éveloppé par M11 Studio, DeTechtive 2112 se déroule dans une Londres post-effondrement, rongée par les séquelles d’une Troisième Guerre mondiale que les corporations ont transformée en vitrine technologique déguisée. Loin des fantasmes high-tech du cyberpunk policé, le jeu revendique un retour à la crasse, au vice, au désespoir. Ici, les implants sont rouillés, les détectives n’ont plus d’illusions, et les ruelles éclairées au néon ne cachent rien d’autre qu’une société en décomposition avancée.
Mais cette promesse d’un polar dystopique poisseux parvient-elle à s’imposer durablement, ou ne sert-elle que de décor à un gameplay creux et une mise en scène sans nerf ?
Une carcasse fatiguée dans un monde sans relief
Londres est tombée. Puis elle a été recouverte. D’abord par la guerre, ensuite par les corporations. Mais sous les enseignes holographiques et les drones omniprésents, la ville continue de suinter la misère. C’est dans ce décor que Matthew Wallace arpente les rues, vétéran reconverti en détective privé, silhouette cassée, regard noyé dans les archives mortes et les bouteilles à moitié pleines. La vérité ne l’intéresse plus. Il remplit des rapports. Il ferme des dossiers. Il survit.
Le jeu aurait pu faire de cette figure une fresque noire, un contrepoint aux archétypes rutilants du genre. Il n’en fait qu’un cliché fonctionnel. Wallace incarne tout ce que l’on attend d’un privé post-apocalyptique : mutique, désabusé, hanté par une guerre jamais vraiment nommée. Mais c’est justement parce qu’il ne cherche pas à séduire qu’il existe. Sa fatigue est crédible. Ses silences portent plus que ses lignes de dialogue. Il tient. Ce qui ne tient pas, c’est le reste.
Les personnages secondaires — Abigail, les clients, les criminels — n’ont ni poids ni contour. Ils sont là pour meubler, pour justifier un objectif, pour réciter des lignes. Pas pour construire un monde. La secrétaire du héros, censée incarner une forme de stabilité ou de complicité, n’est qu’un relai narratif dénué de substance. Les autres n’offrent rien d’autre que des déclencheurs de quête. Même les figures de pouvoir, pourtant centrales dans l’univers cyberpunk, disparaissent dans l’indifférence.
L’écriture aurait pu sauver l’ensemble. Elle en est le révélateur. On y sent par moments un rythme, une voix, une promesse. Mais ces fragments s’éteignent vite. Trop vite. Chaque bon dialogue est noyé dans dix autres qui étirent leur ligne sans direction. Chaque tension naissante est sabordée par une mise en scène rigide. Pas de corps. Pas de rupture. Pas de rythme.
Certains sujets abordés — trafic de souvenirs, manipulations sur vétérans, corruption systémique — auraient pu donner lieu à de vraies descentes. Mais le jeu reste au bord. Il touche. Il ne creuse jamais. Les enquêtes finissent sans vertige. Les dilemmes n’ont aucune incidence. L’univers se construit en surface. Il ne s’écrit jamais dans la durée.
Une enquête sans méthode et une arme sans poids
DeTechtive 2112 se vend comme un polar cyberpunk interactif. Il se joue comme un shooter approximatif. Entre infiltration bancale et action forcée, l’expérience glisse lentement d’une promesse d’investigation à une mécanique de nettoyage de pièces. Le détective ne détecte rien. Il avance. Il tire. Il redémarre.
Deux approches coexistent sur le papier : discrétion ou confrontation. Mais l’infiltration est un leurre. L’intelligence artificielle ne voit rien, n’entend rien, réagit au ralenti jusqu’au moment où, sans logique, elle se réveille et alerte tout ce qui bouge. Le joueur, confronté à ce déséquilibre permanent, abandonne rapidement toute tentative de subtilité. L’ombre ne sert à rien. Le pistolet, lui, fonctionne. Alors on entre, on vide un chargeur, on avance.
Mais l’action, censée être le contrepoids, ne tient pas non plus. Les affrontements manquent d’impact. Les ennemis se déplacent comme des mannequins en panique, se coincent dans le décor, se jettent en ligne droite sans aucune gestion de couverture. Le level design, couloir après couloir, ne propose jamais de variation. Il n’y a ni verticalité, ni respiration, ni tactique. Seulement des pièces à nettoyer.
L’enquête, quant à elle, n’existe que par son interface. Une vision spéciale met en évidence les indices. On les survole. On les valide. Aucune mise en relation, aucun raisonnement, aucun effort de déduction. L’illusion d’analyse disparaît dès la première mission. Ce n’est pas un système d’enquête. C’est un surligneur.
Le rythme est haché, la narration morcelée. Wallace est le seul à être intégralement doublé, créant un écart étrange entre lui et tous les autres, cantonnés à des lignes muettes. L’immersion se brise. La tension s’effondre.
Les bugs aggravent la sensation de déséquilibre. Crashes, ralentissements, collisions aléatoires, scripts bloqués, animations décalées. L’expérience devient une succession d’irrégularités. Même les missions perdent leur structure. Certaines séquences doivent être relancées, d’autres se terminent sans transition.
Ce qui devait être une enquête tendue dans un monde pourri devient un exercice de patience. Pas par complexité. Par instabilité.
Une ville noyée de lumière froide et de figures sans regard
Londres, dans DeTechtive 2112, est une façade. À distance, elle impressionne. Les néons percent la brume, les enseignes se reflètent dans les flaques huileuses, les ruelles déversent une lumière artificielle qui n’éclaire plus rien depuis longtemps. L’imagerie cyberpunk est respectée à la lettre : câbles, pollution, déshumanisation. Tout y est. Et pourtant, tout sonne faux dès qu’on s’approche.
Le décor vit. Mais il vit seul. Les personnages qui l’habitent n’existent pas. Wallace, rigide, avance comme une marionnette sans fluide. Ses gestes manquent de poids, ses animations s’enrayent, son visage reste figé quelle que soit la situation. Les PNJ, eux, sont des figurants. Pas d’animation de transition. Pas de regard. Pas de réaction. On les croise. On les oublie. Même les personnages centraux — ceux censés porter l’intrigue — restent hors champ, visuellement et narrativement.
Le contraste entre la richesse des décors et l’inhumanité des figures les rend d’autant plus absents. Le chara-design est soigné, oui. Mais il n’est jamais mis en valeur. Aucun cadre ne les sublime. Aucun moment ne les révèle. Tout reste figé, désaturé, retenu.
La bande-son, elle aussi, applique les codes sans jamais les incarner. Quelques nappes synthétiques soutiennent l’exploration. Mais aucun thème n’émerge. Pas de motif, pas de rupture, pas de tension. Une musique fonctionnelle. Un accompagnement. Jamais une voix.
Les effets sonores suivent le même schéma. Les armes sonnent creux. Les pas résonnent comme sur du béton vide. Les dialogues, parfois, semblent étouffés, mal spatialisés, comme si la voix venait d’une pièce voisine. Aucun son ne vous prend. Aucun ne vous poursuit.
Les problèmes techniques finissent de rompre l’illusion. Baisses de framerate aléatoires, bugs de collision fréquents, scripts d’événements absents ou déclenchés en retard. Même les menus, parfois, s’effacent ou se bloquent. Le jeu vacille jusque dans son interface. Ce n’est plus une dystopie. C’est un hologramme instable.
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