Sorti le 16 mai 2025 sur PC, Eye of the Summoner est un tower defense roguelite déguisé en rituel occulte. Développé par Bumblebee Studios, le jeu vous place dans le rôle d’une entité surnaturelle, l’Œil, gardien d’une tour qui refuse de tomber. Invoquez. Résistez. Répétez. Voilà le pacte.
Ici, pas d’exploration. Pas d’arène ouverte. Un seul lieu. Une seule montée. Une seule mécanique : tenir face à l’assaut. Les paladins montent. Les vagues s’intensifient. Et vos serviteurs, choisis parmi six lignées démoniaques, doivent les briser… avant d’être eux-mêmes effacés.
Mais dans cette boucle macabre, une question demeure : est-ce encore une stratégie, ou juste un sacrifice programmé ?
Âmes invoquées et chair sacrifiée
Eye of the Summoner ne raconte pas une histoire. Il érige un rite. Vous n’êtes pas un héros. Vous êtes l’Œil. Une conscience figée dans une tour maudite, condamnée à invoquer, ordonner, résister. Face à vous, une armée d’exaltés : paladins, croisés, exorcistes. Des silhouettes. Des menaces. Des vagues.
Le jeu refuse tout développement classique. Pas de dialogues, pas de cinématiques, pas de journal. Le lore se transmet par les unités, par les textes des invocations, par les glyphes gravés dans les murs. Une narration passive, fragmentaire, qui laisse le joueur seul face à l’effritement du monde. Et c’est dans ce refus de l’explicite que le jeu installe sa densité.
Chaque serviteur invoqué — golem de chair, spectre fulgurant, démon nécrotique — possède son propre écho narratif. Une phrase. Une forme. Un mouvement. Et c’est souvent plus évocateur que bien des scripts bavards. On comprend que cette tour n’a pas été bâtie pour être tenue. Elle est un tombeau.
Quant à vous, l’Œil, vous n’êtes jamais incarné. Vous voyez. Vous décidez. Vous condamnez. Cette absence de visage, de voix, de corps, devient une force : elle vous transforme en fonction, en juge spectral qui pèse chaque invocation comme un verdict.
Pas d’alliés. Pas d’amis. Pas de sauvetage. Seulement un rituel à prolonger, encore, encore, encore.
Mur d’invocations et stratégie de l’absurde
Eye of the Summoner s’articule autour d’un paradoxe : vous êtes fixe, mais vous commandez tout. Incarner l’Œil, c’est ne jamais agir directement. C’est observer, anticiper, placer. Depuis votre tour maudite, vous voyez les paladins grimper, étage après étage, animés par une volonté aveugle d’extermination. À vous de leur opposer des réponses. Non pas une armée, mais une procession d’ombres que vous faites surgir du néant.
Chaque invocation est un sacrifice en puissance. Rien n’est gratuit. Le temps d’incantation est long, la ressource se recharge lentement, et le moindre placement devient une question de survie. Pas question ici de couvrir le sol d’unités. Vous agissez peu. Mais chaque geste compte. Une erreur au troisième étage peut condamner le sixième. Une imprécision dans la chaîne d’invocation, et c’est toute la structure qui se fissure.
La verticalité n’est pas un décor : c’est un système de compression. Chaque étage devient un seuil. Les ennemis montent comme une marée inexorable, et le rythme ne s’interrompt jamais. Le jeu ne ralentit pas. Il presse. Il pousse à agir trop vite, ou trop tard. Il ne récompense pas la prudence. Il punit l’hésitation.
Et dans cette pression, quelque chose émerge. Pas la puissance. Pas la maîtrise. Mais une forme de lucidité. À force de recommencer, on apprend non pas à dominer, mais à échouer intelligemment. Le roguelite n’est pas là pour flatter. Il est là pour imposer un cycle. Chaque run devient une tentative de sursis plus qu’une conquête. Le progrès est ténu, mais il existe. Il s’insinue.
Mais à force de répétition, une fatigue s’installe. L’absence de variation structurelle, le retour systématique de certaines vagues, la limitation des architectures possibles : tout finit par ressembler. À un moment, le jeu cesse de surprendre. Il ne s’écroule pas. Mais il s’érode. Lentement.
Ténèbres texturées et cris du zèle
Eye of the Summoner ne cherche pas la beauté. Il cherche la menace. Visuellement, le jeu ne mise ni sur le détail ni sur le volume. Il impose une esthétique minimale, cloîtrée, presque crasseuse. La tour qui vous sert de théâtre est un empilement d’étages labyrinthiques, étouffés par des murs moisis, des glyphes incrustés dans la pierre, des nappes d’ombre qui se déplacent comme des sueurs froides. Rien ne brille. Tout suinte.
Les unités que vous invoquez semblent avoir été arrachées d’un carnet d’exorciste. Corps tordus, silhouettes encapuchonnées, visages masqués ou arrachés. Chacune est identifiable au premier coup d’œil — ou plutôt au premier son. Car Eye of the Summoner repose autant sur ce que vous voyez que sur ce que vous entendez. Et c’est là que sa direction artistique prend corps.
Les bruitages ne sont pas réalistes. Ils sont rituels. Les pas des croisés claquent comme des condamnations. Les invocations hurlent leur naissance dans un souffle de métal déformé. Le sol grince, les murs respirent, et chaque étage possède son acoustique propre. Plus vous montez, plus le silence devient lourd. Plus vous descendez, plus le chaos monte avec vous.
La musique, parcimonieuse, agit comme un poison lent. Des nappes synthétiques sourdes, des percussions rituelles, des chœurs tordus surgissent pour ponctuer les moments d’emballement. Aucun thème n’est héroïque. Aucun rythme ne soulage. C’est une bande-son de tension continue, d’effacement, de délire contenu. Elle ne vous accompagne pas : elle vous encercle.
Sur le plan technique, le jeu reste modeste mais solide. Fluide, lisible, sans fioritures inutiles. L’interface est sobre, les animations claires, les effets visuels limités mais lisibles. Eye of the Summoner ne vous submerge jamais d’informations. Il vous laisse seul, dans l’obscurité, face à la montée.
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