Clash: Artifacts of Chaos, développé par la Team ACE, n’est pas un simple projet de plus. C’est l’aboutissement d’une obsession née en 2003, ressuscitée vingt ans plus tard sous la forme d’un monde difforme, pulsant, chargé de colère et de poésie.
Le studio indépendant, déjà responsable de Zeno Clash ou Rock of Ages, retrouve ici sa signature la plus viscérale : une direction artistique chaotique, un système de combat radical, et une narration aussi cryptique que viscéralement incarnée. Mais derrière la laideur assumée, derrière le choc esthétique, se cache un titre au souffle rare. Faut-il y entrer les poings serrés ou le cœur grand ouvert ?
La brute et l’enfant
Dans Clash: Artifacts of Chaos, vous incarnez Pseudo, un ermite difforme hantant les terres détraquées de Zenozoik. Solitaire, mu par la discipline et la brutalité, il croise la route d’un vieillard et d’un enfant au regard large, trop doux pour ce monde. Lorsque le premier tombe sous les coups d’un adversaire, Pseudo choisit d’arracher le second à la mort. Ce geste infime déclenche une fuite, une chasse, une déchirure.
L’enfant n’a pas de nom, mais il devient tout. À ses trousses, Gemini, entité bicéphale, cheffe carnassière d’un bastion défiguré, souhaite s’approprier cette créature pour guérir la part pourrissante de sa sœur siamoise. Vous, vous choisissez l’opposé : protéger. Non par vertu, mais parce que quelque chose se fissure. Une émotion remonte. Une mémoire.
La narration, volontairement parcellaire, ne cède rien à la facilité. Peu de dialogues. Aucun didactisme. Clash construit son récit par silences, par gestes, par regards. L’univers n’est pas expliqué : il se vit. Les personnages ne se confient pas : ils saignent. Pseudo, voix grave, visage impassible, avance sans but autre que la survie… jusqu’à ce que l’Enfant le déroute. Curieux, émerveillé, joyeux même dans les ténèbres, il devient l’inverse exact du protagoniste. Un miroir inversé. Une rédemption muette.
La violence, omniprésente, n’est jamais gratuite. Elle révèle, elle transforme. Le lien qui se tisse entre Pseudo et l’Enfant échappe au pathos pour toucher à quelque chose de plus brut : l’instinct, la protection, l’humanité refoulée. Le récit ne se raconte pas. Il se ressent.
Chair contre chaos
Le combat dans Clash: Artifacts of Chaos n’est pas un défouloir. C’est un apprentissage. Vous commencez faible, presque risible. Les premiers ennemis frappent fort, brisent votre garde, vous renvoient à la boue. Chaque affrontement devient un rite, chaque victoire, une leçon gravée dans la chair. Le jeu propose d’entrée trois styles martiaux distincts. À mains nues, Pseudo déchaîne sa fureur avec un arsenal de techniques qu’il faut maîtriser, modifier, combiner. Loin d’un simple beat’em up, Clash déploie une grammaire corporelle où chaque coup engage votre survie.
L’évolution passe par la pratique. En progressant, Pseudo apprend à fusionner les styles, à varier les rythmes, à adapter sa posture à l’ennemi. Cette richesse du système est renforcée par un système de statistiques typé RPG : chaque attribut (force, esprit, etc.) renforce certaines écoles de combat, façonnant votre style au fil des points investis. Mais cette complexité, si elle enrichit l’expérience, manque d’explication. L’interface n’aide pas, les tutoriels sont maigres. Le jeu attend de vous une persévérance presque ascétique.
La difficulté s’ajuste sans concession. En suivant le chemin principal, les combats restent exigeants mais franchissables. Sortez des sentiers balisés, et vous rencontrerez des adversaires redoutables, aux patterns brutaux et punitifs. Ce n’est jamais injuste, mais toujours impitoyable.
Chaque parade, chaque esquive, chaque timing déclenche des opportunités précises. En remplissant une jauge spéciale, vous accédez à une phase de transe : caméra en vue subjective, enchaînements rituels, attaque dévastatrice. Ce système, simple mais spectaculaire, ajoute une couche rythmique à la brutalité du gameplay.
