Le 10 décembre 2024, le mal a changé de visage, ou plutôt… de camp. Avec Dungeons 4 – Not Another Multiverse, le studio Realmforge Studios offre au Mal Absolu un miroir déformant dans lequel se reflète un univers parallèle aussi loufoque qu’inquiétant. Disponible sur Xbox Series, ce premier DLC narratif de Dungeons 4 bouleverse les fondations posées par le jeu de base : ici, vous ne jouez plus l’ombre, mais la lumière. Du moins… en apparence.
Exit Thalya et ses sarcasmes démoniaques — place à Tristan, paladin de pacotille et frère déchu d’une héroïne corrompue, désormais propulsé chef des armées du Bien dans un univers alternatif où les licornes saignent des arcs-en-ciel et les mignons gobelins réclament des droits syndicaux. Trois missions scénarisées, une carte de combat exclusive, des mécaniques renversées : Not Another Multiverse ne se contente pas d’ajouter du contenu. Il prend l’univers de Dungeons 4 à revers, le retourne comme une chaussette magique, et y insuffle une nouvelle dose de satire stratégique.
Mais cette incursion dans les tréfonds des vertus caricaturales cache-t-elle un vrai tournant ludique, ou n’est-elle qu’un clin d’œil moqueur jeté à une série qui peine à se renouveler ?
Licornes, sarcasmes et trahisons : théâtre d’ombres dans un monde trop lumineux
Dans Not Another Multiverse, vous quittez les catacombes familières du Mal Absolu pour enfiler les chausses bien cirées du paladin Tristan, demi-frère de Thalya, ex-héroïne corrompue et star incontestée du jeu principal. Ce renversement de perspective n’est pas un simple gimmick scénaristique : c’est le cœur même de ce mini-DLC. Le Bien, ici, n’est pas la lumière salvatrice qu’on attendait, mais une version aseptisée, lissée, grotesquement naïve d’un monde alternatif où même les pires intentions sont parfumées à la guimauve.
Tristan, figure tragico-comique, tente de rétablir un semblant d’ordre dans ce multivers parodique. Mais derrière ses déclarations chevaleresques et son armée de créatures trop mignonnes pour survivre, se cache une quête désespérée de sens. Loin d’être un héros pur, Tristan incarne cette tension permanente entre devoir et ridicule, entre tradition et renoncement. Sa relation complexe avec Thalya, omniprésente dans l’ombre du récit, sert de fil rouge à une narration en trois actes, entre introspection vaine, gags absurdes et satire appuyée du manichéisme vidéoludique.
Les dialogues, toujours aussi ciselés, regorgent de piques méta, brisant sans vergogne le quatrième mur pour mieux souligner l’artificialité des codes du genre. Realmforge pousse ici la caricature jusqu’au bout, transformant chaque personnage secondaire — des moines illuminés aux elfes végétariens radicaux — en archétypes volontairement outranciers. Ce choix de ton est assumé, parfois jusqu’à l’excès, mais confère à l’ensemble une cohérence burlesque qui sied parfaitement à l’univers de Dungeons.
La vraie réussite de ce DLC ne réside pas tant dans son intrigue — simple, linéaire, mais fonctionnelle — que dans sa capacité à détourner les rôles. En incarnant un “gentil” plus désemparé qu’inspiré, Not Another Multiverse inverse les valeurs et interroge avec une ironie mordante le sens même du Bien dans les jeux de stratégie.
Stratégie inversée et tours de passe-passe tactiques
Le tour de force de Not Another Multiverse ne tient pas seulement dans son renversement narratif, mais dans la manière dont il recode les mécaniques de jeu sans trahir l’ADN stratégique de Dungeons 4. En troquant vos troupes démoniaques pour une armée de créatures bienveillantes, ce DLC vous contraint à réapprendre les bases d’un gameplay que vous croyiez maîtriser. Finies les salles de torture et les invocations démoniaques : ici, vous construisez des refuges de vertu, des jardins d’adoration et des sanctuaires ridiculement positifs… mais tout aussi meurtriers.
L’ironie, c’est que le gameplay ne devient pas plus simple : il se complexifie. Car jouer le camp du Bien ne signifie pas renoncer à la cruauté, mais la déguiser. Vos unités sont certes bardées d’auréoles et de discours vertueux, mais leurs capacités restent impitoyablement efficaces. L’archange radieux se transforme en machine à juger, l’ours câlin explose dans une gerbe de lumière sanctifiée, et vos catapultes envoient des sermons plutôt que des pierres, avec des effets tout aussi dévastateurs.
Le level design, quant à lui, reste dans la droite lignée du jeu de base, avec des cartes labyrinthiques à la lisibilité progressive et une boucle de jeu structurée autour de l’expansion, de la défense, puis de la domination. Le DLC propose une nouvelle carte de combat exclusive centrée sur la dualité morale, avec un twist original : certaines zones ne peuvent être conquises qu’en répandant assez de bonté… ou de suffisance. Une idée maligne, même si son implémentation reste superficielle sur la durée.
Du côté des mécaniques, rien de révolutionnaire, mais une variation intelligente. Le système d’économie reste fondé sur l’optimisation des salles, la gestion de vos ressources et la rotation des troupes, avec quelques ajouts spécifiques à cette faction “vertueuse”. Le gameplay souffre toutefois d’un léger manque de profondeur sur la fin, les trois missions scénarisées ne laissant que peu de place à la montée en puissance ou aux variations de stratégie.
