Sorti le 11 mai 2023 sur Xbox Series, Death or Treat est la toute première création de Saona Studios, jeune équipe madrilène qui signe ici un rogue-lite d’inspiration gothique, aussi coloré que piquant. Sous l’égide de l’éditeur Perpetual-Europe, ce premier jet joue cartes sur table : ambiance burtonienne, humour mordant, et un gameplay rodé sur les bases bien connues du genre.
Avec ce projet modeste mais ambitieux, les développeurs ne cherchent pas à révolutionner la formule. Ils la respectent, la déclinent avec sincérité, et tentent de faire émerger leur identité dans un paysage vidéoludique déjà saturé de run & retry. Mais parfois, une œuvre parvient à dépasser la simplicité de ses mécaniques par l’enthousiasme qu’elle dégage — et Death or Treat semble précisément animé par ce feu-là.
Reste à savoir si ce premier essai parvient à transformer l’essence de son concept en réussite, ou s’il se contente d’aligner les citrouilles sans faire jaillir la lumière.
Ghost Mart, créanciers et vanité numérique
Dans le monde acidulé de Death or Treat, vous incarnez Scary, un petit fantôme-entrepreneur à la tête du Ghost Mart, première entreprise de bonbons dédiée à Halloween. Mais les affaires ne sont plus ce qu’elles étaient. Une entité nommée Clark Fackerberg a lancé le Storyum, un réseau tentaculaire aussi toxique qu’incontrôlable, menaçant tout autant la prospérité de Scary que la quiétude de Hallow Town.
C’est donc en costume de justicier du goût sucré que Scary s’aventure hors de sa boutique pour remettre de l’ordre dans ce monde numérique qui déraille. Une fable capitaliste croquée à la citrouille, où les antagonismes prennent la forme de start-ups dégénérées, de monopoles dévorants et de réseaux sociaux vampiriques. L’écriture, légère mais perspicace, se permet quelques piques délicieuses, tout en conservant un ton bon enfant qui n’édulcore jamais complètement la satire.
Le récit reste simple dans ses fondations, mais ce sont les dialogues, les descriptions et les clins d’œil qui l’élèvent. Death or Treat regorge de jeux de mots, de références détournées et de noms volontairement absurdes. Chaque personnage secondaire rencontré — du vendeur de potions loufoque au commerçant dépressif — s’inscrit dans une typologie moqueuse mais jamais cynique. Le ton général privilégie l’autodérision, et l’humour, toujours dosé avec soin, parvient à entretenir une atmosphère de légèreté mordante.
Les PNJs de Hallow Town rythment votre progression. Non jouables mais essentiels, ils vous proposent divers services en échange de ressources : potions, améliorations, nouvelles armes ou bonus passifs. Ces habitants ne sont pas là pour meubler le décor, mais pour ancrer Scary dans une économie circulaire où le run sert le village, et le village alimente vos prochaines expéditions. Ce microcosme commercial devient ainsi le noyau affectif de votre aventure, un point de départ rassurant dans un monde où tout vous est hostile.
Si le scénario ne prétend jamais aller au-delà d’une trame humoristique simple, il réussit néanmoins à imposer un univers cohérent, identifiable, et surtout, traversé par une ironie bien ciblée sur les dérives du numérique, du marketing viral et de la pensée start-up.
Fantôme standardisé en enfer procédural
Dès la première tentative, Death or Treat révèle une volonté claire : respecter à la lettre la grammaire du rogue-lite. Vous progressez à travers quatre biomes générés aléatoirement, collectant des bonbons comme monnaie d’échange et des ingrédients destinés à l’artisanat. À chaque nouvelle course contre la mort, Scary peut compter sur un arsenal personnalisé, des attaques spéciales débloquées en amont et un village où réinvestir ses butins.
La construction de chaque run s’articule autour de mécaniques éprouvées : attaque légère, attaque lourde, double saut, esquive, et pouvoir ultime déclenché une fois la jauge de “sursaut” remplie. Ce socle, solide et réactif, permet un contrôle fluide du personnage. Les affrontements, bien que classiques, bénéficient d’un bon rythme, avec des sensations d’impact nettes et une mobilité bien pensée. Les animations, vives et précises, renforcent cette impression de contrôle maîtrisé.
En amont de chaque boss, le joueur croise le Chapelier, marchand errant qui propose des potions aux effets aléatoires. Ce système, inspiré de l’alchimie procédurale propre au genre, introduit un léger facteur de risque mais ne bouleverse jamais réellement la dynamique globale. Chaque combat reste une séquence calibrée, où l’adaptation repose davantage sur l’expérience accumulée que sur une expérimentation profonde.
Malgré cette efficacité d’ensemble, Death or Treat ne cherche jamais à détourner, subvertir ou enrichir le canevas établi. Là réside son paradoxe : en s’appliquant à bien faire, il limite ses ambitions. La progression, même agréable, ne réserve aucune surprise structurelle. Chaque élément — armes, pouvoirs, zones, boutiques — fonctionne, mais sans jamais provoquer la moindre rupture d’attente.
