Dans l’univers du RPG japonais, KEMCO est un nom qui évoque autant la nostalgie des classiques 16-bits que l’audace de maintenir en vie un genre façonné par des récits épiques, des héros torturés, et des mondes au bord du gouffre. Dead Dragons, développé par MAGITEC, s’inscrit dans cette tradition, mais avec une promesse : raconter l’après, explorer non pas la guerre des dragons, mais le vide laissé par leur disparition. Sorti sur PC, Xbox, PlayStation, et Nintendo Switch le 13 février 2025, ce titre vous entraîne dans un monde qui porte encore les cicatrices d’un conflit ancestral, où les échos des rugissements éteints continuent de hanter les cœurs des survivants.
Ici, pas de prophéties flamboyantes gravées dans des temples oubliés. Le récit débute un siècle après la fin de la guerre des dragons, dans une société humaine qui s’est érigée sur les ruines fumantes des mythes. Les dragons ne sont plus que des légendes murmurées autour des feux de camp, des souvenirs figés dans des fresques craquelées. Mais les légendes ont la fâcheuse habitude de refuser de mourir. Et lorsque des rumeurs sur le retour des dragons commencent à serpenter dans les ruelles des cités et les forêts denses, elles réveillent non seulement des peurs oubliées, mais aussi des vérités que certains préféreraient voir rester enfouies.
Dead Dragons ne vous propose pas d’incarner un élu béni par les dieux, mais un individu ordinaire pris dans un engrenage de mystères et de conflits. Le protagoniste est jeté dans une quête qui dépasse sa compréhension, liée à une jeune fille dont le destin semble inextricablement lié à celui des dragons disparus. Ce n’est pas une histoire de héros et de monstres, mais de fractures invisibles, de loyautés brisées, et de la question la plus douloureuse de toutes : que fait-on des souvenirs d’un ennemi que l’on croyait mort ?
Avec son esthétique en pixel art soigné et son système de combat au tour par tour enrichi par des mécaniques stratégiques comme la rotation des positions et le mystérieux Ruin Mode, Dead Dragons tente de raviver la flamme des JRPG classiques tout en insufflant une réflexion sur la mémoire, la perte, et la nature cyclique des conflits. Mais la question demeure : ce voyage est-il une quête de rédemption ou la répétition d’un cycle de destruction inévitable ?
Une légende brisée avant même de commencer
Là où un bon RPG parvient à captiver en quelques lignes, Dead Dragons trébuche dès ses premières heures. L’idée d’un monde post-guerre draconique aurait pu être fascinante, mais l’exécution narrative échoue à en tirer la moindre substance. L’histoire se déroule un siècle après la prétendue extinction des dragons, une époque où la paix semble acquise… jusqu’à ce que des rumeurs de leur retour ébranlent les certitudes des survivants. Loin d’un conte héroïque où la menace s’abat sur un monde impréparé, Dead Dragons vous plonge dans un univers qui ne semble jamais réellement concerné par son propre drame.
Le protagoniste, Will, est un jeune homme en conflit avec l’héritage de son père, un homme obsédé par les dragons. Mais au lieu d’en faire un personnage complexe, tiraillé entre la haine et la fascination, les dialogues le dépeignent comme un protagoniste sans relief, oscillant entre apathie et envolées ridicules, sans transition naturelle. Ce manque de cohérence est l’un des défauts majeurs du jeu : le développement psychologique de Will ne suit aucune courbe logique. Tantôt silencieux et distant, tantôt bavard et impulsif, il semble répondre à des impératifs de scénario plutôt qu’à une véritable évolution intérieure.
C’est d’autant plus dommage que l’autre figure centrale de l’histoire, Shikina, aurait pu offrir une dynamique intéressante. Mystérieuse, insensible à la peur des dragons, elle aurait dû être la clé d’un récit jouant sur l’ambiguïté des mythes et des vérités oubliées. Mais au lieu d’être une héroïne fascinante, elle est reléguée au rôle d’outil scénaristique : elle est là pour faire avancer l’intrigue sans jamais exister par elle-même. Pas d’enjeux personnels, pas de réelle profondeur dans son rapport au monde qui l’entoure. Elle est une énigme… qui ne débouche sur rien.