Ce DLC, bien que court, n’est pas paresseux : il propose un terrain d’expérimentation ludique rafraîchissant, une forme de pastiche tactique qui inverse les rôles pour mieux révéler l’absurdité de certains automatismes de gameplay. Dommage cependant que la courbe de difficulté soit si timide : les vétérans de Dungeons 4 y trouveront un défi modeste, voire trop prévisible.
Quand la lumière aveugle et que l’harmonie sonne faux
Sur le plan esthétique, Not Another Multiverse joue la carte de la parodie visuelle à fond. Là où Dungeons 4 baignait dans une obscurité clinquante, pleine de rivières de lave, de salles fétides et de pièges à pointes, ce DLC renverse tout avec une direction artistique volontairement mièvre, pastel et criarde, à la limite de la caricature. Les couloirs infernaux deviennent des sentiers fleuris bordés de fontaines chantantes, les bannières démoniaques laissent place à des tentures ornées d’angelots potelés, et les salles regorgent de décors roses bonbon, si sucrés qu’ils en deviennent écœurants.
Mais cette surchauffe chromatique est loin d’être gratuite. Elle sert un propos, une distorsion volontaire du regard : ce n’est pas un paradis, c’est une comédie. Realmforge pousse l’art du détournement graphique au point d’en faire une moquerie : chaque pixel transpire le sarcasme, chaque texture semble se demander pourquoi elle est aussi lumineuse. On en rit, parfois jaune.
Les animations suivent la même logique. Les créatures du Bien se déplacent avec une élégance absurde, presque dansée, et leurs attaques sont accompagnées de petits effets visuels dignes d’un dessin animé de dimanche matin — éclats de lumière, pétales virevoltants, coeurs arc-en-ciel. Cette surcharge visuelle, si elle amuse dans un premier temps, peut toutefois saturer les sens lors des séquences de combat prolongées, où l’écran devient un carnaval de particules lumineuses, parfois au détriment de la lisibilité tactique.
Côté sonore, Not Another Multiverse s’en donne à cœur joie. La bande-son originale est ici remplacée par une partition grotesquement héroïque, aux cuivres grandiloquents et aux chœurs lumineux, parodiant les envolées lyriques des JRPG les plus emphatiques. On y entend des harpes, des carillons célestes, et même des envolées façon comédie musicale, comme si la sainteté devenait un jingle. Là encore, c’est le décalage qui fait tout l’intérêt : à trop vouloir paraître pur, cet univers finit par sonner faux — et c’est précisément ce qu’il cherche à faire.
Les doublages sont à l’unisson. Le comédien derrière Tristan campe un paladin surjoué avec une ferveur presque inquiétante, tandis que les créatures du Bien s’expriment avec des voix haut perchées, bourrées d’exclamations ridicules. L’ironie est omniprésente : on ne croit à rien de ce qu’ils disent… et c’est très bien ainsi.
Quand la technique s’efface derrière la comédie divine
Sur Xbox Series, Not Another Multiverse tourne avec une fluidité exemplaire, identique à celle du jeu principal. Les temps de chargement sont quasi-inexistants, les transitions entre les scènes scriptées et les phases de gameplay sont nettes, et aucun ralentissement notable ne vient troubler cette parodie du Bien absolu. Le moteur, déjà bien rodé par Dungeons 4, supporte sans faillir la surcharge de particules lumineuses, de halos et d’effets de bénédiction qui saturent l’écran.
Le DLC bénéficie d’une intégration technique impeccable au jeu de base. Accessible depuis le menu principal, il ne nécessite pas de recommencer une campagne ni de débloquer des éléments spécifiques : vous pouvez plonger directement dans ce multivers de pacotille sans prérequis, ce qui en fait une parenthèse ludique aisée à explorer même pour ceux qui auraient déjà terminé Dungeons 4. Le système de sauvegarde automatique reste inchangé et fiable, permettant une reprise sans accroc.
En matière de contenu, la promesse est modeste mais tenue : trois missions scénarisées, une carte de combat exclusive et quelques unités inédites. Pas de quoi bouleverser l’écosystème stratégique global, mais suffisamment pour justifier les 14,99 € demandés en dehors de l’édition Deluxe. En revanche, les joueurs en quête de rejouabilité ou de défis techniques corsés resteront peut-être sur leur faim : les missions se terminent en deux à trois heures, et le gameplay ne connaît pas de réelle inflexion stratégique après la première surprise passée.
Côté accessibilité, aucun progrès n’est à signaler. Le jeu reste fidèle à ses habitudes : textes lisibles mais non redimensionnables, absence de synthèse vocale, pas de filtres spécifiques pour les daltoniens, et un doublage intégralement en anglais, sans options vocales alternatives. Les sous-titres sont corrects, mais l’humour particulier du jeu, souvent fondé sur des jeux de mots ou du sarcasme très culturel, pourrait perdre en impact pour un public non anglophone.
Enfin, aucun bug notable à signaler sur cette version Xbox Series. Le DLC profite de la stabilité du moteur principal, et l’on sent que Not Another Multiverse a été testé avec soin. La seule limite, au fond, n’est pas technique, mais thématique : à force de jouer avec les clichés du Bien, le DLC prend le risque de ne pas faire rire très longtemps ceux qui n’adhèrent pas à son humour volontairement outrancier.
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