Cult of the Lamb n’invite pas à la rédemption, il vous sacre messie d’un monde rongé par le fanatisme. Développé par Massive Monster et publié par Devolver Digital, ce rituel vidéoludique s’est matérialisé sur Nintendo Switch le 11 août 2022.
Derrière ses dehors cartoonesques, il cache une mécanique bien huilée où la gestion d’un culte grotesque s’entrelace à des incursions roguelike brutales. Ce paradoxe visuel et ludique a fait mouche sur PC et consoles… mais que vaut-il une fois confiné dans les entrailles techniques de la console hybride de Nintendo ? L’agneau y devient-il toujours roi, ou finit-il sacrifié sur l’autel des concessions ?
L’agneau, l’idole et l’abîme
Dans Cult of the Lamb, vous incarnez une créature condamnée, sacrifiée au nom d’un ancien dogme, puis miraculeusement ramenée à la vie par un dieu oublié. Mais cette résurrection n’est pas un miracle, c’est un pacte. En échange de votre survie, vous devenez le bras armé d’une entité enfermée, contraint de fonder un culte pour propager sa parole et briser les chaînes qui l’enferment.
Le récit s’articule autour de cette servitude ambiguë. Vous n’êtes ni un sauveur, ni un prophète libre : vous êtes un outil. Le jeu pousse cette idée avec intelligence, plaçant votre agneau au centre d’un monde peuplé de figures divines corrompues, de sectes concurrentes, et d’adeptes aussi fervents qu’instables. Chaque antagoniste incarne une doctrine déviante, chaque boss une foi dévoyée.
Le charme du jeu ne vient pas de la profondeur psychologique des personnages — volontairement caricaturaux — mais de la tension entre l’apparente douceur de l’univers visuel et la cruauté des choix imposés. Vous sacrifiez, vous punissez, vous lavez les cerveaux. Le tout, avec le sourire rondouillard d’une peluche possédée.
La narration se veut légère mais perverse, baignée d’un humour noir omniprésent. Peu de dialogues, beaucoup de symboles, et une progression qui déconstruit doucement l’idée même de spiritualité bienveillante. Ici, la foi n’illumine pas : elle broie.
Dominer les cœurs, s’enfoncer dans les ténèbres
Cult of the Lamb bâtit son identité sur une mécanique bicéphale : gestion de culte le jour, affrontements sanglants la nuit. Ce n’est pas un simple enchaînement d’activités, mais un cycle de dépendance : vos victoires en donjon nourrissent votre culte, et votre culte vous rend plus fort pour les prochaines incursions.
La partie gestion, au cœur du sanctuaire, impose une vigilance constante. Vous devez construire, convertir, prêcher, nourrir, enterrer. Chaque adepte est un levier, mais aussi une menace potentielle. Le système repose sur un équilibre cruel : maintenir la foi tout en exploitant la dévotion. Rituels macabres, sermons quotidiens, sacrifices tactiques… tout est permis pour asseoir votre autorité.
De l’autre côté, les donjons s’inspirent du roguelike pur : niveaux générés procéduralement, loot aléatoire, armes interchangeables et combats nerveux. L’action est rapide, intuitive, mais exige une lecture précise des attaques ennemies. Malédictions à distance, esquives bien timées, et rotation stratégique de vos pouvoirs définissent le tempo de chaque expédition. À chaque run, une nouvelle configuration, un nouvel enjeu.
Ce balancier entre expansion cultuelle et survie guerrière donne au jeu un rythme organique. Aucun des deux systèmes ne domine l’autre, et c’est là sa force. Le sentiment de progression est permanent, même quand les donjons se resserrent ou que les adeptes sombrent dans le doute.
Mais cette richesse s’effrite sur la durée. À mesure que votre culte prospère, les tâches se répètent. Nettoyer les latrines, préparer les repas, consoler les hérétiques : autant d’actions qui finissent par scléroser l’expérience. Faute de systèmes d’automatisation efficaces, le confort d’évolution cède la place à une routine laborieuse.
La difficulté, elle, oscille de manière plus imprévisible. Certaines combinaisons procédurales rendent les donjons abruptement déséquilibrés. Ce n’est pas l’ennemi qui vous bat, c’est l’agencement du hasard. Le défi reste réel, mais parfois injuste.
L’adorable profanation
Cult of the Lamb érige une esthétique en contradiction permanente : douceur formelle, noirceur spirituelle. Tout ici repose sur cette friction. Des créatures aux grands yeux expressifs, des couleurs pastel, un design proche du livre illustré pour enfants… mais saturé de cultes sanglants, de possessions démoniaques et d’autels sacrificiels. Ce contraste visuel n’est pas un simple effet de style : il est la signature du jeu.
Les animations ajoutent une couche de lecture supplémentaire. Les mouvements sont fluides, expressifs, mais toujours teintés d’un malaise latent. Voir un adepte danser de joie après une exécution rituelle produit un effet étrange, troublant. Le monde est mignon, mais il est brisé.
Sur Nintendo Switch, l’ensemble conserve son identité visuelle forte. En mode portable comme en docké, les visuels restent lisibles, les couleurs saturées et l’ambiance cohérente. Mais la console peine parfois à suivre. Dans les moments les plus chargés — notamment lors des rituels ou des combats contre de nombreux ennemis — on observe des baisses notables de fluidité, et une résolution qui s’adapte à la baisse.
La direction artistique, elle, absorbe ces concessions sans s’effondrer. Le trait reste lisible, les silhouettes marquées, et les décors conservent leur richesse symbolique. Ce n’est pas la technique brute qui impressionne, mais l’univers graphique pensé comme une fable dérangée.
Côté son, la bande originale joue le même jeu d’équilibre : nappes mystiques, percussions tribales, chœurs éthérés. Elle accompagne sans dominer, crée une ambiance d’hypnose collective. Chaque action sonore — grognement d’un adepte, fracas d’un sort, murmure de possession — ajoute à la densité du monde. Rien n’est laissé au hasard. L’univers est sonore avant d’être narratif.
Les chaînes invisibles du confort moderne
Sur Nintendo Switch, Cult of the Lamb tient bon malgré les contraintes. Le jeu tourne à un framerate globalement stable dans les situations simples, mais fléchit lorsque les effets visuels et les entités s’accumulent à l’écran. Ces ralentissements ne rendent pas le titre injouable, mais brisent ponctuellement l’immersion, en particulier lors des scènes de rituels ou de boss.
Les temps de chargement restent courts et les transitions fluides entre les zones. Aucun bug bloquant ni plantage récurrent n’a été relevé. La stabilité logicielle est maîtrisée, ce qui permet à la proposition ludique de se maintenir sans accroc majeur.
L’interface, claire et lisible, propose une navigation fluide, adaptée au format portable de la Switch. Toutefois, les options d’accessibilité restent maigres. Les textes sont de taille fixe, sans possibilité de zoom ou d’ajustement visuel. Aucun mode daltonien, pas de filtres auditifs, ni d’assistance particulière à la visée. L’expérience se veut directe, mais sacrifie une part de confort pour les profils atypiques.
Le jeu ne propose pas de multijoueur, ni en local ni en ligne. Le cœur de l’expérience reste résolument solo, centré sur la montée en puissance personnelle et le contrôle de votre culte. La rejouabilité est assurée par la génération procédurale des donjons et la variété des doctrines à adopter. Plusieurs chemins de développement offrent des variations de style, mais le socle structurel, lui, ne change pas.
Un New Game+ n’est pas proposé, et une fois votre culte pleinement établi, l’intérêt du retour peut s’émousser. L’expérience est dense mais finie.
0 commentaires