En novembre 2021, Dysmantle surgit dans un paysage saturé de jeux de survie pour y poser une promesse simple mais redoutablement efficace : tout ce qui vous entoure peut être détruit. Pas d’élément sacré, pas d’objet décoratif inutile : chaque mètre carré de ce monde post-apocalyptique peut être réduit en miettes pour nourrir votre survie.
Développé par 10tons, le jeu arrive un an plus tard sur Nintendo Switch, traînant derrière lui une réputation forgée sur PC — celle d’un titre à l’idée brillante, mais au souffle court. Le portage conserve l’intégralité de cette ambition… et de ses failles. Car si Dysmantle démarre avec l’ivresse de la destruction, il s’enlise vite dans une boucle sans surprise, usée par sa propre logique.
Détruire sans fin, construire sans relief
Le concept central de Dysmantle tient en une ligne : tout est destructible. Barrières, véhicules, bâtiments entiers — chaque élément du décor devient ressource. Cette idée, aussi simple que radicale, transforme les premières heures en un terrain de jeu grisant, où chaque objet brisé ouvre la voie à une amélioration tangible. Détruire, collecter, fabriquer : la boucle est immédiate, addictive, et donne au joueur un sentiment de maîtrise totale sur l’environnement. À ce stade, l’expérience semble tenir ses promesses.
Mais ce système ne se renouvelle jamais. Très vite, l’euphorie du démantèlement s’efface derrière la mécanique brute. La progression repose exclusivement sur la collecte compulsive de matériaux, sans tension narrative, sans bascule de rythme, sans variation significative. Chaque nouvelle zone, chaque nouveau défi, chaque outil débloqué ne fait que prolonger un cycle déjà connu : casser plus gros, collecter plus vite, recommencer.
L’évolution du personnage, soi-disant portée par l’équipement et les améliorations, reste linéaire. Le gain de puissance est mathématique, dénué de choix significatifs, et ne transforme jamais vraiment la façon d’aborder le jeu. À cela s’ajoutent des quêtes secondaires d’un vide abyssal — prétextes à peine déguisés pour rallonger la durée de vie sans nourrir le monde. Ramasser X objets, tuer Y ennemis : jamais un événement ne surprend, jamais un dialogue ne captive, jamais une mission ne dévie du plan prévu.
Le gameplay se transforme alors en tâche. Le plaisir s’érode à force de répétition, et le jeu, qui partait comme une démonstration de liberté, se révèle prisonnier de sa propre logique : tout casser, toujours, encore, sans jamais remettre en question la structure même de ce qu’il propose.
Zones fantômes, routines géographiques
La carte de Dysmantle impressionne d’abord par son étendue. Villes effondrées, forêts contaminées, complexes industriels déserts — chaque région affiche son identité visuelle, ses nuances d’ambiance, ses ennemis spécifiques. L’illusion d’un monde riche est là, tangible, presque crédible. Mais sous la surface, tout se dilue. La diversité des environnements n’est qu’un habillage : ce que vous y faites reste invariablement le même. Casser, ramasser, crafter. Encore. Et encore.
Les zones se succèdent sans rupture de rythme, sans moment de bascule, sans événement qui vienne briser la ligne monotone de l’exploration. Les puzzles environnementaux, trop rares et trop simples, échouent à injecter de la variété dans l’action. Chaque nouveau territoire devient une répétition mécanique du précédent — plus hostile, parfois, mais jamais plus inspiré.
Côté bestiaire, même constat : les ennemis, pourtant visuellement distincts, adoptent des comportements stéréotypés. On apprend vite à lire leurs patterns, à les contourner, à les écraser sans jamais devoir adapter sa stratégie. Ce manque cruel de renouvellement transforme la menace en obstacle administratif. Et lorsque surgissent des variantes supposées “élites”, leur simple surplus de points de vie ne suffit pas à réactiver la tension.
Ce monde immense aurait pu être une promesse d’inconnu. Il devient un enchaînement de cartes mentales, où l’on ne cherche plus à découvrir, mais à optimiser son itinéraire de démolition.
Silence radio, apocalypse générique
Le scénario de Dysmantle s’efface presque entièrement derrière ses mécaniques. Vous incarnez un survivant sans nom, sorti d’un abri après des années d’isolement, confronté à un monde vidé de toute humanité, peuplé de ruines et de créatures mutantes. Rien de plus. Pas d’introduction spectaculaire, pas d’événement déclencheur fort, juste une reprise en main du monde — par le biais du marteau.
L’histoire n’est jamais racontée, seulement suggérée. Quelques bornes radio, des notes éparpillées, des fragments de lore tentent de donner corps à l’univers. Mais ces éléments, trop distants, trop froids, échouent à construire une vraie dynamique narrative. Le joueur n’incarne pas une trajectoire, il incarne une fonction. Pas d’arc dramatique, pas de montée en tension, pas de conclusion marquante : l’intrigue devient prétexte, oubliée dès que la routine de démantèlement reprend ses droits.
Cette absence d’engagement narratif aurait pu être un choix fort — celui du silence, de la solitude radicale. Mais Dysmantle ne tire aucun parti de cette épure. Le monde reste muet, les enjeux creux, les découvertes fades. L’apocalypse devient ici une simple esthétique, pas une expérience à vivre.
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