Sorti sur Xbox Series le 15 juin 2023, Crime Boss: Rockay City est le premier titre du studio tchèque InGame, une jeune structure d’environ 70 personnes, qui a visiblement préféré claquer son budget en cachets d’acteurs qu’en heures de QA.
Présenté comme un FPS roguelite en mode “gros délire hollywoodien”, le jeu affiche un casting tout droit sorti d’une convention VHS de 1994, avec en tête d’affiche Michael Madsen, Danny Trejo, Chuck Norris, Kim Basinger ou encore Vanilla Ice — oui, sérieusement. Et sur le papier, il faut bien le reconnaître : ça en jette. Tout ça sent bon la poudre, les punchlines grasses et le néon rose dégoulinant.
Mais très vite, une question s’impose. Derrière ce clin d’œil assumé aux films d’action de vidéoclub, y a-t-il un vrai jeu ? Ou s’agit-il simplement d’un prétexte maladroit pour faire revivre, le temps d’une campagne bancale, les vieilles gloires de l’écran dans un FPS en plastique mou ?
Nanar assumé, nostalgie calibrée
Dans Crime Boss: Rockay City, vous incarnez Baker, truand ambitieux fraîchement débarqué dans une ville aussi corrompue que clichée, avec une idée en tête : devenir le roi du crime. Pour ça, il faudra conquérir quartier après quartier, éliminer les boss adverses, et surtout survivre aux interventions du shérif local, Chuck Norris en personne, qui incarne la loi à coups de mitraillettes et de répliques qui sentent bon la naphtaline.
Sur le fond, c’est Empire of Sin passé au filtre VHS, avec des dialogues volontairement kitschs, des situations qui frôlent la parodie, et un enrobage qui ne s’embarrasse jamais d’une quelconque crédibilité. L’histoire principale se répète à chaque run, mais qu’importe : le but ici n’est pas de raconter, c’est de cabotiner, flinguer et enchaîner les clichés comme des headshots.
Et honnêtement, dans son délire de série B, le jeu fonctionne plutôt bien. L’écriture ne cherche jamais à surprendre ni à creuser quoi que ce soit — mais elle assume pleinement son côté nanardesque. Tout est fait pour rappeler les codes du cinéma d’action des années 90 : virilité outrancière, punchlines absurdes, plans serrés sur des regards vides, et une bonne dose de second degré.
Le casting, lui, est la seule chose vraiment sérieuse dans cette histoire. Michael Madsen campe un anti-héros ringard mais crédible, Michael Rooker fait le tonton badass, Kim Basinger joue les éminences grises, Danny Trejo cabotine comme jamais, et Chuck Norris… est Chuck Norris. On pourrait s’amuser à compter les rides par minute d’apparition, mais leur présence suffit à donner au jeu une identité immédiatement reconnaissable, même si l’écriture ne leur offre que des lignes de dialogue tout juste dignes d’un générique M6 à 23h.
On est loin d’un scénario prenant ou d’une galerie de personnages marquants. Mais ce n’est pas le but. Crime Boss est un pur produit de nostalgie, une caricature volontaire qui mise tout sur son ambiance et son casting, en espérant que vous soyez assez vieux pour y être sensible… ou assez jeune pour trouver ça “cool”.
Fusillades jetables et roguelite de façade
Sur le papier, Crime Boss: Rockay City coche toutes les bonnes cases : FPS, gestion de territoire, permadeath, recrutement, missions variées, et structure roguelite. Une fois le pad en main, la réalité est un peu plus… molle.
Après un prologue un poil trop long, vous voilà à la tête de votre cartel, avec une idée fixe : grappiller chaque quartier de Rockay City jusqu’à l’écrasement total. Pour ça, il faut recruter, envoyer vos gars en mission, braquer, défendre, contre-attaquer, et répéter jusqu’à l’usure. Sur le papier toujours, c’est ambitieux. Dans les faits, ça tourne vite en rond.
Le côté “roguelite” se limite à une poignée d’éléments : si Baker meurt, la partie s’arrête, et vous recommencez depuis le début. Chaque run débute dans un coin différent de la ville, avec des ennemis légèrement redistribués, mais aucun vrai système de progression n’est mis en place. Pas de méta-améliorations, pas de compétences persistantes, pas de sentiment de montée en puissance entre deux parties. Une fois mort, tout repart de zéro, y compris votre envie.
Côté gestion, on note un effort louable. Vos lieutenants (recrutables contre de l’argent) disposent chacun de forces et faiblesses spécifiques, et peuvent être envoyés en mission à la place de Baker. Bonne idée : ça apporte un peu de variété, et permet surtout de ne pas tout miser sur un seul personnage. Seul bémol : ils doivent tous se reposer entre chaque mission, ce qui limite drastiquement votre rythme de progression, surtout au début.
