Avec Candylands Journey, développé par Spell Pie & Uncle Frost Team et publié par Sometimes You le 4 septembre 2025 sur Nintendo Switch, le pixel art prend des airs de confiserie empoisonnée. Derrière l’éclat sucré des bonbons et l’évidence enfantine des couleurs saturées se cache une quête plus austère : une sorcière minuscule, baguette à la main, s’élance à travers quinze royaumes pour retrouver un cristal volé, déjouer les charmes maléfiques de pâtissières possédées et repousser des armées de douceurs qui ne sourient plus.
Le jeu ne se contente pas d’inviter à la nostalgie du platformer 16-bits : il l’infléchit, la plie sous une avalanche de gemmes à collecter, de puzzles colorés, de baguettes élémentaires qui modifient la manière de voir et de franchir chaque décor. Ici, le sucre est un piège, l’excès visuel une arme, et chaque saut devient une tentative d’échapper à l’étouffement d’un monde trop beau pour être vrai.
Mais la question demeure, suspendue : cette aventure sucrée saura-t-elle transformer sa nostalgie en véritable épopée mémorable, ou restera-t-elle le souvenir fragile d’un gâteau flamboyant qui s’effrite au premier contact ?
La fable éclatée d’un cristal perdu
Tout commence par un vol, mais ce n’est pas seulement un objet qui disparaît : c’est l’équilibre d’un monde qui se fracture. Le cristal magique, cœur vital de Candylands, a été volé, et avec lui la douceur s’est muée en menace. Les sucreries, jadis promesse d’innocence, se déforment en ennemis grotesques ; les pâtissières, gardiennes du goût, se corrompent en sorcières cruelles. Là où régnait la gourmandise, il ne reste qu’une féerie pervertie, une beauté toxique.
Vous incarnez une sorcière minuscule, silhouette fragile perdue dans une immensité saturée de couleurs. Elle n’a ni compagnons fidèles, ni alliés bavards : sa route se trace seule, portée par une baguette qui devient prolongement de sa volonté. Cette héroïne sans nom est moins un personnage qu’un symbole : la ténacité de l’être face à un univers qui déborde, l’obstination d’avancer même lorsque chaque décor semble vouloir vous avaler.
Mais c’est là que se révèle le paradoxe narratif de Candylands Journey. La fable possède l’évidence des contes mais elle sacrifie la chair des personnages. Pas de voix secondaires, pas de figures qui se dressent pour interroger ou enrichir votre trajectoire. Les ennemis sont des formes à abattre, des incarnations du sucre devenu poison, pas des rivaux à haïr ou à comprendre. Le récit, réduit à une ligne claire, devient une parabole : limpide, mais solitaire.
Cette économie narrative a sa puissance : elle concentre l’attention sur la traversée, sur l’acte de franchir et de résister. Mais elle a aussi son prix : sans dialogues, sans destins parallèles, l’aventure perd en profondeur émotionnelle ce qu’elle gagne en pureté de symbole. La quête du cristal se vit comme un rêve coloré, mais elle s’oublie aussi vite qu’un bonbon fondu sur la langue.
La mécanique sucrée, l’amertume du décor
Candylands Journey n’avance pas masqué : son squelette est celui du platformer rétro, mais habillé d’une démesure chromatique et d’une promesse de variété. Quinze biomes, chacun décliné comme une confiserie géante, offrent au joueur un théâtre où chaque saut devient un pari contre la confusion du décor. Vous progressez de tableau en tableau, enchaînant les collectes, les puzzles, les affrontements contre des sorcières pâtissières, comme autant de ritournelles d’une mécanique connue mais toujours rejouée.
Au cœur de ce système, la baguette magique agit comme instrument d’identité et de renouvellement. Elle n’est pas unique : le jeu vous en confie plusieurs, dotées de pouvoirs élémentaires — feu, glace, bulles, invocations inattendues. Chaque baguette n’est pas seulement une arme, mais une clef : certains passages ne s’ouvrent qu’avec l’élément adéquat, obligeant à revenir, à relire le niveau, à transformer la linéarité apparente en boucle de redécouverte. Là réside la subtilité du design : l’exploration n’est pas frontale, elle est fragmentée, différée, toujours incomplète avant d’être rejouée.
Mais cette ambition se heurte à une fragilité criante : le level design, saturé de détails visuels, manque parfois de lisibilité. Les arrière-plans chatoyants brouillent la frontière entre décor et plateforme ; un objet paraît atteignable mais ne l’est pas encore, provoquant des chutes frustrantes et des retours forcés. Le sucre, dans son excès, étouffe la précision du geste. Le plaisir de la collecte se heurte alors à l’irritation de l’attente : voir une pièce de puzzle, savoir qu’elle est là, mais comprendre trop tard qu’il faudra revenir avec un autre pouvoir. Ce choix peut être lu comme une fidélité au platformer exigeant, mais il devient parfois une maladresse, un artifice qui brise le rythme.
Les combats contre les boss pâtissiers suivent cette logique : spectaculaires dans leur mise en scène sucrée, mais souvent mécaniques dans leur déroulé. On apprend leur cycle, on répète, on triomphe. La satisfaction est réelle, mais brève, comme un éclat de sucre qui craque avant de disparaître.
Ainsi, le gameplay de Candylands Journey respire une ambition nostalgique assumée : baguettes variées, collecte exigeante, biomes bariolés. Mais il se condamne aussi par son excès : trop de décor tue la lisibilité, trop de collecte ralentit l’élan, trop de répétition use le charme. C’est un monde qui veut briller comme un bonbon éternel, mais qui fond parfois entre les doigts.
L’éclat aveuglant d’un monde sucré, la mélodie d’un rêve fragile
Candylands Journey impose une esthétique flamboyante. Le pixel art, volontairement saturé, éclabousse l’écran d’une palette criarde où chaque couleur cherche à séduire l’œil, où chaque arrière-plan se veut spectacle. Les biomes, quinze au total, défilent comme autant de vitrines baroques : forêts givrées, grottes tapissées de sucreries, ruines couvertes de glaçages, abysses marins saturés de confiseries improbables. Cette abondance visuelle, parfois hypnotique, traduit l’ambition d’un jeu qui veut marquer par l’excès.
Mais cet excès, en se transformant en système, se retourne contre lui. Trop de détails, trop de décors animés brouillent la lisibilité du level design : ce qui devrait être une plateforme devient une fresque trompeuse, ce qui semble accessible se révèle décor lointain. L’univers, au lieu de guider, éblouit, et le joueur avance parfois plus à l’aveugle qu’au rythme de son intuition. La beauté devient obstacle, l’éclat se mue en piège.
La bande-son, elle, épouse cette logique contrastée. Les compositions sont dynamiques, légères, entraînantes, reprenant les codes des mélodies arcade : motifs sucrés, rythmes rapides, ponctués de bruitages simples. Le charme est immédiat, presque enfantin, mais il peine à se renouveler. Les morceaux tournent en boucle, accompagnent l’action sans toujours la transcender. Là où une partition aurait pu apporter des nuances, la musique se contente d’habiller la surface.
Ainsi, l’identité audiovisuelle de Candylands Journey repose sur une contradiction : un monde visuel débordant qui aveugle autant qu’il fascine, et une bande-son joyeuse qui soutient sans élever. L’univers existe, chatoyant, bruyant, mais il manque de la subtilité capable de transformer l’excès en mémoire durable. On sort ébloui, mais rarement marqué.

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