Développé par Phoenix Labs, studio canadien jusque-là connu pour Dauntless, Fae Farm a pris racine le 8 septembre 2023 sur Nintendo Switch, cultivant l’espoir d’un renouveau dans le champ fertile mais sclérosé des simulations agricoles. Si son ambition de rivaliser avec Rune Factory est affirmée, sa méthode diffère : là où Marvelous perpétue une tradition, Phoenix Labs taille une nouvelle voie, mêlant construction, magie, RPG et inclusion dans une même terre nourricière.
Dès les premières minutes, Fae Farm intrigue autant qu’il désoriente. Sa direction artistique chamarrée, digne d’un rêve éveillé, embrasse la douceur du pastel et la légèreté de l’aquarelle. Vous incarnez un voyageur échoué sur l’île d’Azoria, accueilli sans heurts par la maire Merritt et bientôt propulsé dans un monde ouvert fait de ronces, de secrets… et de potions de fertilisation.
Mais ce qui pourrait n’être qu’un simple conte d’évasion s’ancre rapidement dans des choix radicaux. Le jeu vous tutoie, vous guide, vous cadre. La personnalisation de l’avatar esquive les canons traditionnels pour proposer une représentation agenre affirmée, avec des options volontairement neutres, y compris dans le choix des pronoms. Si cette approche inclusive témoigne d’une modernité salutaire, elle s’accompagne de limites formelles frustrantes : les quatre morphologies disponibles s’avèrent peu différenciées, réduisant les possibilités d’incarnation à une silhouette lisse, presque éthérée.
Et cette ambivalence se retrouve dans tout Fae Farm. L’interface, bien que limpide dans ses intentions, pêche par un contraste discutable (du texte blanc sur fond noir en toutes circonstances), tandis que la narration, pourtant pétrie de bonnes intentions, hésite entre le conte philosophique et le didacticiel infantilisant. Difficile alors de cerner à qui se destine vraiment cette aventure : trop bavarde pour les enfants, trop guidée pour les vétérans, trop douce pour les amateurs de défis… mais sans cesse fascinante dans ses audaces.
Sous la mousse, la magie d’un système racinaire neuf
Si Fae Farm s’inscrit dans l’ombre des géants du genre, c’est pour mieux en briser les carcans. Là où tant de jeux agricoles enchaînent le joueur à un rythme millimétré de labours, d’arrosages et de récoltes, Phoenix Labs opte pour une liberté de mouvement et d’action inédite. Vous courez, sautez, planez, tourbillonnez, et même nagez dès les premières heures de jeu, abolissant les contraintes souvent imposées par les simulations champêtres. Ce monde est un jardin sans clôture, une île sans verrou, que vous apprivoisez à votre façon.
Le cœur de l’expérience, comme souvent, bat dans votre lopin de terre. Mais ici, l’agriculture n’est plus une mécanique isolée : elle s’inscrit dans un écosystème vivant et décoratif. Chaque élément posé, chaque meuble construit autour de votre maison modifie le confort de votre intérieur, influant directement sur votre endurance ou vos points de vie. L’interface de construction est limpide, fluide, et permet une personnalisation poussée digne d’un Animal Crossing: New Horizons. L’effet est immédiat : ce qui, ailleurs, relève du cosmétique, devient ici une variable stratégique intégrée au gameplay.
Et cette philosophie irrigue l’ensemble du titre. Les outils, par exemple, ne s’encombrent d’aucune sélection manuelle fastidieuse : maintenez simplement le bouton A, et votre personnage choisira spontanément le bon instrument, qu’il s’agisse de couper une souche, sarcler un champ ou arroser une graine. Une idée aussi simple qu’élégante, qui réduit la friction sans appauvrir la sensation de jeu.
L’économie locale, elle, préfère la délicatesse à l’instantané. Pas de boîte magique où jeter son surplus de navets : il faut se rendre au marché, exposer ses marchandises sur des étals, et attendre qu’un villageois s’en empare. Un système original, presque poétique, bien que parfois un brin contraignant par l’absence de mécanique d’offre et de demande. Il manque à cette jolie idée une vraie gestion de la rareté ou du besoin – ce que Moonlighter ou Harvestella intégraient plus subtilement.
L’autre pan fondamental de Fae Farm repose sur son exploration. Dans la plus pure tradition des Rune Factory, vous vous enfoncez dans des mines truffées de monstres, de minerais et de recettes oubliées, avec la possibilité de recourir à un multijoueur coopératif aussi fluide que convivial. Particularité notable : les combats peuvent être totalement évités si vous le souhaitez, via des potions d’invisibilité ou de téléportation. Une vision inclusive du RPG, qui laisse le joueur choisir son style, même au détriment de la difficulté.
Et à l’ombre de toutes ces mécaniques bien huilées pousse un almanach touffu, outil à la fois complet et laborieux. Pour découvrir la fonction d’un objet ou la recette d’un ingrédient, il faut y plonger systématiquement – une inertie regrettable dans une aventure si dynamique par ailleurs.
Reste une boucle de gameplay solide : cultiver, décorer, explorer, progresser dans le scénario, tisser des liens sociaux… Une recette connue, mais relevée par une vision moderne, faite de micro-innovations cohérentes et bien pensées, où l’ancien et le neuf poussent côte à côte comme dans un parterre d’herbes aromatiques.
Mille teintes d’Azoria : entre lueur féerique et ombre technique
Le charme de Fae Farm opère d’emblée. Sa direction artistique est un enchantement : chaque recoin d’Azoria semble sortir d’un conte lumineux, baigné d’une aura pastel et enveloppé de particules scintillantes qui dansent dans l’air. On pense à Disney Dreamlight Valley, mais avec une touche plus naturelle, plus brumeuse, presque sylvestre. Le jeu donne parfois l’impression de flotter dans un rêve éveillé, où les couleurs n’obéissent qu’à une logique de douceur et de féerie.
Cette réussite esthétique, loin de se limiter à une simple vitrine, influe profondément sur le plaisir de jeu. Chaque biome visité — forêt aux feuillages irisés, souterrains baignés de brumes verdâtres, plages nacrées ou cavernes cristallines — affirme une identité propre, au point que l’exploration devient un acte contemplatif à part entière. Et lorsqu’un lieu est bloqué par d’épais ronces magiques, c’est un pincement au cœur tant le désir d’en découvrir la suite se fait pressant.
Les animations accompagnent cette poésie visuelle avec un certain sens du détail. Les sauts s’enchaînent avec souplesse, les effets lumineux des potions ponctuent les affrontements de leur éclat, et même les personnages — aux allures volontairement enfantines — évoluent avec une gestuelle fluide qui colle à l’univers.
Mais ce tableau féerique, sur Nintendo Switch du moins, s’effrite à l’approche de la technique. Les textures bavent parfois en mode TV, les contours perdent en netteté, et surtout… les temps de chargement se font trop fréquents. Chaque transition entre les zones, chaque retour à la ferme, s’accompagne de longues secondes d’attente, et leur répétition casse le rythme de manière non négligeable.
La bande-son, en revanche, vient colmater les brèches. Discrète, mais habilement orchestrée, elle accompagne l’aventure de nappes mélodiques douces et de percussions légères, à la croisée entre l’ambient forestier et l’instrumental pastoral. Aucun morceau ne s’impose, mais tous soutiennent l’ambiance : il s’agit d’un fond sonore pensé non pour briller, mais pour envelopper. On aurait certes apprécié un peu plus de variations selon les biomes ou les événements… mais dans son registre, Fae Farm sait faire taire le silence sans l’étouffer.
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