Il existe des jeux qui promettent l’éruption du plaisir, la cacophonie du chaos joyeux, et qui n’offrent en retour qu’un écho poussif de fête déjà fanée. Explosive Dinosaurs, développé par RAWRLAB Games et sorti sur Nintendo Switch le 16 juillet 2020, appartient à cette lignée maladroite, où l’accumulation effrénée de mini-jeux tient lieu de parade, et où l’enthousiasme est crié si fort qu’il en devient presque inaudible.
Sous ses dehors bariolés, ses dinosaures rieurs et ses promesses de compétitions délirantes, Explosive Dinosaurs cache un vide plus dérangeant que comique. Chaque épreuve, chaque arène, chaque affrontement ressemble moins à une joute exaltante qu’à une série de soubresauts sans rythme, collés bout à bout dans l’espoir désespéré de masquer la pauvreté de l’ensemble.
Il n’y a pas d’histoire ici. Il n’y a pas d’univers à explorer, de règles à apprendre, de mécaniques à apprivoiser. Il y a seulement l’urgence, presque anxieuse, de provoquer des éclats de rire — quitte à oublier en chemin que l’amusement n’est pas une obligation, mais une alchimie fragile que le bruit seul ne suffit jamais à invoquer.
Alors, derrière les explosions de couleurs et le tumulte des animations trop vives, Explosive Dinosaurs parvient-il à rallumer l’étincelle d’un vrai moment partagé ? Ou ne fait-il que danser, épuisé, sur les braises tièdes d’une fête déjà oubliée avant même d’avoir commencé ?
Les silhouettes fugaces d’un carnaval sans mémoire
Dans Explosive Dinosaurs, il serait vain de chercher des personnages au sens classique du terme. Pas de trajectoires, pas d’ombres portées sur un monde en ruine, pas de figures hantées par leurs choix. Seulement des créatures bondissantes, grotesques et vaguement reconnaissables, prétextes animés à une compétition sans racine ni conséquence.
Les dinosaures, censés incarner les protagonistes de cette fête foraine débridée, n’existent que par leurs couleurs criardes, leurs formes schématiques et leurs grimaces outrancières. Aucun d’eux n’a d’histoire à raconter, pas même en creux. Ils sont des costumes vides, interchangeables, agités sans but sur la scène d’un théâtre qui n’a pas pris la peine d’écrire sa pièce.
Le jeu tente bien, par éclats de présentation et bribes d’introduction, d’instiller un semblant de personnalité à ces avatars reptiliens — un rictus de bravade ici, une posture maladroite là — mais cette tentative reste un vernis fragile, écaillé dès les premières minutes par l’absence totale d’attachement ou de nécessité narrative.
L’univers lui-même n’existe que comme un prétexte mécanique : des décors génériques, saturés de couleurs mais vides de signification, comme autant de toiles de fond peintes à la hâte pour masquer l’absence de fondation. Pas d’identité propre, pas d’imaginaire qui transcende la simple accumulation de mini-jeux : seulement un assemblage de surfaces tapageuses, destinées à se succéder dans un bruit de fête trop fatiguée pour encore tromper qui que ce soit.
La cacophonie sans tempo d’un bal mécanique épuisé
Sous ses éclats criards et ses promesses tapageuses, Explosive Dinosaurs expose rapidement la vacuité de son architecture ludique. Derrière l’accumulation de mini-jeux, censée suggérer foisonnement et imprévisibilité, se dessine une structure chaotique, dénuée de rythme, de progression ou même de la plus élémentaire montée en tension.
Chaque épreuve surgit comme une bulle isolée, sans lien organique avec la précédente ni la suivante. On saute, on pousse, on esquive, on frappe — mais jamais l’ensemble ne semble suivre une logique d’apprentissage, jamais l’adrénaline ou la dextérité ne sont mises véritablement à l’épreuve. Les gestes sont simples jusqu’à l’excès, les contrôles souvent réduits à un ou deux boutons, et ce choix de minimalisme — qui aurait pu renforcer la clarté et la frénésie du jeu — devient ici un appauvrissement mécanique, une réduction brutale de l’expérience à une succession d’actes réflexes sans densité.
Le level design, censé accompagner et enrichir ces micro-épreuves, se contente de toiles de fond génériques, sans inventivité ni interaction véritable. Les arènes sont plates, interchangeables, inertes : quelques variations de couleurs, quelques éléments d’obstacles sommaires, rien qui n’invite à l’exploration, à l’anticipation, ou même au simple émerveillement visuel. Tout est fonctionnel au sens le plus étroit du terme : un sol, des bords, quelques projectiles. Mais aucune surprise ne vient jamais déformer la routine.
Pire encore, la philosophie même des épreuves semble hésitante : certaines mini-épreuves misent sur la rapidité pure sans offrir d’alternatives stratégiques ; d’autres reposent sur un facteur aléatoire si prégnant que la victoire devient une loterie absurde ; d’autres encore, conçues autour d’idées pourtant classiques (éviter une chute, voler un objet, survivre au chaos ambiant), échouent par leur exécution bancale et leur imprécision frustrante.
Même en multijoueur — le prétendu cœur du jeu —, Explosive Dinosaurs peine à maintenir la tension. Les rires existent, mais ils sont souvent le fruit de l’absurde ou du bug, plus que d’une véritable jouissance mécanique. La dynamique de groupe, pourtant essentielle dans un party-game réussi, s’effrite faute d’une montée en pression maîtrisée ou d’épreuves capables de générer ces moments de chaos contrôlé qui forgent des souvenirs communs.
Joué en solo, l’expérience frôle l’absurde : privé de l’effet de contamination du rire partagé, Explosive Dinosaurs se révèle pour ce qu’il est vraiment — un catalogue d’idées à demi esquissées, lancées comme des confettis sans ordre ni dessein, s’évaporant avant même d’avoir touché le sol.
