Développé par Petoons Studio – jusqu’ici plus connu pour des adaptations enfantines de Peppa Pig – et publié par PQube, Curse of the Sea Rats débarque le 6 avril 2023 sur toutes les plateformes, dans un registre diamétralement opposé à celui qui a fait la notoriété du studio. Loin des comptines et des couleurs pastel, le jeu revendique le statut de premier « ratoidvania », une promesse autant stylistique que structurelle.
Mais derrière cet habillage original, c’est un projet bien plus ambitieux qui se dessine : un metroidvania coopératif, entièrement dessiné à la main, greffé sur une charpente de mécaniques à la Souls, et soutenu par une mise en scène inattendue. Reste à savoir si cette hybridation osée tient la barre… ou s’échoue dans les eaux agitées des contradictions de genre.
Une malédiction d’encre et de corde
Le récit de Curse of the Sea Rats débute dans les cales d’un navire colonial, chargé de ramener vers la Grande-Bretagne une poignée de prisonniers promis à la potence. Mais avant que la sentence ne tombe, une sorcière pirate nommée Flora Burn invoque un artefact ancien qui transforme tout l’équipage en rats anthropomorphes. Le vaisseau sombre, l’enfant du capitaine disparaît, et quatre condamnés reçoivent une ultime chance de salut : retrouver la fugitive, sauver le garçon… ou mourir une seconde fois.
Ce postulat, à la fois absurde et théâtral, fonctionne précisément parce qu’il ne cherche jamais la vraisemblance. Il sert de prétexte à une chasse à l’homme insulaire, portée par des cutscenes illustrées d’une qualité rare dans le genre. Le style visuel rappelle les séries animées des années 90, avec une mise en scène épurée mais efficace qui accentue la dimension tragico-fantastique de l’univers.
Vous incarnez au choix l’un des quatre personnages jouables : David Douglas, colon désabusé ; Buffalo Calf, chasseuse cheyenne vive comme l’éclair ; Bussa, colosse aux poings brisés par l’esclavage ; ou Akane Yamakawa, guerrière stoïque venue du Japon. Tous disposent de statistiques, de styles de combat et d’identités mécaniques distincts, que l’on peut interchanger à volonté en cours de partie. Un parti pris audacieux, qui renforce l’idée d’un groupe de marginaux unis par la nécessité plus que par l’honneur.
Mais la plus grande réussite narrative de Curse of the Sea Rats tient dans sa mise en cohérence des mécaniques de genre. Les points de sauvegarde, les téléportations, les améliorations… tout est justifié par la présence de Wu Yun, esprit chinois enfermé dans un bracelet magique, qui agit comme un guide spectral. Ce choix d’écriture, à la fois simple et élégant, donne à l’ensemble une cohésion diégétique inattendue.
Le scénario n’échappe pas à quelques clichés, ni à une certaine prévisibilité, mais il compense par une sincérité palpable et un univers qui, malgré ses racines caricaturales, développe une identité propre. Un monde de pirates, oui, mais raconté du point de vue des parias, des sacrifiés, des condamnés. Une fable d’émancipation, à mi-chemin entre Don Bluth et Dark Souls.
Entre cages rouillées et rituels d’acier
Ne vous laissez pas tromper par ses allures de dessin animé : Curse of the Sea Rats est un jeu qui mord fort et tôt. Sous ses couleurs douces, le système de jeu évoque moins Ori que Salt & Sanctuary. Chaque avancée se paie, chaque erreur se corrige dans la douleur. C’est un metroidvania exigeant, doublé d’un héritier assumé de la philosophie Souls.
L’exploration repose sur une architecture classique : salles interconnectées, pouvoirs débloqués qui ouvrent de nouveaux chemins, ennemis qui réapparaissent après chaque repos. Mais ce qui distingue immédiatement Curse of the Sea Rats, c’est son niveau de difficulté. Les boss surgissent sans mise en garde, infligent des dégâts massifs et exigent plusieurs essais pour être maîtrisés. Aucun avertissement, aucun checkpoint salvateur : le jeu punit sans prévenir, et exige une attention constante.
