Développé par River End Games et édité par Nordcurrent Labs, Eriksholm: The Stolen Dream débarque sur Xbox Series ce 15juillet 2025, porté par l’ambition rare de conjuguer l’épure du conte nordique et la rigueur du jeu d’infiltration. Dans la ville de pierres et de brume, sur les traces d’un frère disparu, la question s’impose : cette fuite vers l’émancipation et la justice signe-t-elle un renouveau du genre ou s’enlise-t-elle dans la grisaille de ses modèles ?
La fuite blanche, le rêve dérobé et la mécanique de l’enfance sacrifiée
L’histoire d’Eriksholm: The Stolen Dream s’enracine dans la glaise d’une Scandinavie fantasmée, aussi grise qu’âpre, où le conte de l’orphelin cède la place à la chronique sociale. Vous incarnez Lina, enfant privée d’insouciance, emportée dans une quête qui n’a rien de l’aventure : ici, l’émancipation se paie d’une traque, l’innocence de l’effroi, et l’espoir d’une fraternité brisée à chaque coin de rue. Il n’y a pas d’héroïsme : le monde refuse la grandeur, le quotidien impose la fatigue, la peur, la faim et la perte. Chaque pas dans la ville hostile est un arrachement, chaque dialogue un rappel de la brutalité, chaque rencontre une négociation désespérée.
L’écriture épouse la violence des silences : Lina ne s’exprime jamais vraiment, elle endure, elle encaisse, elle refuse de céder au pathos. Les adultes n’offrent que la rudesse ou le compromis, les amis d’un jour deviennent traîtres le lendemain, et même les alliés de circonstance sont marqués par l’épuisement, la lassitude, la nécessité de survivre d’abord. Le rêve n’est jamais une promesse : il n’existe que pour être volé, pour rappeler à Lina que la fuite n’ouvre que sur d’autres impasses, d’autres portes closes, d’autres dettes.
Cette économie de mots, cette rigueur du détail, ce refus de tout manichéisme dessinent un récit d’une rare justesse. Loin des archétypes, la ville ne livre que des figures abîmées par la pauvreté, la peur et le renoncement. L’ombre de l’enfance plane sur chaque geste, chaque décision, mais la lumière, si elle existe, ne brille qu’à la marge, arrachée à la nuit par l’obstination ou la grâce d’une rencontre. Il n’y a pas de conte de fées, seulement la persistance d’un rêve à moitié effacé, porté par la ténacité d’un personnage que la douleur n’a pas encore brisé.
La claustration du geste et le crépuscule du risque
Le gameplay d’Eriksholm: The Stolen Dream se dresse contre l’idée même de la toute-puissance ludique. Ici, l’action ne se joue qu’à la marge : chaque séquence est un compromis entre la nécessité d’avancer et la terreur d’être vu, chaque pas un calcul, chaque ombre une promesse aussi bien qu’une menace. L’infiltration, pilier central, ne s’embarrasse ni de gadgets ni de surenchère : Lina, sans pouvoir, sans arme, ne dispose que de sa légèreté, de la ruse, de la patience, et du recours à quelques subterfuges aussi fragiles qu’éphémères. La ville est un piège, l’échec se paie cash, et la fuite n’est qu’un sursis.
Le level design, d’une sobriété glaçante, multiplie les zones de tension : ruelles surveillées, égouts inondés, toits à escalader, sous-sols à traverser. Chaque environnement impose ses propres règles, mais rien n’est jamais acquis. La lumière n’est jamais une alliée : elle dénonce, elle expose, elle contraint le joueur à composer avec la pénombre, à lire le moindre faisceau, à calculer le temps de chaque passage. Les ennemis, policiers ou passants complices, ne tombent pas dans la caricature : leur vigilance s’adapte, leur routine se dérègle à la moindre alerte, et la frontière entre fuite et capture reste toujours floue.
La progression ne laisse aucune place au hasard. Le jeu punit la précipitation, récompense la lenteur, impose la frustration du détour, la répétition de l’essai, l’apprentissage par l’échec. La difficulté, jamais truquée, ne cherche ni l’exploit ni la pitié : elle impose le respect de la règle, le sens de la discrétion, l’économie du geste. Ce choix radical fait d’Eriksholm une expérience tendue, parfois épuisante, mais d’une cohérence implacable : ici, chaque mètre gagné sur la ville est un triomphe silencieux, chaque porte franchie une victoire sur la fatalité.
Mais cette rigueur a son revers. Certains moments, trop mécaniques, rappellent la répétitivité de la structure : certaines séquences de fuite ou de manipulation de l’environnement trahissent la limite du budget, la pauvreté du script, l’absence de variété sur la longueur. Pourtant, la tension, omniprésente, compense ces faiblesses : l’ennui ne s’installe jamais vraiment, car le risque, la perte, l’incertitude rôdent à chaque détour.
La grisaille conquise et la dissonance des murmures
La direction artistique d’Eriksholm: The Stolen Dream refuse le spectaculaire au profit d’un réalisme blessé, presque poussiéreux, où chaque ruelle, chaque façade, chaque intérieur porte la marque de la précarité. Les couleurs, désaturées, saturent l’écran de gris, de bruns, de blancs crayeux : la neige ne sublime rien, elle étouffe, elle dissimule la saleté, la misère, les traces d’une ville qui ne cicatrise pas. Les personnages, aux silhouettes émaciées, au regard fuyant, semblent aspirés par l’arrière-plan, écrasés par l’échelle des bâtiments, happés par l’anonymat de la foule. Les animations, précises sans être démonstratives, soulignent la fragilité des corps, la difficulté de chaque déplacement, la lourdeur de chaque obstacle.
Le jeu multiplie les plans fixes, les perspectives fermées, pour renforcer le sentiment de claustration : il n’y a pas de vastes panoramas, seulement des morceaux de ville, de l’ombre, du froid. Cette économie visuelle, souvent saluée pour sa cohérence, trahit aussi ses limites : certains environnements se répètent, certaines textures accusent la contrainte budgétaire, la variété peine parfois à émerger d’un motif qui fait du manque une signature. Mais cette pauvreté devient une force : tout concourt à installer l’inconfort, à refuser la beauté facile, à enfermer Lina — et le joueur — dans la grisaille d’un quotidien que rien ne vient colorer.
La bande-son, discrète mais jamais absente, module la tension sans la relâcher. Quelques nappes mélancoliques, des motifs de cordes étouffés, des chuchotements perdus sous la neige : tout vise à renforcer la sensation d’étrangeté, de malaise, de menace sourde. Les bruitages, travaillés à la limite du naturalisme, rappellent que la ville n’est jamais silencieuse : pas de place pour la pureté, seulement le grincement d’une porte, les pas d’un poursuivant, le cri d’un oiseau, le cliquetis du métal. L’absence de doublages ostentatoires, le refus des envolées musicales laissent toute la place à la concentration, à la peur, au doute. Le monde sonore ne guide pas, il surveille : il enferme Lina dans une vigilance permanente.
C’est cette cohérence — visuelle, sonore, rythmique — qui finit par imposer l’ambiance d’Eriksholm : la beauté y est toujours une conquête, le réconfort un mirage, et l’univers ne délivre jamais rien sans le faire payer au prix fort.
0 commentaires