Un casque trop grand, un sourire figé, et dans les rétroviseurs, toute l’Europe en carton-pâte : Ed & Edda: GRAND PRIX – Racing Champions débarque sur Nintendo Switch avec l’insolence d’un jouet publicitaire érigé en prétention ludique. Ce spin-off motorisé, né de la licence Ed & Edda liée à Europa-Park, ne cherche pas à cacher ses origines commerciales — il les revendique même, les surligne, les transforme en moteur narratif. Le Grand Prix devient ici prétexte à un tour du continent en images plates, un voyage factice où Lidl croise la Tour Eiffel dans un ballet de virages arrondis et de dérapages aseptisés.
Mais ce clin d’œil bon enfant dissimule un paradoxe : car derrière ses airs de produit dérivé lancé pour accompagner un long-métrage d’animation diffusé en Allemagne, le jeu tente de capturer l’essence du karting arcade avec ses armes propres. Treize circuits, huit pilotes, multijoueur local jusqu’à quatre — les chiffres sont modestes, les ambitions feutrées, mais une question demeure : peut-on encore faire vibrer les manettes avec une œuvre née d’un parc d’attractions ? Ou faut-il y voir la simple prolongation d’un manège sans vertige ?
Mythologie creuse dans carlingue vide
L’univers d’Ed & Edda: GRAND PRIX – Racing Champions ne raconte rien, mais le fait avec une ferveur enfantine. Ici, la fiction ne naît pas d’un scénario, d’un arc ou d’un conflit, mais d’une simple prémisse : Ed et Edda doivent gagner un championnat. Pourquoi ? Pour qui ? Avec quelle conséquence ? Le jeu ne prend même pas la peine de feindre une justification. Pas de cinématique d’introduction, pas de dialogues, pas d’enjeu : tout est déjà là, posé, impersonnel, comme un décor en carton laissé au fond d’un hangar.
La galerie de personnages suit la même logique : silhouettes stéréotypées, avatars colorés, expressions figées. Chacun représente une nationalité ou un cliché vaguement européen — la pilote française a une marinière, l’Italien roule en Vespa, l’Allemand porte un casque de chantier. Aucun n’a d’identité au-delà du symbole qu’il agite. Ni voix, ni texte, ni traits de caractère : seulement des modèles interchangeables qui servent de véhicules au joueur, au sens propre comme au figuré.
Et pourtant, un semblant de monde existe. Chaque course se déroule dans un pays différent, chaque circuit trahit une tentative de stylisation touristique — des gondoles à Venise, des bus rouges à Londres, un moulin à vent aux Pays-Bas. Mais là encore, tout reste plat, illustratif, sans mise en tension ni lien logique. On traverse ces lieux comme on feuillette un album d’autocollants : sans surprise, sans narration, sans mémoire.
Aucun fil rouge, aucune progression. Le mot “championnat” n’est ici qu’un habillage pour un enchaînement de circuits, sans montage, sans montée en intensité, sans final marquant. Même la notion de victoire est creuse : gagner n’offre ni récompense narrative, ni scène de clôture, ni reconnaissance autre que l’écran de résultats.
Ed & Edda: GRAND PRIX – Racing Champions n’a pas d’histoire. Il n’a pas non plus de personnages. Il a des mascottes, des symboles, des silhouettes. Il ne raconte rien, sinon qu’un jeu peut encore, en 2025, se dispenser de tout récit sans que personne n’y voie d’obstacle.
Circuits sans friction pour moteurs en veille
En matière de karting arcade, l’héritage est lourd. Depuis Mario Kart jusqu’à Crash Team Racing, le genre repose sur un triptyque non négociable : maniabilité nerveuse, design des circuits inspiré, équilibrage des objets et des vitesses. Ed & Edda: GRAND PRIX – Racing Champions coche ces cases à minima, comme s’il suffisait d’en respecter les contours pour simuler la profondeur d’un gameplay.
La conduite, d’abord, souffre d’une légèreté inquiétante. Chaque véhicule semble glisser sur un tapis savonneux, sans friction, sans poids, sans inertie. Les collisions n’ont aucun impact physique, les dérapages n’opposent aucune résistance, les accélérations ne déclenchent aucun sursaut. C’est une expérience fluide, mais aussi vide : jamais punitive, jamais grisante. Même à pleine vitesse, on ne ressent rien. Ni danger, ni vitesse, ni maîtrise.