Les personnages secondaires, quant à eux, ne sont que des archétypes sans âme. Le guerrier taciturne qui jure de protéger ses compagnons, l’érudit qui détient les clés d’un savoir interdit, la jeune fille énergique qui apporte une touche d’humour forcé… Aucun ne bénéficie d’un traitement qui les rendrait attachants ou crédibles. Leur présence sert uniquement à accompagner Will dans sa quête, sans que leurs propres histoires ou motivations ne prennent une quelconque importance.
Mais ce qui achève de plomber la narration, c’est la pauvreté des dialogues. Les échanges sont souvent interminables, répétitifs, et d’une lourdeur qui finit par rendre l’expérience plus pénible que passionnante. Les incohérences se multiplient, les personnages changent d’avis sans raison, et le rythme s’effondre sous le poids de discussions qui n’apportent ni tension dramatique ni enrichissement du lore. Pire encore,des contradictions flagrantes entre les dialogues et les événements du jeu rendent le tout encore plus confus.
Et que dire du fil conducteur du récit ? Le mystère autour du retour des dragons devrait être un élément central, une source d’intrigues et de rebondissements. Mais au lieu d’être un enjeu palpitant, il se dilue dans un flot de quêtes sans saveur et de révélations téléphonées. L’histoire ne surprend jamais, et pire, elle ne semble jamais chercher à surprendre. Là où d’autres RPG bâtissent des récits riches en dilemmes moraux et en trahisons inattendues, Dead Dragons se contente de suivre une route balisée, sans jamais prendre le moindre risque narratif.
Le plus grand crime du jeu n’est pas simplement d’être prévisible. C’est d’être oubliable.
Dead Dragons avait entre les mains un univers et une idée qui auraient pu fonctionner, mais en l’absence de personnages marquants, d’une construction narrative solide et d’un rythme maîtrisé, il s’effondre sous son propre poids. Une épopée qui aurait pu s’envoler… mais qui, ironiquement, ne décolle jamais.
L’illusion de la profondeur
Si Dead Dragons échoue à captiver par son histoire, il aurait pu se rattraper par son gameplay, en offrant un système de combat dynamique et un level design qui pousse à l’exploration. Après tout, KEMCO s’est fait un nom en produisant des RPG à l’ancienne, où la simplicité des mécaniques est compensée par un rythme accrocheur et une courbe de progression gratifiante. Malheureusement, ce qui aurait pu être une solide aventure au tour par tour se révèle être une coquille vide, un RPG qui semble tout droit sorti d’une époque révolue… mais sans en avoir retenu les meilleures leçons.
À première vue, Dead Dragons reprend les bases éprouvées du tour par tour classique, où chaque personnage possède des attaques physiques, des compétences magiques et des objets de soutien. Jusque-là, rien de surprenant. Le jeu introduit cependant une mécanique supposée différenciante : le système de rotation des positions. En théorie, cette fonctionnalité permet d’échanger les places des membres du groupe en plein combat, offrant ainsi des bonus stratégiques selon la disposition des alliés et des ennemis.
Sur le papier, l’idée est prometteuse. Dans les faits, elle est mal exploitée et presque inutile. Les combats sont rarement assez exigeants pour nécessiter un tel ajustement, et la majorité des rencontres peuvent être résolues par des attaques basiques sans jamais tirer parti de cette mécanique. Plutôt qu’un système novateur, on a l’impression d’une gimmick artificielle rajoutée pour donner un semblant de profondeur à un gameplay monotone.
Le jeu introduit également le Ruin Mode, une mécanique censée amplifier les compétences des personnages lorsqu’ils sont en danger. Mais là encore, l’implémentation est bancale : activer ce mode repose sur des conditions trop précises, rendant son utilisation frustrante plutôt que stratégique. En pratique, il devient plus rentable de jouer de manière classique plutôt que d’attendre que ce mode soit accessible. Ce qui aurait pu être un système de risque-récompense bien pensé se transforme en un élément anecdotique, rarement exploité au fil du jeu.