À aucun moment Explosive Dinosaurs ne parvient à construire ce crescendo que réclame naturellement toute succession de mini-jeux. Il préfère saturer d’emblée, épuiser les sens plutôt que les solliciter, jusqu’à ce que le chaos lui-même devienne silence.
Les couleurs éclatées d’un spectacle sans mémoire
Visuellement, Explosive Dinosaurs tente de masquer l’indigence de son propos sous un bombardement permanent de couleurs vives, de formes grotesques et de mouvements frénétiques. L’univers graphique, saturé de néons criards et d’animations hyperactives, cherche à évoquer la folie douce d’une fête foraine déglinguée, mais il ne réussit trop souvent qu’à produire une sensation de surmenage visuel, où chaque détail hurle pour se faire entendre dans un vacarme sans hiérarchie.
Les décors, interchangeables et schématiques, ne participent jamais à l’élan du jeu. Ils ne sont ni des terrains de jeu intelligemment conçus, ni des cadres narratifs discrets capables de donner une cohérence au chaos. Ce sont des toiles de fond génériques, dessinées pour exister sans exister : quelques formes abstraites, quelques motifs vaguement évoqués, aussitôt engloutis par l’agitation stérile des personnages. Que vous soyez sur une plaine verdâtre, un laboratoire mal esquissé ou une arène en lave stylisée, peu importe : le ressenti reste désespérément identique, aplati sous la même couche de bruit chromatique.
Les personnages — ou plutôt les avatars de dinosaures anthropomorphes — auraient pu porter l’identité visuelle du jeu, l’ancrer dans une fantaisie absurde et mémorable. Mais leur design, aussi bruyant que leur environnement, reste au stade du gimmick : silhouettes grossières, yeux écarquillés, expressions figées dans une exagération perpétuelle. Ils n’évoluent pas, ne laissent pas de trace ; ils sont des mascottes jetables, interchangeables au sein d’un carnaval où plus rien n’a vraiment d’importance après cinq minutes.
La bande-son, elle aussi, participe à l’épuisement général. Plutôt que d’accompagner l’action en la rythment ou en soulignant ses dynamiques, elle l’écrase sous un flot continu de mélodies génériques, souvent trop rapides, trop agressives, sans variations notables d’intensité ni de tonalité. Chaque morceau semble fonctionner en boucle fermée, incapable de s’adapter à l’état émotionnel du jeu, incapable d’accentuer un moment de tension, un moment de relâchement, un moment d’absurde comique.
Les bruitages, censés accentuer l’impact des interactions, deviennent vite un fond sonore indifférencié, où coups, sauts, explosions et dégringolades se superposent dans une cacophonie sans relief. Plutôt que d’apporter du poids aux actions, ils finissent par les diluer dans une nappe sonore uniforme, comme si chaque événement du jeu avait la même signification : aucune.
Sous la frénésie, les coutures apparentes d’une machine brinquebalante
Derrière sa façade tapageuse, Explosive Dinosaurs ne peut masquer bien longtemps l’essoufflement de sa charpente technique. Sur Nintendo Switch, le jeu fonctionne, certes — mais il fonctionne à la manière d’une machine montée à la hâte, où chaque boulon semble prêt à sauter au moindre accroc. La stabilité générale est correcte en surface : les mini-jeux s’enchaînent sans crash, les commandes répondent de façon adéquate la plupart du temps. Mais cette fluidité de façade ne parvient pas à dissimuler les nombreuses maladresses structurelles qui minent l’expérience.
La réactivité des contrôles, indispensable dans un party-game misant sur des affrontements rapides, montre des faiblesses récurrentes. Certains mini-jeux souffrent d’une latence légère mais sensible, transformant l’agilité requise en un tirage au sort frustrant. Cette imprécision, couplée à la simplicité extrême des interactions, renforce la sensation d’un manque de finition, comme si chaque épreuve n’était qu’une ébauche vaguement fonctionnelle, jamais vraiment affinée pour flatter l’instinct du joueur.
Côté ergonomie, Explosive Dinosaurs pêche également. Les menus, sommaires à l’excès, manquent d’intuitivité : la sélection des mini-jeux, la personnalisation des parties, même la navigation de base se fait dans une lourdeur inattendue pour un jeu misant sur l’accessibilité immédiate. Là où tout devrait être fluide, rapide, naturel, s’intercale une friction artificielle, cassant le peu de rythme que le jeu parvient à instaurer.
Concernant l’accessibilité, le constat est amer. Aucune option d’adaptation pour les joueurs ayant des besoins spécifiques : pas de réglages de contraste, pas de possibilité d’ajuster la vitesse des mini-jeux, pas d’assistance pour les réflexes ou la visibilité. Le jeu ne propose qu’un modèle unique : rapide, bruyant, et intraitable pour ceux que cette cadence pourrait fatiguer ou exclure.
La stabilité visuelle, elle aussi, souffre par moments. Si la majorité des mini-jeux affichent des environnements relativement fixes, certaines arènes plus chaotiques provoquent des saccades notables en mode portable, témoignant là encore d’un manque de polish technique — un défaut d’autant plus criant que l’ambition graphique de Explosive Dinosaurs reste modeste.
Enfin, la rejouabilité est factice. Avec quarante mini-jeux annoncés mais très peu différenciés dans leur logique profonde, le cycle de répétition devient étouffant au bout d’une poignée de sessions. Rien n’est fait pour renouveler l’expérience : pas de nouveaux modes de jeu, pas de variantes intelligentes, pas de récompenses progressives pour encourager le retour. Seule l’inertie, ou l’absence d’alternatives immédiates, peut justifier de relancer la machine.
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