Avant d’être une force brute, le Doom Slayer fut un soldat. Un pion. Un condamné. DOOM: The Dark Ages remonte le temps — non pour expliquer, mais pour enchaîner. Ici, vous ne bondissez plus d’arène en arène. Vous avancez, lentement, pesamment, cuirassé, chargé d’un bouclier d’acier et d’un canon gravé d’anciens pactes. Fini l’agilité chirurgicale de DOOM Eternal. Place à l’écrasement.
Sorti en mai 2025 sur Xbox Series X|S, le jeu opère une rupture nette avec l’hystérie rythmique des épisodes précédents. Univers médiéval technoïde, rythme martelé, bestiaire sacrifié et rituels de guerre — The Dark Ages se veut archaïque, brutal, presque primitif. Ce n’est plus une danse. C’est une marche.
Mais cette marche est-elle une évolution maîtrisée… ou le premier pas vers un ossuaire vidé de sa fureur ?
L’origine du massacre, le mutisme de l’icône
DOOM: The Dark Ages raconte ce qu’aucun opus précédent n’avait tenté : la genèse du Slayer. Pas celle d’un homme. Celle d’un outil. Un guerrier façonné, brisé, forgé dans l’obéissance par les Maykrs, ces divinités technologiques qui régnaient bien avant la chute. Ce n’est pas un récit de vengeance. C’est un mythe inversé : un héros construit pour détruire, sans voix, sans libre arbitre, sans échappatoire.
Tout passe par le silence. Le Slayer ne parle pas, il traverse. Il subit, puis il écrase. Son récit est celui des autres : des entités supérieures qui pactisent avec l’enfer, des fanatiques qui l’envoient au combat comme on enverrait une arme. La narration, volontairement austère, est livrée par fragments, monolithes, chants de guerre et réminiscences cryptées. On n’explique pas. On constate.
Le casting secondaire s’inscrit dans cette logique d’effacement. Pas de complicité. Pas de drame humain. Seulement des silhouettes : un roi déchu, une prêtresse inquisitrice, des commandants tombés en adoration devant le Slayer comme s’il était un fléau plus qu’un soldat. The Dark Ages ne cherche jamais à humaniser son protagoniste. Il ne cherche pas non plus à séduire. Il raconte une damnation.
La narration se plie ainsi à la brutalité du monde qu’elle décrit. Sans psychologie, sans pathos. Un univers de chaînes, de cris et de sang. Et au milieu, un seul homme. Pas pour sauver. Pour effacer.
Le poids du métal, le tempo du massacre
Oubliez le dash compulsif, les doubles sauts en rafale et les arènes hystériques. DOOM: The Dark Ages n’est pas une suite. C’est une régression. Un retour aux fondamentaux. Un pied-de-nez aux acrobaties de DOOM Eternal. Ici, chaque pas du Slayer pèse comme une enclume. Chaque frappe de hache, chaque coup de canon, chaque parade de bouclier impose un rythme martial, lent mais implacable. Ce n’est plus un ballet. C’est une exécution.
Le gameplay repose sur une philosophie radicalement différente. Le Slayer devient tank. Son bouclier, pièce centrale du système, sert à bloquer, contrer, écraser. Il n’est pas un gadget : c’est un prolongement du corps. Il se projette, rebondit, explose. On pare un coup, on enchaîne avec une décapitation. Puis on recule. Car ici, l’erreur ne pardonne pas. L’ennemi frappe fort. Et souvent.
L’arsenal suit cette logique. Oubliez le fusil à plasma hyperactif. The Dark Ages introduit des armes lourdes, mécaniques, brutales. Le Skull Crusher, sorte de catapulte de main, pulvérise à courte portée. Le Shredder, mitrailleuse à manivelle, broie les chairs mais exige du positionnement. Même la classique tronçonneuse devient une arme lente, presque cérémonielle. On ne l’utilise pas pour maintenir la pression : on la dégaine pour sceller une fin.
Ce changement de tempo transforme la structure des affrontements. Les arènes ne sont plus des playgrounds verticaux. Elles deviennent des antres de tension. Chaque mouvement doit être pesé. Les ennemis arrivent en vagues organisées, moins nombreuses, mais plus coriaces. Certains doivent être désarmés, d’autres contournés, d’autres encore éliminés en priorité sous peine d’être submergé. Il ne s’agit pas de courir. Il s’agit de survivre.
Le level design épouse cette philosophie. Moins de verticalité, plus de densité. Les niveaux s’enroulent autour de points de rupture : portes verrouillées, arènes isolées, couloirs sacrifiés à l’embuscade. Certains environnements, comme les cathédrales abyssales des Maykrs ou les citadelles infernales en ruine, imposent un respect immédiat. Mais cette magnificence visuelle masque parfois un manque de variété structurelle : trop de couloirs, trop de salles prévisibles, pas assez de réel labyrinthe.