Les ennemis, eux, ne brillent pas par leur intelligence artificielle. Les combats se résument souvent à répéter les mêmes attaques, et les adversaires manquent d’agressivité et de diversité tactique. Résultat : le système de combat, censé être le cœur du jeu, devient rapidement une corvée mécanique, un enchaînement de combats sans réel défi ni variété.
Un bon RPG pousse à l’exploration, encourage le joueur à chercher des secrets, à fouiller chaque recoin du monde. Dead Dragons, lui, se contente de proposer des couloirs déguisés en niveaux ouverts, où l’illusion de liberté s’évapore dès les premières heures.
Les zones de jeu, censées représenter un monde vaste et en reconstruction, sont en réalité linéaires et répétitives. Les villes et villages ne sont que des décors vides, avec des PNJ fades qui récitent des lignes de dialogue interchangeables. Il n’y a aucune incitation à l’exploration, aucun secret bien caché qui récompenserait la curiosité du joueur. Ce n’est pas un monde à découvrir : c’est une succession de décors, sans âme ni dynamisme.
Les donjons, autre élément clé d’un bon RPG, ne font pas mieux. On se retrouve avec des labyrinthes sans inspiration, où les salles et couloirs se ressemblent tous, créant une sensation de déjà-vu permanente. Les énigmes, qui pourraient apporter un peu de variété, sont réduites à des mécanismes simplistes du type “appuyer sur un interrupteur pour ouvrir une porte”. Là où un Final Fantasy ou un Shin Megami Tensei construisent des donjons qui racontent une histoire à travers leur architecture, Dead Dragons se contente d’empiler des couloirs génériques, sans jamais proposer une montée en intensité marquante.
L’un des plaisirs d’un bon RPG, c’est la sensation de progression, de voir ses personnages évoluer, acquérir de nouvelles compétences, débloquer des choix de personnalisation qui permettent d’adapter son style de jeu. Malheureusement, Dead Dragons échoue aussi sur ce point.
Le jeu propose un système de montée en niveau classique, où chaque personnage gagne de l’expérience et débloque des compétences au fil du temps. Mais là encore, tout est excessivement rigide. Il n’y a aucune personnalisation réelle, aucun choix permettant d’orienter le développement de son équipe. Chaque personnage est prédéfini dans un rôle fixe, et les compétences débloquées suivent un chemin tracé d’avance. Ce manque de flexibilité rend l’expérience plate, empêchant tout sentiment d’évolution organique.
Les équipements, censés offrir une diversité stratégique, souffrent du même problème. Il y a peu de variété dans les armes et armures, et les choix se limitent souvent à prendre la meilleure option disponible à un moment donné, sans véritable réflexion sur un équilibre entre attaque et défense. Dans un jeu qui se veut tactique, ce genre de simplification est un véritable gâchis.
Enfin, ce qui frappe dans Dead Dragons, c’est l’absence de dynamisme global. Les villes manquent d’animations, les personnages n’ont pas de routines de vie, et les combats ne proposent aucun effet visuel marquant. On est loin des RPG modernes qui regorgent de détails et d’interactions naturelles. Ici, tout semble figé, comme si l’univers était une maquette statique plutôt qu’un monde en mouvement.
Ce sentiment est renforcé par la répétitivité des mécaniques, qui transforme rapidement le jeu en une boucle d’actions prévisibles : avancer dans des couloirs, affronter des ennemis fades, lire des dialogues sans saveur, et recommencer. Cette absence de variation fatigue rapidement, d’autant plus que l’intrigue principale ne propose aucun rebondissement capable de relancer l’intérêt.
Dead Dragons souffre d’un problème fondamental : il semble vouloir proposer de la profondeur, mais échoue à rendre ses systèmes réellement pertinents. Tout ce qui aurait pu être un point fort — son système de combat, son level design, sa progression — est gâché par un manque d’ambition et d’exécution.
