Depuis la nuit des temps, les créatures d’Eldrador se livrent une guerre sans fin. Flammes dévorantes, glaces tranchantes, jungles impénétrables et pierres millénaires… chaque royaume lutte pour imposer sa suprématie sur les autres, dans un cycle éternel de destruction et de conquête. Mais cette fois, l’équilibre fragile entre ces forces colossales est menacé par une ombre grandissante.
Sorti le 6 mars 2025 sur Nintendo Switch, Eldrador Creatures: Shadowfall est la nouvelle tentative de Wild River Games pour transposer l’univers mythique des figurines Schleich dans un jeu vidéo stratégique au tour par tour. Après une première adaptation mitigée en 2021, le studio promet cette fois un titre plus riche, un gameplay plus tactique et un respect accru de l’identité visuelle d’Eldrador. Mais cette guerre élémentaire a-t-elle enfin trouvé son équilibre, ou Shadowfall risque-t-il de sombrer dans l’oubli comme un royaume déchu ?
L’ultime guerre des éléments
Depuis des siècles, les forces élémentaires d’Eldrador s’affrontent sans relâche. Le royaume de la Lave, consumé par des flammes infernales, s’oppose aux étendues glaciales du royaume de la Glace. Les jungles luxuriantes, imprégnées de la magie ancienne, luttent contre les forteresses de pierre millénaires. Cette guerre éternelle et destructrice est devenue une loi universelle, un cycle impossible à briser. Jusqu’à aujourd’hui.
Une ombre venue de l’inconnu a pris racine dans les profondeurs du monde, une force ténébreuse qui corrompt les éléments et dévore les âmes. Cette menace insaisissable ne cherche pas à conquérir Eldrador, mais à l’annihiler, laissant derrière elle un royaume vidé de sa substance. Face à cet ennemi inconnu, les créatures légendaires doivent faire un choix impensable : unir leurs forces ou disparaître.
Là où les anciens conflits dictaient leurs actions, la survie impose de nouvelles règles. Le tyran des flammes, Inferno Rex, voit son règne de destruction menacé par une force qu’il ne peut consumer. Glacioris, le seigneur du froid, doit apprendre à combattre aux côtés de ceux qu’il a toujours méprisés. Le Colosse de Pierre, entité millénaire, réalise que sa patience et sa résilience ne suffiront pas face à l’inéluctable. Sylphora, esprit de la jungle, voit ses terres dévastées sans que la nature ne puisse se défendre seule.
Ces créatures ne sont pas simplement des pions sur un échiquier, mais des entités vivantes, animées par leurs propres désirs, leurs peurs et leur fierté. Leur coopération est forcée, tendue, chaque camp guettant le moindre signe de trahison. Cette dynamique apporte une tension dramatique à l’intrigue, où l’ennemi ne se cache pas uniquement dans l’ombre, mais aussi parmi les alliés de circonstance.
L’histoire pose des fondations solides, avec un enjeu clair et une atmosphère pesante. Cependant, le jeu peine à exploiter tout son potentiel narratif. Là où l’univers pourrait plonger dans une fantasy sombre et épique, il adopte un ton trop léger, avec des dialogues qui manquent de profondeur et des interactions minimalistes entre personnages qui ne vont jamais assez loin. Si le concept de l’alliance forcée est intéressant, il n’est jamais réellement mis à l’épreuve dans des choix scénaristiques marquants. Les tensions entre les factions existent, mais elles ne débouchent pas sur des dilemmes forts ou des trahisons percutantes, réduisant l’impact émotionnel de cette guerre contre les ténèbres au profit d’une histoire convenue et sans surprises.
Le casting des créatures reste un point fort. Chaque personnage se démarque par son design, son style de combat et son caractère distinct, rendant la découverte des nouveaux alliés et ennemis stimulante. L’univers d’Eldrador est visuellement bien exploité, avec des environnements qui reflètent la brutalité et la majesté des différents royaumes élémentaires.
Eldrador Creatures: Shadowfall propose une trame engageante, mais qui ne prend jamais complètement son envol. Les bases sont là, mais le jeu aurait mérité d’exploiter davantage les conflits internes, d’amener plus de dilemmes moraux, et d’offrir une écriture plus nuancée pour transformer cette bataille contre l’ombre en un récit mémorable.
La stratégie au cœur du chaos élémentaire
Les royaumes d’Eldrador sont en guerre, et cette lutte ne se joue pas uniquement à coups de griffes et de crocs. Shadowfall transpose cette rivalité ancestrale dans un jeu de stratégie au tour par tour, où chaque mouvement doit être réfléchi, chaque attaque optimisée, et chaque créature choisie avec soin. Mais sous ces ambitions tactiques, le jeu parvient-il réellement à capturer la tension et l’intensité d’un conflit où chaque faction lutte pour sa survie ?
