Capcom marche aujourd’hui sur une ligne de crête entre mémoire et mutation. Remakes exemplaires, licences magistrales, gameplay peaufiné jusqu’au pixel : l’éditeur japonais connaît l’une des phases créatives les plus maîtrisées de son histoire récente. Pourtant, dans cette trajectoire presque irréprochable, un bruit parasite a surgi. Un choc temporel inattendu. Une anomalie dans la matrice : Exoprimal.
Sorti le 14 juillet 2023 sur Xbox Series, ce jeu de tir coopératif en ligne, nourri de dinosaures et d’exosquelettes futuristes, a immédiatement divisé. Construit sur une promesse de chaos stylisé et de gameplay asymétrique, le titre a déchaîné critiques et soupçons, au point de ressembler à une énigme vidéoludique bien plus complexe qu’il n’y paraît.
Sous ses couches de JcE explosif et de PvP camouflé, Exoprimal dissimule peut-être un projet transformé en urgence, un vestige d’ambitions plus larges, une idée sacrifiée sur l’autel du jeu-service. Car dans ses mécaniques, ses designs et jusqu’à son scénario, un parfum familier s’élève. Une réminiscence. Dino Crisis. Ou du moins, ce qu’il en reste.
Reste à savoir si ce mélange d’armures cybernétiques, de reptiles affamés et d’univers parallèles constitue une expérimentation ratée… ou l’ébauche d’un jeu d’action qui pourrait, avec le temps, révéler son vrai visage.
Dinosaures quantiques et mémoire fracturée
Exoprimal commence par une anomalie temporelle, continue par une simulation létale, et finit dans un entremêlement de dimensions parallèles, de clones technologiques et de vortex jurassiques. En 2040, l’humanité affronte des pluies de dinosaures, surgies de failles spatio-temporelles. L’entreprise AIBUS a développé des exosquelettes pour affronter la menace. Vous incarnez AS, nouvelle recrue fraîchement intégrée à l’escouade Hammerheads, expédiée sur l’île isolée de Bikitoa.
Sur place, l’IA Léviathan prend le contrôle de la situation. Elle propulse les pilotes dans une boucle de combats simulés, visant à reconstituer les événements ayant mené à la catastrophe. Peu à peu, les missions dévoilent une série d’éléments narratifs dissimulés dans une base de données évolutive, accessible entre les parties. Ce système encourage la curiosité sans jamais imposer le récit à ceux qui préfèrent se concentrer sur l’action.
L’ensemble fonctionne comme une fiction interactive en fragments, livrée par des bribes de cinématiques, des journaux cryptés, des transmissions interrompues. L’intrigue s’appuie sur des récurrents de science-fiction, allant du clonage à l’intelligence artificielle en passant par le conflit interdimensionnel. À mesure que les couches se superposent, un lien se dessine, quasi évident pour les initiés : l’ombre portée de Dino Crisis.
Le personnage de Majesty, bras droit des Hammerheads, partage une silhouette, une gestuelle et une palette visuelle étrangement familières. Son design évoque Regina, l’héroïne emblématique de la série culte de Capcom. L’île elle-même, son isolement, ses expérimentations interdites, rappellent celle d’Ibis. Les clins d’œil se multiplient, jusqu’à composer une sorte de palimpseste narratif, où l’ancien monde affleure sous le nouveau.
Mais Exoprimal ne s’accroche pas à la nostalgie. Il trace sa propre voie, en assumant une ambiance de série B assumée, entre Pacific Rim, Edge of Tomorrow et Carnosaur. L’écriture joue sur l’exagération, les archétypes, le second degré. Elle s’appuie sur des dialogues souvent caricaturaux, mais portés par un rythme efficace. Chaque membre de votre escouade incarne une fonction narrative précise : mentor désabusé, hacker mystérieux, leader droit dans ses bottes. Rien ne dépasse, mais tout fonctionne dans la logique du genre.
L’histoire s’offre ainsi comme un prétexte habilement détourné, un canevas souple qui laisse la place au jeu pur tout en offrant une structure aux curieux. Elle ne cherche ni à bouleverser ni à philosopher. Elle injecte juste assez de contexte pour nourrir le plaisir, sans jamais l’entraver. Et parfois, entre deux missions, elle laisse filtrer un doute, un fragment de vérité, un écho du jeu qu’Exoprimal aurait pu devenir… ou qu’il deviendra peut-être.
