Développé par The Fine Arc et disponible en accès anticipé depuis le 15 avril 2024 sur PC, Cthulhu’s Reach: Devil Reef se présente comme un roguelike coopératif en vue du dessus, baigné de références lovecraftiennes, saturé d’effluves abyssales et peuplé de créatures oubliées.
L’île s’ouvre, les portails s’activent, les expéditions se succèdent. Mais sous la mécanique du run, derrière les vagues de monstres et les autels à corrompre, reste une question : ce jeu connaît-il vraiment l’horreur qu’il invoque, ou ne fait-il que recycler ses icônes dans un flux sans mémoire ?
Un culte sans dogme dans un monde sans menace
Devil Reef ne raconte rien. Il invoque. Il cite. Il agence. L’histoire tient en quelques lignes : une île oubliée, un culte dissimulé, un portail ouvert sur une horreur ancienne. Vous êtes un agent parmi d’autres, chargé d’enquêter, de survivre, de recommencer. La structure est roguelike. La narration, résiduelle. Pas de progression. Pas de personnage. Pas de drame. Seulement des fragments d’univers, posés sans logique apparente.
Le joueur ne suit aucun arc. Il traverse des zones. Il collecte des indices. Il sacrifie de l’encens. Entre deux vagues d’ennemis, quelques textes décrivent l’effondrement d’un monde que l’on ne voit jamais. Les références sont là : Innsmouth, Nyarlathotep, rites marins, statues cyclopéennes. Mais jamais incarnées. Aucune voix. Aucune scène. Aucune mémoire.
Les dieux sont cités comme des mots de passe. Les monstres surgissent comme des obstacles. Pas d’ambiguïté. Pas de tentation. Pas de foi. Ce n’est pas une descente dans la folie. C’est une suite de salles générées, reliées par une mythologie vidée de sa substance.
Il aurait été possible de construire une tension, une verticalité narrative, une lente perte de repères. Devil Reef ne cherche jamais cet équilibre. Il empile des couches visuelles et sonores, sans jamais faire exister la moindre menace. On ne craint pas l’abîme. On l’arpente en boucle.
Une boucle procédurale où chaque rite devient réflexe
La structure de Cthulhu’s Reach: Devil Reef repose sur une succession de runs courts, générés aléatoirement, entrecoupés de sanctuaires à activer et de vagues à repousser. À chaque tentative, vous choisissez un agent, un build initial, et vous plongez dans une zone segmentée. Mais très vite, la progression cesse d’être une exploration. Elle devient une mécanique.
Le jeu fonctionne en coop jusqu’à quatre joueurs. Les déplacements sont libres, la visée est twin-stick, l’action rapide. Chaque salle devient un théâtre temporaire : des ennemis surgissent, vous tirez, vous esquivez, vous survivez. Une fois la vague terminée, vous collectez. Puis vous recommencez. L’horreur cosmique n’a pas le temps de s’installer. Le rythme la consume.
Chaque personnage débloqué possède un style propre — magie, explosifs, invocations — mais les variations restent minimes. Les améliorations se choisissent entre les niveaux. L’équipement, aléatoire, vient d’autels ou de boutiques. Le système de progression reprend les codes d’un roguelite standard : ressources à conserver, bonus à débloquer, capacités à empiler. L’efficacité l’emporte sur le vertige.
Le level design, généré procéduralement, produit des zones interchangeables. Aucune salle n’évoque une logique spatiale. Aucun enchaînement ne construit une tension. On passe de cavernes à bibliothèques, de chapelles à quais, sans continuité, sans montée. Chaque session est un segment. Pas une trajectoire.
Même les événements spéciaux, censés briser la boucle, se réduisent à des objectifs mécaniques : défendre un artefact, escorter un cristal, survivre trente secondes. Pas de corruption progressive. Pas de faux choix. Pas de chaos incontrôlé. Juste des variations d’une formule.
Devil Reef sait faire tourner sa machine. Elle tourne bien. Mais elle ne déraille jamais.
Un abîme stylisé vidé de sa démesure
Visuellement, Devil Reef choisit le pixel-art. Pas un choix nostalgique. Un masque. L’île que vous explorez est un assemblage de blocs, de couleurs brisées, d’ombres mouvantes. Les environnements — ports noyés, temples submergés, cryptes cyclopéennes — sont stylisés, lisibles, efficaces. Mais jamais inquiétants. Jamais dérangeants. Le rétro tue le vertige. La peur se réduit à une palette.
Les monstres, pourtant nombreux, s’alignent dans une logique de gameplay. Tentacules, entités amorphes, créatures pisciformes… tous obéissent à une mécanique. On anticipe leurs attaques. On contourne leurs zones. On les élimine. Aucun ne fascine. Aucun ne menace. Ce ne sont pas des horreurs. Ce sont des patterns.
La direction artistique évoque Lovecraft, mais n’en transpose rien. Le vide, le sacré, l’incompréhensible — tout cela se dissipe dans la lisibilité. On admire une texture. On ne subit jamais une vision.
La bande-son accompagne, mais n’impose rien. Des nappes graves, des percussions lointaines, quelques chœurs. L’ambiance est posée. Elle ne prend jamais le contrôle. Même lors des rituels ou des boss, la musique ne dérive pas vers l’extase ou la rupture. Elle marque la tension. Pas la terreur.
Les effets sonores sont précis, mais trop nets. Chaque tir, chaque cri, chaque choc est découpé. Rien ne bave. Rien ne hante. Pas d’écho. Pas de grondement. L’oreille comprend. Elle ne s’égare jamais.
Il y a du style. Il n’y a pas d’abandon. Le jeu évoque l’ineffable, mais ne laisse jamais sa forme lui échapper.
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