À chaque défaite, vous perdez une portion de votre expérience, laissée sur les lieux de votre mort. Il vous faudra y retourner sans tomber pour la récupérer, dans une mécanique directement empruntée à Dark Souls. Cette boucle punitive, bien que cohérente dans l’absolu, tranche violemment avec l’apparente accessibilité du titre, et risque de dérouter plus d’un joueur attiré par l’esthétique enfantine.
Pour autant, l’équilibrage interne est précis. Les patterns ennemis sont lisibles, les hitboxes fiables, les boss bien construits. Rien n’est injuste, mais tout est brutal. La progression demande du calme, de l’observation, de la mémoire. Une fois les mécaniques intégrées, le jeu devient une partition d’esquives et de contre-attaques, où chaque succès est mérité.
Le level design suit une logique claire. Les zones sont lisibles, l’exploration gratifiante, et l’apparition de points de téléportation liés à Wu Yun fluidifie les allers-retours. Les objets de soin sont rares, non régénérables, et chaque affrontement devient une gestion de ressources autant qu’un duel de réflexes.
Le choix entre quatre personnages interchangeables ajoute une strate tactique précieuse. Selon l’ennemi ou la zone, vous pourrez privilégier la vitesse d’Akane, la résistance de Bussa, ou l’agilité de Buffalo Calf. Et en multijoueur local, cette complémentarité devient essentielle. L’expérience à plusieurs est plus tolérante – un joueur peut réanimer ses alliés –, mais souffre d’un problème de caméra majeur : elle suit le joueur le plus avancé, masquant parfois les autres dans des moments critiques.
En solo ou en groupe, le jeu conserve une lisibilité honnête malgré ses pics de difficulté. Ce n’est pas un titre accessible : c’est un piège bien dessiné, qui vous attire avec ses couleurs et vous retient par son exigence.
Lignes tracées au couteau sur une mer d’encre
Si Curse of the Sea Rats échappe à l’oubli, ce sera sans doute grâce à son identité visuelle. Entièrement dessiné à la main, chaque plan, chaque personnage, chaque décor porte la trace d’un crayon. Cette approche artisanale donne au jeu une élégance rare, presque anachronique, dans un genre où les visuels procéduraux sont devenus la norme. On pense à Dragon’s Trap, à Cuphead, mais ici, la référence est moins nostalgique qu’organique : chaque trait semble respirer, chaque animation témoigne d’un effort sincère.
Les environnements sont soignés, précis, vivants. Forêts embrumées, cales infestées, plages ravagées… L’univers insulaire prend forme non par le gigantisme, mais par l’intensité graphique des détails. Les transitions entre zones s’enchaînent sans accroc, et malgré les limites techniques de la Nintendo Switch, l’ensemble reste fluide, même en multijoueur.
Les personnages jouables se distinguent aisément les uns des autres, tant dans leur design que dans leurs animations. Le bestiaire, lui aussi, bénéficie d’un travail de style cohérent, mêlant grotesque et folklore. On regrette seulement l’absence d’altérations visuelles marquantes au fil des affrontements : ni blessures, ni usure, ni évolution visuelle du héros ne viennent souligner la progression. L’immersion visuelle y perd en expressivité.
Côté bande-son, la partition est plus discrète. Les musiques accompagnent l’aventure avec une justesse mesurée, sans thèmes mémorables ni ruptures marquantes. Les compositions restent fonctionnelles, bien produites, mais jamais envahissantes. Elles accompagnent sans exalter, soutiennent sans surprendre. Ce choix de sobriété, s’il ne nuit pas à l’expérience, nourrit une forme de retenue dans l’émotion ludique.
Les effets sonores sont propres, nets, mais eux aussi manquent parfois d’impact : les coups portés manquent de profondeur, les boss ne font pas vibrer l’environnement, et les rares interactions contextuelles – ouverture de passages, déclenchement de téléporteurs – n’ont pas le poids sonore attendu. L’univers graphique appelle une mise en scène sonore plus musclée, plus théâtrale.
Le doublage, enfin, se limite à quelques bribes de voix, utilisées à bon escient mais sans ambition. Là où un casting vocal affirmé aurait pu renforcer la personnalité des quatre héros, le jeu opte pour une approche épurée, presque silencieuse, qui accentue l’austérité de certains dialogues.
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