Depuis plus de deux décennies, la série Dynasty Warriors perpétue son empire vidéoludique en conjuguant action frénétique, conquête territoriale et fiction historique aux couleurs flamboyantes. Décliné en multiples variantes, le label Empires s’impose comme le pendant stratégique de la formule, où la force brute s’allie aux ambitions politiques. Koei Tecmo le sait bien : le champ de bataille ne suffit plus, il faut le royaume entier.
Sorti le 15 février 2022 sur Nintendo Switch, Dynasty Warriors 9: Empires promettait une version hybride mêlant guerre de terrain et gestion impériale. Il devait être l’aboutissement d’une formule éprouvée, enrichie de générations dynastiques et de batailles tactiques. Mais ce qui aurait pu devenir un épisode de transition vers la maturité s’est transformé, sur la console de Nintendo, en récit de naufrage technique, un portage bridé, raturé, vidé de son souffle épique.
La Switch pouvait-elle accueillir l’ambition d’un royaume unifié ? Ou le rêve de domination a-t-il été sacrifié sur l’autel des performances réduites ? Le titre de Koei Tecmo, dans sa version nomade, ne laisse place à aucun doute : l’empire s’est effondré avant même d’avoir conquis son trône.
Chronique d’un Empire sans légende
Dynasty Warriors 9: Empires vous invite à incarner un général, un souverain, ou un humble mercenaire évoluant dans l’ombre tentaculaire de la Chine des Trois Royaumes. Loin d’un scénario linéaire, l’expérience se présente comme une fresque à construire soi-même, où chaque choix forge la dynamique d’un empire. Pourtant, malgré l’ampleur historique du cadre et l’intention affichée d’un récit vivant, la dimension narrative s’efface sous le poids des mécaniques et des répétitions.
L’ouverture promet un vaste théâtre de conquêtes et d’intrigues, nourri par les figures emblématiques de l’époque, qu’il s’agisse de Cao Cao, Sun Jian, Liu Bei ou Lu Bu, tous présents avec leurs attributs mythifiés. Vous pouvez les incarner, les affronter, ou créer votre propre lignée à travers un système dynastique. Mais cette promesse de grandeur se heurte très tôt à un déséquilibre flagrant entre intention et exécution.
L’un des apports majeurs de cet opus repose sur la possibilité de fonder une dynastie. Un personnage créé peut ainsi, après avoir conquis la Chine, se marier, avoir un enfant… et céder sa place à la génération suivante. Ce mécanisme, séduisant sur le papier, souffre en réalité d’un traitement purement cosmétique, dénué de toute cohérence interne. Aucun vieillissement visible, aucun héritage scénaristique, aucun conflit générationnel : l’enfant devient jouable sans que le monde ne change autour de lui. Pis encore, les figures parentales demeurent telles quelles, jeunes et inchangées, brisant toute illusion de continuité.
La disproportion entre les personnages masculins (près de 400, tous confondus) et la vingtaine de figures féminines empêche toute logique de succession à long terme. Plus votre lignée s’étend, plus vous risquez de vous retrouver dans une impasse, faute de partenaires disponibles pour faire avancer votre dynastie. Une aberration dans un système qui prétend simuler la gestion de lignées impériales.
Plus largement, la narration manque d’incarnation. Les relations entre personnages sont réduites à des scores d’affinité, et l’absence de véritables dialogues ou d’arcs narratifs personnalisés fait de chaque alliance ou trahison un simple chiffre à faire grimper ou baisser. Même les mariages, censés être l’aboutissement de longues stratégies d’alliance, se résument à un événement figé, dénué d’émotion ou d’impact sur le récit global.
La licence Dynasty Warriors a toujours eu un rapport particulier à l’Histoire : elle en tire des figures mythiques, mais les réduit souvent à des archétypes de guerre. Ici, ce potentiel dramatique est laissé à l’état brut, sans être taillé en fresque. L’ambition narrative se dissout dans la redondance, les systèmes mécaniques prenant toujours le pas sur toute tentative d’incarner une réelle destinée.
