Sorti le 14 mai 2025 sur PC, Final Fall n’est pas un jeu d’horreur. C’est une descente. Vous incarnez Ophelia, enfermée dans un hôpital désaffecté après une tentative de suicide. Pas d’inventaire. Pas d’arme. Juste un esprit fendu, un espace instable, et une question qui refuse de mourir.
Développé par Emmanouil Kaparakis, le titre multiplie les ruptures : hallucinations tangibles, murs qui bougent, personnages impossibles. Trois morts — trois chutes — et votre sauvegarde est effacée. Définitivement. Pas pour choquer. Pour faire comprendre. Ce monde ne veut pas que vous gagniez. Il veut que vous regardiez.
Final Fall ne simule pas la folie. Il vous la tend comme un miroir déformé. Et vous demande combien de temps vous oserez regarder.
Mémoires lacunaires et terreur programmée
Final Fall commence dans un lit d’hôpital. Un monologue haché. Une voix trop calme. Une lumière trop blanche. Vous êtes Ophelia. Vous ne savez pas pourquoi vous êtes là. Mais tout — chaque mur, chaque note médicale, chaque hallucination — semble déjà vous connaître. Le jeu ne déroule pas un récit. Il le déconstruit. Lentement. Brutalement. Dans le désordre.
La narration repose sur un faux calme. Pas de jumpscares, pas de journal de quête, pas de timeline claire. Ce sont les détails qui s’accumulent : une date qui ne correspond pas, un nom qui revient dans chaque salle, un visage qui change. Le récit vous manipule sans prévenir. Ce que vous découvrez, vous ne l’apprenez pas. Vous le ressentez.
Mais cette approche a un prix. L’ambition narrative de Final Fall vacille parfois sous son propre dispositif. Certaines révélations tombent à plat, trop prévisibles ou mal rythmées. D’autres se perdent dans une surcharge symbolique qui confond complexité et opacité. Le jeu veut briser votre compréhension. Mais il oublie parfois de la reconstruire.
Ophelia, quant à elle, reste un vecteur plus qu’un personnage. Sa voix-off guide, mais n’incarne pas. Sa douleur est dite, mais rarement vécue. C’est là que le jeu heurte sa propre ambition : à vouloir rendre l’horreur mentale universelle, il finit parfois par la rendre abstraite.
Il y a une volonté, claire, d’aller plus loin que l’horreur codifiée. Mais cette volonté mériterait plus de contrôle, plus de nerf, plus d’écoute.
Perdre pied, perdre forme, perdre le droit de recommencer
Le gameplay de Final Fall repose sur une idée centrale : chaque action est une fracture. Vous n’interagissez pas pour progresser, mais pour déstabiliser. Chaque porte ouverte déplace les murs. Chaque souvenir réveillé modifie l’espace. Et derrière ce décor en ruine, le jeu vous observe.
Pas de système classique ici. Pas de HUD. Pas d’inventaire permanent. Vos repères sont auditifs, architecturaux, psychologiques. L’hôpital se transforme à mesure que votre état mental s’effondre. Vous passez d’une salle à l’autre, mais ce ne sont jamais les mêmes. Les chemins se referment. Les angles changent. Ce que vous croyez comprendre vous sera retiré à la minute suivante.
Le cœur du système repose sur le risque. Si vous échouez — et surtout si vous choisissez d’échouer — trois fois, votre sauvegarde est supprimée. Définitivement. Ce n’est pas un effet de manche. C’est le noyau du jeu. Mourir, c’est trahir. Et Final Fall punit cette trahison en vous arrachant le droit d’apprendre.
Mais cette audace mécanique se heurte à une exécution fragile. Les interactions sont peu précises. Certains déclencheurs de progression sont mal signalés, créant plus de confusion que de tension. Le danger devient flou, non pas parce qu’il est inquiétant, mais parce qu’il est mal cadré. Et dans un jeu qui repose autant sur la perception, ce flou nuit à l’impact.
Les puzzles, rares, s’intègrent mal à la logique du récit. Ni vraiment mentaux, ni réellement symboliques, ils servent plus de ralentisseurs que de révélateurs. On avance, on décode, mais on ne comprend pas toujours pourquoi. La mécanique devient parfois une formalité, là où elle devrait être une blessure.
Couloirs déchirés et cris en hors-champ
Visuellement, Final Fall se tient entre deux états : suffisamment défini pour évoquer la réalité, suffisamment distordu pour l’éroder. L’hôpital, cœur du jeu, n’est pas un lieu. C’est une plaie architecturale. Les textures se répètent, les murs s’étirent, les perspectives dévient. Rien n’est stable. Même l’éclairage hésite : tantôt surexposé, tantôt noyé dans une obscurité poisseuse. Le jeu ne vous guide pas. Il vous perd — volontairement.
Mais cette instabilité visuelle, pensée comme langage, se heurte à des limites techniques criantes. Les modèles sont grossiers, les animations rigides, et certains effets de distorsion finissent par ressembler à des bugs plus qu’à des hallucinations. À force de vouloir brouiller la ligne entre perception et fiction, Final Fall brouille aussi la lisibilité. Ce n’est pas toujours dérangeant. Parfois, c’est juste mal fini.
La bande-son, elle, s’en sort mieux. Les nappes sont subtiles, infiltrées, à la frontière du bruit et de la musique. Les sons ne ponctuent pas l’action : ils la contaminent. Un grincement persiste sans justification. Une voix murmure sans source. Un écho se dédouble sans logique. L’environnement sonore devient un agent du récit. C’est là que le jeu trouve sa force : dans les instants de dissonance, pas dans les explosions.
Les rares moments de silence absolu sont, paradoxalement, les plus efficaces. Ils figent le joueur. Ils le confrontent. Et ils rappellent que le vrai malaise ne vient pas d’un cri, mais de l’absence totale de son, quand l’horreur attend.
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