jeu promet d’instaurer autour de la console l’électricité des soupçons, la fièvre des regards fuyants, la jubilation du mensonge orchestré. Mais sous le vernis de la convivialité annoncée, la formule est-elle à la hauteur de son ambition ? Fool’s Pub parvient-il à recréer la tension, le doute et l’intensité du jeu de société, ou ne propose-t-il qu’une succession de tours sans relief, condamnés à tourner à vide faute d’incarnation et de véritable dramaturgie ?
Le mensonge et la ronde sans enjeux
L’histoire de Fool’s Pub s’efface derrière sa mécanique. Il n’est pas question ici de récit construit ni de personnages à incarner, mais d’archétypes dépersonnalisés jetés dans l’arène froide d’une taverne numérique. Aucun nom, aucune trajectoire : seulement des rôles à endosser, pirate ou citoyen, complice ou victime, interchangeables d’une partie à l’autre, vidés de toute épaisseur. Le jeu évacue d’emblée l’illusion de la fiction pour se concentrer sur la simulation brute du bluff : pas de progression narrative, pas de dialogues à déchiffrer, aucune tentation de charpenter une intrigue ou d’installer une tension psychologique durable.
Dans ce huis clos minimaliste, tout est affaire de gestes mécaniques : miser, accuser, démasquer, recommencer. L’absence totale d’écriture se transforme ici en vide émotionnel. Sans histoire, sans caractérisation, sans voix pour porter la méfiance ou la panique, Fool’s Pub ne propose qu’un théâtre déserté, où la parole n’est plus qu’un protocole stérile. La taverne, censée accueillir la jubilation du mensonge et la violence feutrée du soupçon, se révèle être un décor sans chair, un espace où l’on ne se raconte rien et où l’on ne retient personne.
Le rituel du bluff épuisé par la routine
Le cœur de Fool’s Pub repose sur une boucle de gameplay qui refuse tout artifice : chaque partie se résume à un enchaînement d’accusations, de paris et de votes, sans que la mécanique n’offre la moindre surprise. Le joueur sélectionne son rôle en début de manche, lance une série de paris pour accumuler des points ou semer le doute, puis mise sur la capacité de ses adversaires à trahir ou à dissimuler. Ce dispositif, qui se veut l’héritier numérique des grands classiques du bluff, s’effondre dès les premières minutes sous le poids de sa propre austérité.
L’absence de progression, d’objectifs secondaires ou de compétences à débloquer confine chaque session à la répétition pure : aucun renouvellement du rythme, aucun bouleversement du tempo, aucune montée de tension ne viennent relancer la partie. Les actions autorisées se résument à trois ou quatre interactions, systématiquement identiques d’un tour à l’autre. Le bluff, privé de nuances, devient mécanique : on ment sans conviction, on accuse par automatisme, on dévoile sa main faute de pouvoir manipuler subtilement la partie. La victoire, plus souvent affaire de hasard que de réelle stratégie, retire au jeu toute dimension d’apprentissage ou de progression. L’expérience, conçue pour s’adapter à la dynamique du multijoueur local ou en ligne, ne parvient jamais à transcender l’enchaînement des coups, et laisse chaque participant sur la touche d’une partie qui n’a jamais vraiment commencé.
La promesse d’une taverne électrique se dilue ainsi dans un rituel froid, où la répétition s’impose comme la seule règle et où la tension, pourtant cœur du genre, ne trouve jamais de point d’ancrage.
Le vernis figé d’une illusion de convivialité
L’ambition graphique de Fool’s Pub s’arrête à la surface : le jeu affiche un décor de taverne standardisé, baigné de lumières pâles et peuplé d’avatars génériques, dont l’immobilité trahit immédiatement le manque de moyens comme d’inspiration. Les animations se réduisent à quelques transitions rigides : aucun geste, aucune expression faciale, aucune interaction visuelle ne vient soutenir la tension du bluff. L’absence totale de personnalisation, la pauvreté des détails et la répétition des plans plongent chaque session dans un anonymat visuel qui achève d’éteindre la moindre flamme ludique.
La bande-son, tout aussi discrète que l’habillage graphique, se contente d’une boucle musicale sans âme, oubliée avant même d’avoir suscité le moindre frisson. Les effets sonores, rares et sans relief, ne participent jamais à l’édification d’une atmosphère : aucun impact, aucune montée de suspense, aucun crescendo dramatique. La taverne, qui aurait dû devenir le théâtre sonore des complicités et des trahisons, se transforme en salle d’attente sonore, incapable d’installer l’ambiance du jeu social qu’elle prétend incarner.
Ce vernis visuel et sonore, d’une neutralité clinique, achève d’étouffer ce que le bluff aurait pu, dans d’autres mains, transformer en vertige ou en jubilation collective.
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