Le contenu reste limité, avec seulement quatre zones distinctes, un bestiaire restreint, et un nombre modéré d’armes ou de synergies. Si les runs s’enchaînent sans frustration, l’impression d’avoir “fait le tour” surgit plus tôt que prévu. Le système de craft, pourtant bien introduit, peine à offrir une vraie profondeur décisionnelle, et la variété stratégique en pâtit.
En dépit de cette modestie mécanique, Death or Treat conserve un bon niveau de lisibilité, une courbe de difficulté équilibrée, et une réactivité immédiate dans ses contrôles. C’est un jeu qui comprend parfaitement son genre, mais préfère le reproduire que l’interroger. L’élève studieux qui récite la leçon sans oser y ajouter une ligne.
Citrouilles stylisées et fantômes saturés
Visuellement, Death or Treat déploie une esthétique immédiatement séduisante. Inspiré des dessins animés gothiques contemporains, le jeu multiplie les détails graphiques avec une générosité rare pour une première production. Chaque décor semble peint à la main, chaque environnement baigne dans une palette contrastée où les teintes sombres côtoient les néons saturés, les volutes brumeuses et les éclats sucrés. C’est un monde de Halloween figé dans une éternelle nuit d’octobre, où l’humour visuel accompagne la dérision narrative.
Les animations, nerveuses et précises, soutiennent efficacement le gameplay. Les effets de particules, omniprésents lors des combats, contribuent à l’exubérance de l’action, même s’ils s’avèrent parfois trop intrusifs pour la lisibilité. L’identité visuelle est indéniablement marquée, avec un soin manifeste apporté au charadesign, à la cohérence des décors, et à la représentation des boss. Le résultat évoque par moments une version cauchemardesque de Hollow Knight passée par un filtre commercial pop.
Mais derrière ce vernis soigné, la technique vacille. Les chutes de framerate sont notables dès que l’action devient trop dense. Les ralentissements, fréquents, entachent l’expérience sur Xbox Series, notamment lors des combats impliquant plusieurs ennemis ou lorsque les effets visuels se superposent. Ces baisses de fluidité, sans rendre le jeu injouable, altèrent la précision de certaines esquives ou attaques, et rappellent les limites d’une optimisation encore incomplète.
Du côté de l’interface, la taille des textes pose problème. Les sous-titres, menus et bulles de dialogue arborent une police minuscule, difficile à lire à distance, sans possibilité de personnalisation. Ce défaut d’accessibilité, renforcé par la présence de segments non traduits, donne l’impression d’un portage précipité, ou du moins d’un contrôle qualité insuffisant sur console. Des détails, certes, mais qui rompent l’immersion dans un jeu où l’humour textuel joue un rôle central.
La bande-son, quant à elle, reste modeste mais efficace. Les thèmes musicaux privilégient des rythmiques douces, oscillant entre synthétiseur spectral et mélodies discrètes. Rien de mémorable, mais une ambiance cohérente, qui laisse l’action respirer sans chercher à vampiriser l’attention. Les effets sonores, eux, remplissent leur rôle sans excès : coups portés, déplacements, réverbérations des attaques spéciales — tout est calibré pour ne jamais saturer l’espace auditif.
Particules volatiles et interface rétrécie
Sous son esthétique raffinée et sa structure familière, Death or Treat révèle un socle technique encore trop friable. Le jeu, dans sa version Xbox Series, souffre de problèmes d’optimisation récurrents. Les ralentissements ne sont pas rares, notamment lors des combats les plus intenses, où l’accumulation d’effets visuels et de particules surcharge la mémoire graphique. Ce phénomène, s’il ne bloque jamais l’action, nuit à la fluidité et à la réactivité des affrontements.
La gestion des collisions demeure généralement fiable, mais certaines zones présentent des comportements inattendus, comme des ennemis invisibles ou mal positionnés. Ces défauts, bien que rares, rappellent la jeunesse du moteur et la contrainte d’un budget maîtrisé. Il ne s’agit pas de failles bloquantes, mais de détails techniques qui altèrent la sensation de finition.
Le portage console conserve des choix d’interface rigides hérités du PC. L’absence de paramétrage pour la taille des textes ou la lisibilité des menus impacte directement le confort de jeu. Sur un écran de salon, lire certains dialogues devient une épreuve, et les indications d’objets manquent parfois de contraste. Le sentiment général est celui d’une adaptation directe, sans ajustement spécifique aux contraintes télévisuelles.
La traduction française, bien que globalement correcte, reste incomplète. Plusieurs segments, notamment dans les interfaces ou certains dialogues secondaires, demeurent en anglais. Le contraste avec le soin apporté à l’univers et à l’humour textuel est d’autant plus frappant que ces oublis nuisent directement à la compréhension de certaines interactions ou à la réception des jeux de mots.
Le jeu ne propose aucun contenu multijoueur, ni local, ni en ligne. L’expérience est conçue comme un parcours solo, centré sur l’amélioration individuelle et la redécouverte des mêmes zones sous des variations procédurales. Ce choix, pleinement assumé, s’accorde avec la structure du rogue-lite classique.
Enfin, la durée de vie reste contenue. En l’absence de contenu post-crédits ou de variantes de gameplay significatives, le jeu atteint rapidement ses limites. Quelques heures suffisent à en épuiser les possibilités, à moins d’être motivé par la recherche d’un score parfait ou d’un build optimal.
0 commentaires