L’affrontement repose sur un système en arène, structuré en grille, où les créatures se déplacent et attaquent dans un cadre limité mais tactique, à l’image d’un jeu d’échec virtuel. Chaque unité dispose d’un set de compétences spécifiques, reflétant son appartenance à l’un des quatre royaumes élémentaires. Les bêtes de lave frappent fort et sèment le chaos, les créatures de glace ralentissent et piègent leurs ennemis, les monstres de pierre sont des forteresses vivantes, tandis que les esprits de la jungle misent sur la ruse et la vitesse. Cette diversité aurait pu donner naissance à des combinaisons stratégiques impressionnantes, mais le système de jeu manque clairement de complexité.
Si la première moitié de l’aventure offre une montée en puissance agréable, où l’on apprend à exploiter les synergies entre créatures, les derniers chapitres basculent dans une répétition d’affrontements aux schémas trop similaires. Le jeu introduit trop tardivement des mécaniques avancées, laissant certains combats trop simples au début et inutilement frustrants vers la fin. Le manque de variété dans les objectifs (vaincre tous les ennemis, survivre un certain nombre de tours, capturer une zone…) renforce cette impression de cycle répétitif, où la tactique cède peu à peu la place à la mécanique pure et dure.
Là où Shadowfall parvient à se distinguer, c’est dans son exploitation des environnements. Chaque biome impose ses propres contraintes, transformant l’arène en un véritable champ de bataille vivant. Les terres de lave brûlent quiconque s’y attarde trop longtemps, les plateaux glacés ralentissent les mouvements et peuvent piéger un combattant imprudent, tandis que la jungle offre des cachettes naturelles, parfaites pour des embuscades. Cette dimension ajoute une couche tactique bienvenue, obligeant le joueur à réfléchir à la disposition de ses unités et à utiliser le terrain à son avantage. Se jeter dans la mêlée sans réfléchir est un aller simple vers la défaite.
Mais si l’idée fonctionne sur le papier, elle souffre d’une exécution en demi-teinte. Certaines arènes sont mieux pensées que d’autres, et il arrive que les effets du terrain soient trop anecdotiques ou mal exploités. On ressent un manque d’équilibre, comme si certains éléments avaient été intégrés sans toujours avoir été testés en profondeur.
Au-delà de la stratégie, le jeu prend soin de respecter l’univers Eldrador, et cela se ressent à travers le soin apporté à la modélisation des créatures. Chaque monstre est une réplique fidèle de sa version figurine, avec des animations qui renforcent leur imposante présence sur le champ de bataille. Voir Inferno Rex rugir avant de déchaîner une vague de flammes destructrices ou observer Glacioris figer ses adversaires dans une prison de glace renforce l’immersion, donnant l’impression de manipuler directement ces légendes élémentaires. Mais là encore, l’impression d’un acte manqué se fait cruellement ressentir. Si le jeu était sorti il y a 15 ans, sans doute aurait-il pu concurrencer Skylander via l’utilisation de figurines physiques.
Malheureusement également, le game design souffre de certaines lourdeurs, notamment dans la gestion des combats. Les animations deviennent rapidement répétitives, ce qui ralentit le rythme des affrontements. Le manque d’options pour accélérer le déroulement des tours devient problématique à mesure que les batailles s’allongent et que la lassitude s’installe.
L’équilibrage est aussi un sujet délicat. Certaines créatures sont nettement plus puissantes que d’autres, rendant certains choix quasiment indispensables pour avancer. L’idée d’une équipe idéale vient alors nuire à la diversité stratégique, car certains monstres finissent toujours par être favorisés au détriment d’autres options moins viables.
Là où le jeu réussit en revanche, c’est dans sa volonté de rendre son gameplay accessible. Les mécaniques sont expliquées clairement, et la prise en main est rapide, ce qui en fait une porte d’entrée idéale pour les joueurs novices en stratégie. Mais cette accessibilité se fait au détriment de la profondeur, laissant un sentiment d’inachevé pour ceux qui espéraient un système plus exigeant.
Si Eldrador Creatures: Shadowfall réussit son pari sur certains aspects, il peine à exploiter pleinement ses mécaniques stratégiques. Le potentiel est là, les bases sont solides, mais un manque de finition empêche le jeu d’atteindre la grandeur qu’il ambitionne.
L’esthétique d’un monde en guerre
Si les royaumes d’Eldrador sont en guerre, cette bataille ne se joue pas seulement sur le terrain stratégique. Shadowfall s’appuie sur une direction artistique inspirée des figurines Schleich, où chaque créature, chaque environnement, et chaque effet visuel tentent d’insuffler la brutalité et la majesté d’un conflit élémentaire ancestral. Mais cette ambition esthétique se heurte à des limites techniques évidentes, ternissant une immersion qui aurait pu être spectaculaire.