Au lieu d’être un JRPG engageant et stratégique, il devient une expérience mécanique, répétitive, et, pire encore… oubliable.
Un monde sans couleurs et une symphonie sans âme
Si Dead Dragons peine à convaincre sur le plan narratif et ludique, il aurait pu se rattraper avec une direction artistique inspirée et une ambiance sonore envoûtante. Après tout, même un jeu aux mécaniques datées peut tirer son épingle du jeu en offrant une esthétique marquante, un univers qui respire et des compositions musicales qui transportent. Malheureusement, ici encore, le titre de KEMCO échoue à marquer les esprits, proposant une copie sans âme de ce que le JRPG old-school a pu produire de plus générique.
Visuellement, Dead Dragons adopte un style pixel art qui pourrait évoquer une nostalgie bienvenue… s’il ne paraissait pas aussi stérile et sans inspiration. Là où certains jeux utilisent la 2D pour sublimer une atmosphère unique, ici, tout semble froidement fonctionnel. Les environnements sont vides, monotones, construits comme des zones assemblées à la va-vite sans cohérence artistique. Les villes ne dégagent aucune identité visuelle, les donjons sont des successions de couloirs indifférenciés, et même les forêts, qui devraient inspirer un minimum de vie, ressemblent à des décors générés par un algorithme en manque d’imagination.
Les sprites des personnages souffrent du même manque de personnalité. Ils sont correctement animés, mais sans expressivité notable. Aucune posture ne trahit une émotion, aucun mouvement ne vient souligner une tension dramatique. Même dans les dialogues censés être intenses, les personnages restent figés, rendant le peu de moments d’émotion du jeu encore plus plats qu’ils ne le sont déjà. Les ennemis ne font pas mieux : leurs designs sont certes variés, mais ils manquent de dynamisme en combat, avec des animations minimalistes qui rendent chaque affrontement encore plus mécanique qu’il ne l’est déjà.
L’interface utilisateur est quant à elle datée, manquant de lisibilité et d’élégance. Les menus sont fonctionnels, certes, mais leur ergonomie est loin d’être optimale. Parcourir l’inventaire est laborieux, et certaines informations sont mal mises en avant, rendant la navigation pénible. Dans un jeu de rôle où l’accès rapide aux équipements et aux compétences est crucial, cette lourdeur contribue encore à la frustration générale.
Côté bande-son, Dead Dragons livre une performance en demi-teinte. Les musiques, bien qu’agréables, sont trop génériques pour être mémorables. On retrouve les classiques compositions orchestrales synthétiques typiques des RPG à petit budget, avec des thèmes de village doux mais oubliables, des morceaux de combat corrects mais répétitifs, et des musiques de donjons qui peinent à instaurer une véritable ambiance. Rien n’est foncièrement mauvais, mais tout manque d’âme, comme si la musique était là pour remplir l’espace sonore plutôt que pour raconter une histoire.
Les effets sonores sont quant à eux rudimentaires, se limitant à des bruits d’attaques génériques et des sons de menu désuets. Aucun impact sonore ne vient vraiment donner du poids aux combats, aucun bruit environnemental ne parvient à renforcer l’immersion. On se retrouve avec une ambiance fade, où même les moments de tension ne sont pas soulignés par des choix sonores marquants.
Enfin, l’absence de doublage n’aide pas à donner vie aux personnages. Si certains jeux en pixel art réussissent à s’en passer en misant sur une écriture ciselée et une mise en scène dynamique, ici, le manque de voix et d’expressivité graphique combinés rendent les dialogues encore plus statiques. L’ensemble donne l’impression d’un jeu fonctionnel mais jamais habité, un monde qui existe sans jamais vraiment vivre.
Dead Dragons avait l’opportunité d’être un hommage vibrant aux JRPG d’antan, mais il n’en retient que les aspects les plus ternes. Graphiquement fade et artistiquement creux, il ne parvient jamais à capturer la magie du pixel art bien utilisé, ni à compenser ses lacunes par une identité sonore forte. Un jeu qui, une fois de plus, s’oublie dès qu’on l’éteint.
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