À cela s’ajoute un rituel unique : un mini-jeu aux règles aléatoires précède certains duels. En remportant ce préambule, vous obtenez un avantage stratégique. Ce rituel, étrange et parfois bancal, inscrit chaque affrontement dans le folklore de Zenozoik. Ici, la violence se codifie, se ritualise, se transmet.
Couleurs de fièvre, musique de l’âme
Visuellement, Clash: Artifacts of Chaos n’imite rien. Il dérange, il déroute, il envoûte. Chaque créature semble jaillie d’un cauchemar tribal : corps boursouflés, peaux déchirées, membres asymétriques. Aucun design ne rassure, tous marquent. Le monde de Zenozoik se déploie comme un rêve fiévreux, entre grotesque organique et onirisme coloré. Même Pseudo, silhouette massive aux allures post-atomiques, semble hériter de la poussière de Fallout et de la solitude d’un revenant.
Le bestiaire défie toute taxonomie. Il ne s’agit pas de monstres, mais de formes hantées, animales sans nom, fusions d’intentions et d’instincts. Le tout baigne dans une lumière irréelle, saturée, où chaque zone devient une peinture fracturée. C’est une horreur chaude, presque accueillante, à mi-chemin entre le grotesque et le lyrique.
Les environnements prolongent cette sensation d’étrangeté. Cités délabrées, ruines silencieuses, clairières toxiques : chaque lieu raconte un fragment de civilisation oubliée, chaque panorama évoque une mémoire brisée. Certains biomes se répètent, quelques textures trahissent les limites du moteur, mais l’univers conserve son intégrité. Il ne cherche pas à plaire : il cherche à exister.
La bande-son, signée Patricio Meneses, épouse cette démarche. Alternant percussions tribales, chants gutturaux, nappes rauques et mélodies cristallines, elle épouse les émotions sans jamais les souligner de manière appuyée. Les morceaux violents accompagnent la rage de Pseudo ; les thèmes lyriques, portés par une voix d’enfant, révèlent sa faille, son lien croissant avec l’Enfant. Cette dualité sonore trouve son apogée dans le final, où les deux registres fusionnent, dans une dernière élévation.
Clash n’illustre pas : il incarne. Et dans sa direction artistique comme dans sa musique, il transforme le monde en un miroir sensible de son récit.
Brume technique, structure organique
Clash: Artifacts of Chaos ne brille pas par sa technique. Bugs d’affichage, collisions incertaines, chutes de framerate : la structure tangue régulièrement sous l’intensité de ses ambitions visuelles. Les textures, parfois datées, et les animations rigides de certains PNJ rappellent les racines modestes du projet. Le moteur graphique peine à tout encaisser, surtout lors des séquences les plus chargées. Pourtant, l’expérience reste fonctionnelle. La progression, malgré ces accrocs, se poursuit sans effondrement.
L’interface se montre épurée, parfois trop. L’ATH réduit à l’essentiel soutient l’immersion, mais limite la lisibilité des mécaniques avancées. Le jeu ne propose ni journal de quête, ni carte guidée : l’exploration repose intégralement sur la mémoire du joueur. Ce choix radical renforce la cohérence du monde, mais impose une attention constante. Aucune assistance, aucune concession.
Le monde de Zenozoik est structuré par une logique de niveaux interconnectés. Passages secrets, raccourcis, portes verrouillées : la progression s’inscrit dans un cycle d’apprentissage et de retour. Chaque avancée ouvre de nouvelles voies, chaque détour invite à l’exploration. Aucun marquage, aucun repère extérieur. Le jeu vous impose le doute, la vigilance, la persévérance.
L’alternance entre jour et nuit introduit une mécanique originale : la version nocturne du monde, plus dangereuse et plus obscure, devient accessible après la mort ou à volonté. Sous cette forme spectrale, Pseudo accède à des zones cachées, des chemins alternatifs, des fragments narratifs. Cette superposition symbolique renforce la cohérence du voyage intérieur et physique du personnage.
Le jeu ne propose ni multijoueur, ni mode en ligne. L’expérience reste intégralement solo, taillée pour l’immersion. Aucun contenu additionnel n’est requis pour ressentir l’ampleur de ce qui est proposé.
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