Le premier contact visuel avec le jeu impose immédiatement son identité. Les créatures sont fidèlement modélisées, reprenant chaque détail des figurines originales. Les textures rugueuses de la pierre, la lave incandescente qui semble vibrer sous les pieds des monstres du chaos, la brume glaciale entourant les entités du royaume de la Glace… tout est là pour donner vie à cet univers. Malheureusement, cette rigueur dans la modélisation des personnages ne se retrouve pas dans les décors.
Si les biomes d’Eldrador affichent une diversité appréciable, leur rendu souffre d’une certaine rigidité. Les environnements manquent de profondeur, les textures semblent figées, et certains arrière-plans se répètent trop fréquemment, rendant certains niveaux moins vivants qu’ils ne devraient l’être. Là où le combat entre titans devrait être mis en valeur par un sens de la mise en scène, on se retrouve parfois avec des zones statiques, manquant du dynamisme nécessaire pour appuyer l’intensité du conflit.
Les animations suivent le même schéma. Les attaques élémentaires possèdent un certain impact visuel, avec des éclairs perçant l’obscurité, des vagues de flammes consumant le terrain, et des éruptions de roche pulvérisant les adversaires. Mais ces effets, bien qu’efficaces, restent limités en intensité. Les combats, censés être des affrontements entre colosses élémentaires, manquent de punch visuel, et certains mouvements se répètent trop, nuisant à l’impression de puissance que le jeu tente d’installer.
Là où Shadowfall aurait pu compenser ses lacunes visuelles, c’est dans sa bande-son. Malheureusement, celle-ci oscille entre de bonnes intentions et un manque de présence flagrant. Les thèmes musicaux peinent à instaurer une vraie tension dramatique. Les morceaux sont souvent trop génériques, trop discrets, et ne s’imposent jamais réellement dans l’expérience. Même dans les moments clés, la musique semble rester en arrière-plan, là où elle aurait dû exacerber l’intensité des batailles.
Les effets sonores suivent cette même trajectoire. Les rugissements des créatures, les explosions de magie élémentaire, les impacts des attaques… tout semble légèrement sous-mixé, manquant de force et d’écho. Dans un univers où chaque affrontement devrait résonner comme un cataclysme, on se retrouve avec une sonorité bien trop sage, trop contenue, et parfois répétitive.
Même le doublage ne parvient pas à injecter l’énergie nécessaire aux dialogues. Les créatures d’Eldrador ne sont pas de simples monstres, ce sont des seigneurs de guerre, des forces primordiales, mais cette aura ne se ressent pas assez dans les voix, qui manquent d’impact et d’intensité dramatique.
Si Shadowfall respecte l’identité visuelle de la licence Eldrador, il peine à transcender son matériau d’origine. Les créatures sont superbes, mais le monde qu’elles habitent manque de vie. Les effets visuels sont réussis, mais trop sages. La musique et les sons font leur travail, mais ne marquent pas durablement.
L’univers de Eldrador Creatures: Shadowfall possède les bases d’une grande fresque fantastique, mais son ambition esthétique est freinée par une exécution trop prudente, trop retenue. Un monde en guerre devrait hurler, gronder, exploser sous le poids de son propre chaos… Ici, il semble parfois trop silencieux.
Les rouages cachés d’Eldrador
Au-delà de son gameplay stratégique et de son univers visuel, Eldrador Creatures: Shadowfall présente sur Nintendo Switch, une expérience fluide, sans ralentissements notables ni bugs majeurs. Les temps de chargement sont raisonnables, permettant une immersion continue dans l’aventure. Cette stabilité technique est appréciable, surtout dans un genre où la fluidité des animations et la réactivité des commandes sont essentielles pour une stratégie efficace.
Malheureusement, Eldrador Creatures: Shadowfall ne propose pas de mode multijoueur, que ce soit en local ou en ligne. Cette absence limite la rejouabilité et prive les joueurs de l’opportunité de tester leurs stratégies face à d’autres tacticiens. Dans un jeu de stratégie au tour par tour, le défi contre des adversaires humains aurait pu ajouter une dimension supplémentaire et prolonger l’intérêt au-delà de la campagne solo. Une absence remarquée, surtout dans une genre ou il est fort rare de ne pas en proposer.
Avec plus de 100 niveaux à travers quatre biomes distincts, le jeu offre néanmoins une durée de vie conséquente. Cependant, l’absence de modes annexes ou de contenu post-fin limite l’expérience à la seule campagne principale. Une fois celle-ci terminée, les motivations pour relancer le jeu se font rares, surtout en l’absence de multijoueur ou de défis supplémentaires.
Conçu pour être accessible aux enfants et aux débutants, le jeu propose une prise en main aisée et un niveau de difficulté ajustable. Cette approche permet à un large public de s’initier au genre stratégique sans frustration. Cependant, les joueurs aguerris pourraient trouver le défi insuffisant, malgré les options de difficulté plus élevées.
0 commentaires