Le reste de votre armée est constitué de simples soldats, utiles pour occuper un quartier ou le défendre contre une attaque. Là encore, le potentiel était là, mais les mécaniques sont trop légères pour apporter une vraie profondeur tactique. On gère, oui — mais avec des pinces en plastique.
Et puis il y a le cœur du jeu : les missions. Braquages, invasions, éliminations… mais toujours dans des zones minuscules, fermées, sans exploration, avec des objectifs qui tiennent sur un post-it. L’intelligence artificielle fait le strict minimum, les affrontements se résument à tirer sur tout ce qui bouge et ramasser le butin, et aucune mission ne dure plus de cinq minutes. Le tout manque de nerf, de tension, de mise en scène. On enchaîne les coups de feu comme on viderait un chargeur à blanc.
Le gameplay est donc fonctionnel mais plat, sans saveur ni accroche. Le feeling des armes est moyen, les situations de jeu peu variées, et la promesse d’un PayDay en solo se transforme rapidement en routine sans adrénaline.
Carton-pâte, moteur en bout de course et VHS collée au fond
Visuellement, Crime Boss: Rockay City ne tient pas la promesse de son casting. Malgré des têtes connues modélisées avec un soin certain (mention spéciale à Chuck Norris, aussi figé qu’un mannequin de vitrine), le reste est d’une banalité consternante. Les environnements sont recyclés à outrance, les textures ternes, l’aliasing omniprésent, et les effets de lumière directement importés d’un moteur Unity en 2012.
La ville, censée respirer le vice et la sueur, ressemble à un décor de série B tourné sur un parking. Chaque mission se déroule dans un quartier sans vie, sans circulation, sans passants. Les lieux sont fermés, rigides, interchangeables. On est censé conquérir Rockay City. Ce qu’on voit, c’est une suite de hangars, de ruelles mortes et de magasins copiés-collés, sans aucune personnalité.
La direction artistique, quant à elle, semble ne jamais avoir tranché entre pastiche et hommage. Résultat : ça oscille constamment entre une nostalgie molle et un mauvais goût involontaire. Le grain VHS plaqué en surcouche pour “faire années 90” sonne plus gadget que style. Les menus eux-mêmes sont vieillots, moches, et rigides, comme s’ils avaient été improvisés trois semaines avant la sortie.
Côté technique, le jeu souffre même sur console. Chutes de framerate, bugs d’affichage, collisions foireuses, animations faciales à la truelle… Rien n’est catastrophique, mais tout sent le jeu pas fini, pas peaufiné, pas optimisé.
Reste la bande-son. Et là, pour une fois, le jeu fait le boulot. Les musiques sont globalement réussies, bien calées sur l’action, avec quelques compositions efficaces dans les moments tendus. L’ambiance sonore rappelle avec justesse les séries policières de fin de soirée, et même si les doublages sont inégaux, le plaisir d’entendre Michael Madsen ou Danny Trejo en VO suffit à arracher un sourire — quand on n’est pas trop occupé à contourner un mur invisible.
Coop, redite et potentiel sous-exploité
En dehors de sa campagne principale, Crime Boss: Rockay City propose quelques modes supplémentaires histoire de gonfler un peu l’offre. Le mode “partie rapide” permet d’enchaîner des missions indépendantes avec les figures emblématiques du casting, ce qui est sympa sur le papier, mais qui se transforme rapidement en recyclage d’arènes déjà vues quinze fois ailleurs. Pas de scénario, pas de progression, juste une série de fusillades en roue libre.
Plus intéressant en revanche : le mode coop, jouable jusqu’à quatre joueurs. Sur le principe, on s’attend à un PayDay version nanar, avec des braquages tendus, de la coordination, et des situations qui partent en vrille. En pratique, on se retrouve avec un contenu trop limité, des mécaniques trop légères, et une IA toujours aussi amorphe. Le fun est bien là, surtout entre potes, mais ça ne suffit pas à masquer le manque d’ampleur du mode.
Côté progression, aucune personnalisation significative, pas d’arbre de talents, pas de gestion d’équipement avancée. On gère des recrues, on empile du cash, et c’est tout. Il manque clairement un second étage à la fusée, quelque chose pour que les sessions donnent envie de revenir. Là, passé l’effet “casting rigolo” et la première poignée d’heures, on sent que le jeu n’a plus grand-chose à dire.
Pas de multi compétitif, pas de leaderboard, pas de contenu post-game digne de ce nom : Crime Boss est un jeu qui a cru que son concept suffirait à remplir les étals, sans prendre le temps de l’étoffer.
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