Un empire de routines, une guerre sans génie
Dynasty Warriors 9: Empires repose sur un équilibre fragile entre stratégie territoriale, gestion de royaume et combats musô à grande échelle. Cette ambition hybride n’est pas nouvelle pour la série, mais elle reste séduisante : mêler la conquête à la diplomatie, la guerre à la politique, l’héritage à la puissance. En surface, tout est là pour offrir une expérience dense et variée. Mais sous la surface, les mécaniques s’érodent, s’émoussent, se répètent, jusqu’à ne laisser qu’un enchaînement de systèmes usés.
La gestion du royaume permet de renforcer vos régions, de lever des troupes, de percevoir des impôts ou de développer votre influence. À mesure que vous progressez, vous pouvez interagir avec vos officiers, créer des alliances, lancer des invasions. Des choix de rôle s’offrent à vous : vivre en mercenaire, gravir les échelons militaires, ou fonder votre propre dynastie. Mais quelle que soit la voie empruntée, les options finissent toujours par s’épuiser, sans jamais générer une dynamique organique.
Le système de succession, par exemple, aurait pu redonner souffle à chaque campagne. Mais en imposant une naissance unique post-couronnement, sans vieillissement, sans mort naturelle, sans transmission réelle, il transforme l’héritage en simple redémarrage. L’arbre généalogique n’a aucun impact structurant, et votre descendance devient un clone narratif sans incidence.
La carte du jeu, loin d’être un terrain de jeu dynamique, est découpée en régions figées, où chaque conquête suit la même logique répétitive : gagner une bataille pour annexer une province. Les batailles, elles, se déclinent en deux types : attaque ou défense de forteresse. Ni batailles rangées, ni manœuvres navales, ni sièges évolutifs. Vous suivez le même schéma : lancer votre plan, interrompre celui de l’ennemi, attendre que les béliers approchent, briser les défenses, battre le général. À chaque fois.
Le cœur musô, autrefois symbole de chaos contrôlé, devient ici une routine mécanique. Les cartes sont peu nombreuses, leurs variantes à peine perceptibles. Et malgré l’abondance de personnages jouables, les différences de gameplay sont minimes. Pire encore, l’équilibre des affrontements repose uniquement sur des scores de puissance, calculés selon le nombre de soldats mobilisés. En clair : plus vous avez d’hommes, plus vous gagnez. Une donnée qui tue toute possibilité de retournement de situation, toute tension dramatique.
La gestion des batailles échoue également à impliquer le joueur. Même sans son intervention, un affrontement peut être gagné ou perdu automatiquement, uniquement selon les chiffres. Il n’est jamais possible d’exploiter une faille, de tendre une embuscade, de renverser une situation par ruse ou panache. Le gameplay se déroule sans surprise, sans courbe d’intensité, comme une répétition sans fin d’un plan déjà connu.
Et tout cela s’effondre encore davantage sur Nintendo Switch. Le moteur ne suit pas. Les ennemis apparaissent tardivement, parfois à quelques mètres seulement. Le clipping est omniprésent, les textures floues, les animations dégradées. Dans les missions à objectif de temps ou de décompte d’ennemis, il devient impossible de progresser : les adversaires arrivent au compte-goutte, étranglés par les limites de la console, et les objectifs échouent sans que le joueur puisse réagir. Dans un titre fondé sur la dynamique de guerre, cette lenteur imposée par la technique tue l’essence du jeu.
Dynasty Warriors 9: Empires conserve l’ossature d’un système intéressant, mais le squelette est trop visible. Ce que la série peinait à renouveler est ici reconduit presque tel quel, alourdi par les contraintes techniques, et vidé de tout véritable enjeu.
Le rideau de fumée sur l’Empire effondré
Sur Nintendo Switch, Dynasty Warriors 9: Empires prend l’apparence d’un vestige abîmé, délavé, usé par des concessions trop nombreuses. La version portable multiplie les coupes pour rester jouable, au point de trahir l’intention visuelle originale. Le résultat n’est pas seulement médiocre : il frôle l’indéfendable.
En mode téléviseur, l’expérience est défigurée. Les textures s’effondrent dans un flou indistinct, les personnages s’aliassent à chaque mouvement, le monde s’efface au profit d’un brouillard grisâtre qui masque l’absence de profondeur. La végétation, les PNJ secondaires, les détails architecturaux… tout disparaît pour laisser place à une scène désespérément vide. Le jeu donne l’impression de marcher dans une maquette en carton pâte, où la réalité n’existe qu’à trois mètres autour du personnage.