Chasses synchronisées et chaos sous assistance
Au cœur de Exoprimal bat une mécanique de confrontation chorégraphiée, rythmée par une IA omniprésente et une succession de défis coopératifs à haute intensité. Le mode principal, Survie Jurassique, constitue le pilier unique du jeu à son lancement. Une boucle simple en apparence : deux équipes de cinq joueurs, des objectifs imposés par Léviathan, une course contre la montre pour abattre plus de dinosaures que l’autre escouade.
Le concept repose sur une alternance de phases JcE et JcJ, modulées dynamiquement par l’IA. Les premières imposent des vagues d’ennemis : raptors, ptéranodons, triceratops, t-rex et variantes mutées. Les secondes déclenchent un affrontement direct entre les deux équipes, souvent au moment de l’objectif final, sur une arène conçue pour favoriser la tension stratégique.
La vraie richesse du gameplay réside dans le choix de l’exosquelette. Dix modèles répartis en trois catégories : Assaut, Tank et Soutien. Chacun propose une jouabilité spécifique, un kit de compétences unique, un style bien défini. Zephyr danse au corps-à-corps, Vigilant élimine à distance, Skywave contrôle les airs, Roadblock encaisse les vagues, Witchdoctor stabilise les équipes. Le casting est pensé comme un roster de jeu de combat, chaque unité possédant une identité claire, des forces marquées et des faiblesses à compenser.
Ce système encourage une synergie d’équipe, une adaptation constante, une lecture du champ de bataille à plusieurs niveaux. Le jeu autorise les changements d’exosquelettes en cours de mission, permettant des ajustements en temps réel. Cette flexibilité apporte une fraîcheur tactique à chaque partie, tout en valorisant l’apprentissage et la spécialisation.
L’équilibrage, surprenant de précision, repose sur une logique de skill-based gameplay. Aucun exosquelette ne surclasse les autres. La performance dépend de la maîtrise, de la coordination et du bon usage des compétences. Un sniper peut dominer une horde à condition de se positionner avec soin. Un soigneur bien géré inverse l’issue d’un combat. Un tank mal piloté devient un point de rupture. L’exigence monte avec le niveau des adversaires, et chaque match révèle de nouvelles interactions.
Les cartes se multiplient à mesure de la progression, tout comme les types d’objectifs. Escortes, défenses de zones, exterminations, captures… La variété reste modérée, mais suffisante pour maintenir l’intérêt au fil des heures. Capcom distille habilement les nouveautés : ennemis inédits, boss spéciaux, défis d’élite. La montée en puissance se fait en douceur, avec une volonté claire de fidéliser le joueur sur la durée.
Le système de progression repose sur des niveaux de compte, des récompenses cosmétiques, des améliorations d’équipement et une base de données narrative à débloquer. L’interface centralisée autour d’un hub sobre permet de naviguer entre les différents menus, bien que certaines fonctionnalités manquent encore d’ergonomie, notamment dans la gestion des exosquelettes et des options de matchmaking.
Malgré son apparente simplicité, Exoprimal cultive une profondeur insoupçonnée. Ses combats allient nervosité, lisibilité et finesse. Ses classes invitent à l’expérimentation. Et sa boucle, pourtant limitée à un seul mode, réussit l’exploit de captiver en multipliant les micro-ajustements et en valorisant l’intelligence collective.
Pluie de raptors et pluie de particules
Exoprimal n’a pas été conçu pour la contemplation, mais pour le spectacle. Son esthétique repose sur une déferlante visuelle permanente, un torrent d’effets de particules, de projectiles luminescents, d’explosions colorées et de carcasses préhistoriques projetées en tous sens. L’action sature l’écran, transforme les arènes en vortex sensoriels où chaque seconde devient une lutte pour la lisibilité.
La direction artistique se positionne à la croisée des genres : science-fiction technologique, milieu militaire stylisé, influences animées japonaises et fantasme de film catastrophe. Les exosquelettes affichent des silhouettes angulaires, presque caricaturales, à mi-chemin entre le mecha stylisé et l’armure de super-héros. Les ennemis, eux, privilégient le réalisme animalier : raptors nerveux, ptéranodons furieux, pachycéphalosaures en meute, tyrannosaures imposants. Le contraste visuel fonctionne, soutenant l’idée d’un choc des époques et des esthétiques.
Les environnements alternent entre cités en ruine, zones industrielles, laboratoires futuristes et espaces ouverts, avec des variations climatiques, des effets météorologiques et des éclairages dynamiques en constante évolution. Les textures manquent parfois de finesse, certains décors affichent une géométrie datée, mais le rythme de l’action masque ces limites techniques. Le moteur tient le choc, même face à des dizaines de créatures simultanées à l’écran, et l’ensemble tourne avec fluidité sur Xbox Series, sans ralentissements notables.
