Il fut un temps où Contra incarnait l’action pure, brute, sans détour. Une époque où deux silhouettes musculeuses suffisaient à évoquer l’explosion imminente d’une base alien, où la mémoire musculaire dictait la survie, et où l’écran lui-même tremblait sous les salves incessantes d’un arsenal improbable. Aujourd’hui, ce nom ressurgit du passé. Non pas sous la forme d’une suite tiède ou d’un spin-off opportuniste, mais d’un remake structuré, pensé, repensé : Contra: Operation Galuga.
Développé par WayForward Technologies et édité par Konami, le jeu est disponible depuis le 12 mars 2024 sur Nintendo Switch. Il s’agit d’une réinterprétation complète du tout premier épisode de la série, celui-là même qui en 1987 redéfinissait la notion de run & gun sur bornes d’arcade et consoles 8-bits. Loin des errances malheureuses d’épisodes récents, Operation Galuga cherche à renouer avec l’essence : l’adrénaline millimétrée, le duel contre l’impossible, et l’intensité viscérale d’un écran saturé de balles.
Mais dans cette tentative de résurrection, la mémoire suffit-elle à faire battre le cœur d’une légende ? Ou faut-il davantage que des hommages et des effets pour que le mythe retrouve sa force d’impact ?
Deux soldats contre le monde, et quelques surprises bonus
L’intrigue de Contra: Operation Galuga ne cherche pas à brouiller les pistes. Elle assume pleinement son héritage d’action primaire et frontale, renouant avec la trame de 1987 : le groupe terroriste Red Falcon a posé le pied sur l’île Galuga, au large de la Nouvelle-Zélande. En réponse, l’unité la plus létale imaginable est envoyée sur place : Bill Rizer et Lance Bean, figures mythiques du shooter arcade, deux forces de destruction à l’efficacité méthodique.
La narration épouse les codes du genre. Elle s’appuie sur des cinématiques brèves, parfois entre deux niveaux, pour contextualiser l’action. La tonalité reste volontairement sérieuse, tout en flirtant avec le second degré propre aux héros increvables des années 80. Ce duo, archétypes d’une époque musclée, retrouve ici son souffle grâce à une mise en scène rythmée, directe, sans fioriture. Loin d’être bavard, Operation Galuga préfère laisser les fusils parler.
Le casting s’élargit au fil de la progression. De nouveaux personnages, accessibles une fois la campagne terminée, apportent de subtiles variations de gameplay. Probotectors, agents spéciaux et figures inédites se greffent à l’équipe, chacun disposant de capacités uniques – grappin, vol stationnaire, saut amplifié, invincibilité temporaire. Ces ajouts, bien intégrés dans la logique du jeu, ne viennent pas alourdir la narration, mais enrichir la palette ludique.
La campagne principale s’étale sur huit niveaux rejouables, dans une structure pensée pour deux joueurs en coopération. Le mode Arcade, jouable jusqu’à quatre, introduit une forme de chaos organisé qui pousse à la coordination, malgré l’absence d’une intrigue propre. Les dialogues restent limités, mais suffisants pour maintenir une continuité et souligner les enjeux sans jamais détourner l’attention du cœur de l’expérience : avancer et tirer, sans interruption.
Ce n’est pas dans les dialogues que Contra: Operation Galuga cherche la nuance, mais dans sa fidélité à un ton, à une époque, à une forme d’héroïsme décomplexé. Il ne reconstruit pas une mythologie ; il rappelle pourquoi elle avait tant d’impact.
Le retour du doigt sur la gâchette et du rythme dans les veines
Contra: Operation Galuga reprend le cœur battant de la série : un gameplay nerveux, exigeant, pensé pour l’attaque frontale et la lecture instinctive du danger. La structure des niveaux respecte les traditions du run & gun : avancement horizontal, progression rythmée par les salves ennemies, patterns à décrypter, boss tentaculaires à désosser en plusieurs phases. Le tout est soutenu par une réactivité exemplaire et une prise en main millimétrée, servie par un arsenal aussi lisible que jouissif.
Le jeu propose plusieurs modes complémentaires. La campagne principale, jouable en solo ou en coopération à deux, constitue l’épine dorsale de l’expérience. Elle offre un parcours complet à travers huit niveaux rejoués, réinterprétés avec soin, et repensés pour offrir des séquences variées : phases aquatiques, ascensions verticales, scrollings forcés, arènes fermées, boss de fin en plusieurs vagues. Le mode Arcade libère l’ensemble des stages et permet d’y jouer jusqu’à quatre en simultané. Le chaos devient festival.