Quant aux nouveautés mécaniques — segments en mécha Atlan, chevauchées de dragons métalliques — elles impressionnent, mais restent cosmétiques. L’Atlan est massif, mais dirigé comme un char dans un rail shooter. Les phases de vol sont spectaculaires, mais pauvres en interactivité. Des ruptures de rythme bienvenues, mais jamais indispensables.
Ce DOOM là est plus âpre. Plus rugueux. Il ne cherche pas à séduire par la vitesse. Il impose une lenteur tendue. Et c’est là sa force comme sa limite : une expérience moins grisante, mais plus grave. Plus archaïque. Presque liturgique.
Un pacte avec la brutalité
Le bouclier n’est pas un gadget. Ce n’est pas un bonus défensif. C’est le cœur du système. Le bouclier dans DOOM: The Dark Ages n’est pas là pour temporiser. Il est là pour inverser la pression. Il se jette comme une lame, rebondit comme une grenade, revient comme une menace. Il peut interrompre une charge, pulvériser un groupe, parer une attaque létale. Mais il ne pardonne pas. L’utiliser au mauvais moment, c’est offrir votre gorge.
Il redéfinit l’espace. Là où DOOM Eternal vous incitait à fuir, sauter, flotter, The Dark Ages vous cloue au sol. Vous avancez, vous encaissez, vous contre-attaquez. Le Slayer devient un mur. Et ce mur doit réfléchir. Car chaque utilisation du bouclier coûte. En énergie, en position, en timing. C’est un risque permanent. Et c’est ce qui le rend essentiel.
Là où Eternal noyait le joueur dans un flot d’ennemis aux fonctions précises, The Dark Ages épure. Moins de monstres. Mais plus de menace par individu. Chaque démon a un comportement. Le Screamer attire. Le Ghoul parasite. Le Juggernaut isole. Ils ne surgissent pas comme des sacs à balles. Ils se positionnent. Ils piègent. Le joueur n’est plus un acrobate en duel permanent avec sa propre endurance. Il devient un prédateur méthodique. Observer, abattre, reculer, recommencer.
Le jeu exige de mémoriser les schémas. Pas pour le scoring. Pour survivre. Certains ennemis n’ont qu’un angle d’attaque viable. D’autres doivent être désarmés dans la seconde, ou ils nettoient l’arène. Cette densité comportementale crée un rythme plus stratégique. Moins spectaculaire ? Peut-être. Mais plus angoissant. Plus serré. Plus sale.
Les zones d’exploration ne sont pas là pour meubler. Ce sont des respirations. Courtes. Froides. Chargées de tensions. Id Software a compris que ralentir le rythme, ce n’est pas le casser. C’est le tendre. Dans ces moments de silence — cryptes, ruines, corridors tordus par les âges — le joueur n’a rien à faire… sauf guetter. Et c’est là que The Dark Ages surprend : il ne cherche pas à remplir, il cherche à compresser. À faire du vide un écrin pour le prochain carnage.
La guerre sculptée dans la pierre et le feu
Le monde de DOOM: The Dark Ages ne scintille pas. Il ne brille pas. Il gronde. Fini les néons techno-démoniaques de Eternal. Ici, tout est pierre, fer, os et feu. Des cathédrales éventrées par des siècles de guerre. Des fosses ouvertes sur le néant. Des murailles tordues sous les impacts de canons oubliés. L’enfer n’est plus une aberration : il est l’architecture.
Le moteur crache chaque texture avec une brutalité froide. Les reliefs sont granuleux, les murs lacérés, les sols déchirés. La lumière ne guide pas. Elle découpe. Des rais aveuglants filtrent à travers des vitraux éclatés, des reflets sanguins s’étendent dans l’huile, des torches vomissent une chaleur morte. Ce n’est pas un décor. C’est une tombe ouverte.
Mais c’est dans le son que le jeu frappe le plus fort. La bande-son n’est plus une cavalcade. C’est une procession. Finishing Move remplace Mick Gordon, et ça s’entend. Moins de rage, plus de menace. Les guitares saturées laissent place aux cuivres distordus, aux percussions tectoniques, à des nappes métalliques qui résonnent comme des appels au sacrifice. Chaque morceau vous lie à l’arène. Et quand le silence revient, il est plus effrayant que les cris.
Les bruitages sont d’une violence chirurgicale. Le métal plie, la chair éclate, les armes claquent comme des verdicts. Pas de surenchère hollywoodienne : ici, chaque son a un poids. On ne tire pas. On frappe. On éventre. On fait taire.
The Dark Ages n’est pas un jeu qui flatte l’œil ou l’oreille. Il les écrase. Et dans cette écrasante beauté, il impose son univers : cohérent, menaçant, sculpté à la hache.
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