Côté animations, chaque exosquelette bénéficie d’une signature visuelle forte. Les mouvements sont précis, lisibles, parfois spectaculaires. Les dinosaures, eux, évoluent en meute, bondissent, contournent, submergent, avec une coordination rudimentaire mais efficace. L’ensemble crée une tension visuelle constante, renforcée par la nervosité du gameplay.
La bande-son, discrète mais fonctionnelle, accompagne les affrontements avec des nappes électroniques, des percussions synthétiques et des accents dramatiques calibrés pour soutenir le tempo. Elle ne cherche pas l’emphase, mais maintient un fond sonore cohérent, ponctué de variations selon les séquences et les zones visitées.
Les voix, doublées en partie en français, posent un problème plus marqué. Seul Léviathan, l’IA principale, bénéficie d’un doublage intégral en VF. Les autres personnages alternent entre voix anglaises sous-titrées et silences étranges. Ce traitement inégal crée une dissonance narrative, accentuée par le ton robotique du doublage de Léviathan, réalisé par une synthèse vocale dépourvue de nuances. Ce choix, censé renforcer son artificialité, affaiblit paradoxalement sa présence scénaristique.
Enfin, chaque exosquelette possède une voix propre, changeant selon le modèle équipé. Ce parti-pris original brouille pourtant la cohérence : le joueur incarne un pilote unique, mais ses intonations varient d’une armure à l’autre, comme si les machines s’exprimaient elles-mêmes. Une idée esthétique intéressante, mais qui entre en contradiction avec l’identité construite par le joueur en début de partie.
Menu cryptique, matchmaking sauvage et saisons sans horloge
Exoprimal repose sur une infrastructure de jeu en tant que service, avec tous les attributs habituels : progression continue, contenus à débloquer, événements à venir, et un hub centralisé destiné à gérer vos escouades, vos améliorations et votre journal de mission. Sur le papier, tout est en place. Mais dans la pratique, plusieurs malfaçons d’interface témoignent d’un développement précipité ou d’une adaptation peu optimisée pour les consoles.
La navigation dans les menus repose sur un curseur libre, là où une sélection à la croix directionnelle aurait suffi. Certaines actions se confirment par une touche, d’autres exigent une pression prolongée, sans logique apparente. L’écran de gestion des exosquelettes ne permet pas de passer d’un modèle à l’autre via les gâchettes, sauf depuis un menu précis. La logique de consultation reste obscure, les statistiques de vos unités sont éparpillées, et aucun indicateur ne précise la durée restante des saisons ou les rotations de contenu.
Le matchmaking fonctionne avec célérité, mais sa logique reste hermétique. Les équipes sont constituées sans affichage clair du niveau des joueurs ou du score de victoire. Aucune vérification ne garantit une répartition équilibrée entre tanks, assauts et soutiens, ce qui mène à des compositions aberrantes – parfois deux snipers, aucun soigneur, ou cinq exos identiques. Certes, les joueurs peuvent changer d’unité en cours de partie, mais cette manipulation demande plusieurs étapes, ralentit l’action, et expose le pilote à la mort durant la transition.
L’ergonomie du changement d’exosquelette en combat nécessite d’ouvrir un menu, de sélectionner un modèle, puis de valider avec deux touches combinées. Le processus casse le rythme, demande une position sûre, et devient une stratégie à part entière. Certains joueurs attendent le bon moment pour punir un adversaire distrait en transition ; d’autres s’en servent comme joker tactique. L’intention est claire, mais l’exécution mériterait une simplification.
Sur le plan technique, le jeu tourne avec stabilité sur Xbox Series, sans ralentissement ni crash. Aucun bug majeur ne vient entacher les affrontements. En revanche, certaines informations essentielles manquent toujours : impossibilité de consulter clairement les objectifs en cours, absence de planification d’équipe avant le début des matchs, visibilité réduite des ennemis lors des combats de masse. Des éléments de confort qui gagneraient à être affinés.
Enfin, la localisation reste inégale. L’interface est traduite en français, mais les voix ne le sont que partiellement. Seul Léviathan s’exprime dans notre langue – avec une intonation robotique –, tandis que les autres personnages parlent anglais. Le résultat crée une impression d’inachèvement, renforcée par l’absence de cohérence vocale entre les différents exosquelettes pilotés par un seul et même avatar.
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