Chaque personnage jouable apporte un style distinct. Outre Bill et Lance, d’autres combattants – humains ou cyborgs – proposent des variations de gameplay subtiles. Certains sautent plus haut, d’autres disposent de compétences comme le grappin ou le vol temporaire. Ces spécificités se débloquent via une boutique de bonus interne, à mesure que le joueur accumule de la monnaie durant ses parties. Ce système d’évolution prolonge la durée de vie tout en structurant un vrai sentiment de progression.
Le titre propose également trente défis indépendants : speedruns, parcours à contraintes, limitations d’armes ou d’actions. Ces épreuves visent les vétérans, ceux pour qui la précision et la mémorisation sont des arts nobles. Le jeu offre aussi plusieurs niveaux de difficulté, et même une bascule dès le départ entre un mode classique à mort instantanée ou une version à jauge de vie plus permissive. Ce choix structure l’approche selon l’endurance du joueur, tout en préservant la rigueur attendue.
Les mécaniques modernisées incluent un double saut, un dash et une glissade. Les armes, quant à elles, bénéficient d’un empilement progressif – chaque ramassage améliore leur puissance – et d’une capacité de surcharge temporaire, libérant une attaque plus destructrice. L’interface facilite l’identification des bonus, les icônes étant désormais claires et lisibles à l’écran. La santé du personnage est, elle aussi, codifiée par couleur, assurant une lisibilité immédiate de l’état de danger.
L’ensemble donne naissance à une expérience cohérente, fluide, calibrée pour le plaisir du shoot rythmique. Chaque niveau devient une chorégraphie de projectiles, chaque boss un puzzle à démonter dans une danse d’esquives et de contre-attaques. Operation Galuga n’invente pas de nouveau langage, mais parle celui du genre avec autorité, respect, et précision.
L’éclat des balles, l’ombre des silhouettes
Le choix d’un moteur en 2,5D ancre Contra: Operation Galuga dans une volonté claire : moderniser l’apparence sans trahir l’héritage. Les personnages en 3D évoluent sur des décors en défilement latéral, évoquant les classiques tout en intégrant une profondeur visuelle nouvelle. Ce procédé permet des effets de mise en scène spectaculaires : zooms dynamiques, angles de caméra mobiles, déformations d’arrière-plan, transitions soudaines lors des affrontements de boss. La mise en spectacle s’affirme dès les premières secondes et reste omniprésente jusqu’au dernier tableau.
Les animations sont d’une fluidité exemplaire. Les personnages réagissent avec justesse aux commandes, les ennemis explosent dans un feu d’artifice contrôlé, et chaque tir laisse une empreinte claire sur l’écran. Les effets de particules, nombreux, viennent soutenir le chaos sans l’encombrer. L’ensemble est lisible… dans l’idéal. Car malgré ce soin global, certains éléments visuels posent problème : plateformes trop fondues dans le décor, power-ups peu contrastés, ou encore zones de danger mal délimitées. Ce flou visuel, ponctuel mais réel, fragilise l’expérience dans un jeu où chaque pixel compte.
La direction artistique, quant à elle, peine à imposer une identité forte. Le design des personnages, bien que respectueux de la tradition, reste dans des lignes génériques. Les décors, aussi riches soient-ils techniquement, manquent de personnalité. L’ambition visuelle se traduit par une efficacité formelle plus que par une empreinte mémorable. Il ne s’agit pas d’un monde qui marque ; il s’agit d’un terrain de guerre bien huilé, mais interchangeable.
La bande-son épouse le style explosif du jeu. Composée de thèmes orchestraux agrémentés de nappes électroniques, elle soutient l’action sans jamais l’étouffer. Chaque niveau possède sa signature musicale, avec un tempo ajusté à la courbe de tension. Les bruitages, eux, s’inscrivent dans une logique d’impact net : tirs tranchants, explosions sourdes, réverbérations métalliques, cris synthétiques. Le mixage sonore équilibre les couches, laissant suffisamment d’espace pour que chaque élément s’exprime sans dissonance.
Aucune voix-off envahissante, aucun commentaire parasite : la bande-son reste au service du rythme. Elle accentue, souligne, accompagne. Et dans les moments les plus frénétiques, elle sait se faire moteur, ajoutant cette tension continue qui pousse à garder le doigt sur la gâchette.
0 commentaires