Le mode portable, moins violent pour les yeux, atténue ces défauts sans les résoudre. Le clipping reste omniprésent, les ennemis surgissent brutalement à quelques mètres, et l’environnement conserve un aspect flou et vacillant. Les batailles, censées évoquer l’ampleur épique des Trois Royaumes, deviennent des escarmouches brumeuses où chaque mouvement semble étranglé par les limites de la console.
La direction artistique, pourtant inspirée dans d’autres opus, est ici réduite à un strict minimum fonctionnel. Les personnages emblématiques conservent leurs costumes détaillés et quelques animations clés, mais les arènes de combat, les forteresses, les paysages sont plats, sans âme, interchangeables. Aucun lieu ne marque la mémoire. Aucune bataille ne dégage d’identité propre.
Côté bande-son, la série maintient ses fondamentaux : des thèmes dynamiques mêlant rock et instrumentation traditionnelle, parfois efficaces, parfois en décalage. Les musiques de menus, les sonorités des interactions ou des combats conservent une certaine tenue, sans pour autant créer de réel souffle. L’habillage sonore, comme l’univers visuel, remplit sa fonction sans jamais élever l’expérience.
Les doublages, intégralement en japonais, soutiennent un minimum d’expressivité pour les personnages les plus connus. Mais l’absence de mise en scène, les dialogues figés et l’austérité générale du cadre réduisent leur portée à quelques phrases lancées mécaniquement entre deux menus.
Dans l’ensemble, Dynasty Warriors 9: Empires version Switch est un jeu visuellement amputé, au rendu sonore fonctionnel, privé de ce qui donnait autrefois à la licence son souffle spectaculaire. C’est un portage qui sape la dimension héroïque du récit, en l’enfermant dans un moule qui n’a plus les moyens de ses ambitions.
L’empire de l’incohérence programmée
En marge de ses combats et de sa stratégie, Dynasty Warriors 9: Empires se targue de proposer une gestion dynastique, des relations diplomatiques et des interactions sociales, autant de promesses qui laissent entrevoir un jeu de conquête globale, riche de nuances et de récits secondaires. Pourtant, ces idées se heurtent à une réalité rigide, fragmentée, où chaque système semble conçu sans tenir compte du précédent.
Le système de succession est l’exemple le plus frappant. Il prétend simuler l’héritage du pouvoir, mais refuse toute évolution logique : pas de vieillissement, pas de mort naturelle, pas de transmission progressive. Votre héros peut fonder une dynastie uniquement après être devenu empereur, comme si l’accomplissement personnel devait précéder la fécondité. L’enfant, une fois généré, devient jouable… sans que le monde ait changé. Les ancêtres, eux, peuvent réapparaître, inchangés, recrutables, prêts à reprendre les armes aux côtés de leur propre descendance.
Autre exemple d’inertie : l’absence de négociation stratégique avancée. Malgré son ancrage historique, Empires ne propose aucun mariage arrangé pour sceller une alliance, aucun assassinat politique, aucun chantage, aucun exil. Les interactions se limitent à des flatteries, des échanges de biens ou des propositions d’union personnelles. Et ce manque de profondeur choque d’autant plus que les autres licences de Koei Tecmo — Romance of the Three Kingdoms, Nobunaga’s Ambition — intègrent depuis longtemps des mécaniques de grande stratégie infiniment plus raffinées.
Même la personnalisation des personnages, bien que riche en apparence, souffre d’un manque cruel de répercussions. Vos choix d’armes, de runes, de cartes de pouvoirs, n’influencent que légèrement les capacités. Le système de progression est linéaire, les armes se maîtrisent trop vite, et les avantages transmis aux descendants n’ont qu’un impact mineur sur la durée.
En définitive, Dynasty Warriors 9: Empires déploie une façade de complexité pour masquer un squelette de règles répétitives et sous-exploitées. Derrière l’ambition de bâtir un empire, le jeu refuse toute logique organique, toute trace de simulation crédible, toute forme d’évolution naturelle.
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