Le système d’objets, quant à lui, se contente d’un échantillon basique : roquettes téléguidées, boucliers temporaires, ralentisseurs. Aucun twist, aucune synergie, aucun moment d’inventivité ne vient perturber ce recyclage sans ambition. La distribution des objets manque de logique : en tête comme en queue, vous recevez les mêmes projectiles, au mépris de toute dynamique de rattrapage. Résultat : les courses se figent, les écarts se creusent vite, et le chaos – essence même du karting familial – ne survient jamais.
Les circuits, au nombre de treize, tentent de compenser par la variété visuelle. Mais leur construction trahit une rigidité systématique : virages larges, raccourcis anodins, rares éléments interactifs. Aucun tracé ne propose de véritable séquence mémorable, aucun ne joue sur les altitudes, les loopings, les surfaces alternatives ou les bifurcations risquées. C’est un défilé monotone, en ligne droite camouflée. Chaque course ressemble à la précédente, chaque victoire sonne creux.
La difficulté, enfin, semble calibrée pour les tout-petits. L’intelligence artificielle se laisse doubler sans résistance, ne défend pas ses trajectoires, ne tire presque jamais d’objets. Aucun mode difficile, aucun contre-la-montre exigeant, aucun système de classement mondial. En solo, l’expérience s’épuise en une heure. En multijoueur local, l’intérêt repose entièrement sur les joueurs humains – le jeu ne propose aucun système de handicap, aucun boost pour les retardataires, aucune règle personnalisable.
En refusant tout défi, toute audace mécanique, Ed & Edda: GRAND PRIX – Racing Champions réduit le karting à un habillage. Il emprunte le format, mais en retire la tension. Il simule l’adrénaline, mais n’offre jamais la moindre montée de pulsation.
Carton lissé sous ciel sans musique
Visuellement, Ed & Edda: GRAND PRIX – Racing Champions assume sa nature d’adaptation jeunesse : textures simplifiées, couleurs saturées, silhouettes caricaturales. Ce n’est ni une faiblesse, ni un style — c’est une fonction. Tout ici évoque la lisibilité, la sécurité, l’aseptisation. Les décors n’ont pas vocation à émerveiller mais à signaler : un drapeau ici pour dire l’Italie, un beffroi là pour figurer la Belgique. Le jeu ne construit pas un monde : il dresse des panneaux indicateurs dans un décor de fête foraine.
Techniquement, la Switch tient le choc. Le framerate reste stable à 30 images par seconde, même en écran partagé à quatre joueurs. Mais à quel prix ? Les modélisations sont sommaires, les effets visuels quasi absents, les animations minimalistes. Les spectateurs dans les gradins sont figés. Les arrière-plans s’étalent comme des tapis de sol. Même les objets à l’écran semblent flotter, faute d’ombres, de poids, de réaction à l’environnement.
La direction artistique, si tant est qu’on puisse parler de direction, se résume à un enchaînement de clichés touristiques : Big Ben, une gondole, un champ de lavande, un train suisse. Tout est propre, fonctionnel, décoratif. Rien ne dérange, rien ne surprend. Aucune texture ne retient l’œil, aucun tracé n’offre de contraste ou de variation stylistique marquée. Il s’agit d’un jeu sans grain, sans matière, sans relief.
La bande-son, elle, atteint une forme de transparence absolue. Quelques boucles génériques, mêlant sons électroniques et motifs enfantins, accompagnent les courses sans jamais les commenter. Aucun thème ne reste en mémoire, aucune variation n’intervient selon les circuits. Il n’y a ni tension musicale, ni relance rythmique, ni ponctuation sonore des moments forts. C’est une présence fantomatique, là pour remplir, jamais pour marquer.
Enfin, le jeu est intégralement localisé en français, mais cette localisation ne concerne que les menus. Aucun doublage, aucun dialogue, aucune voix-off : l’univers reste muet. Ce silence participe de l’étrangeté générale du titre — un jeu bavard dans ses couleurs, mais muet dans son ambiance. Un habillage sans voix, sans mots, sans musique digne de ce nom.
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