Il y a des jeux qui ne s’expliquent pas. Ils s’imposent avec la force tranquille d’un revers de main, comme une taloche bien sentie dans un western spaghetti. Bud Spencer & Terence Hill – Slaps and Beans 2 est de ceux-là. Une œuvre anachronique, volontairement désuète, qui convoque l’énergie des salles obscures des années 70 pour mieux la canaliser dans les pixels d’un beat’em all à l’ancienne. Un jeu fait par des admirateurs pour les adorateurs, avec tout ce que cela implique de fidélité aveugle, de clins d’œil bien appuyés, et de coups de poing chargés d’amour.
Développé par le studio italien Trinity Team, sous l’œil bienveillant de Buddy Productions, ce deuxième épisode assume pleinement son statut de lettre d’amour vidéoludique à l’égard des deux géants du cinéma populaire européen. Le premier opus, sorti en 2017, avait déjà planté le décor avec ses baffes sonores et ses références pleines de moustaches. Cette suite entend bien pousser la formule plus loin, avec plus de niveaux, plus d’animations, plus de coups… et toujours plus de nostalgie.
Disponible depuis septembre 2023 sur Nintendo Switch, Slaps and Beans 2 débarque avec la nonchalance virile d’un Bud affalé au comptoir, prêt à faire voler les chaises si on lui touche à sa mousse. Mais au-delà des clins d’œil et des pantalonnades, peut-on réellement parler d’un bon jeu d’action ? Ou s’agit-il simplement d’un objet culte destiné à un public qui connaît par cœur les dialogues de Deux super-flics ?
Une claque, une banane, et ça repart
L’histoire de Slaps and Beans 2 ne cherche jamais à surprendre. Et pour cause : elle se revendique comme un pastiche fidèle de la filmographie du duo. Bud et Terence s’échouent en Afrique après un naufrage et tombent aussitôt sur une bande de contrebandiers bien décidés à exploiter les populations locales. Dès les premières minutes, le cadre est posé : un décor exotique, une mission à moitié improvisée, et une avalanche de mandales pour rétablir l’ordre. Ce n’est pas une parodie, c’est une reconstitution.
Loin des préoccupations narratives modernes, le scénario s’aligne sur la structure archétypale du buddy movie vintage, où les dialogues sentent la poussière, la sueur et le second degré assumé. Les péripéties s’enchaînent avec un goût certain pour l’absurde burlesque : orphelins en détresse, cargaisons de bananes, pompiers choristes, kung-fu moustachu… Chaque scène semble sortie d’un carnet de notes griffonné par un scénariste napolitain un soir de bière tiède.
Mais tout cela fonctionne. Parce que le jeu ne ment jamais sur ses intentions. Il ne s’agit pas d’un scénario dans le sens classique du terme, mais plutôt d’un cadre de cabotinage permanent, où chaque événement ne sert qu’un seul objectif : vous mettre dans la peau de ces deux figures légendaires du cinéma populaire. En ce sens, le respect est total. L’écriture, volontairement simpliste, aligne les punchlines comme autant de citations cultes, et s’appuie sur une mise en scène qui rejoue à la perfection les gimmicks visuels des films.
Bud Spencer est massif, taiseux, inébranlable. Terence Hill est agile, moqueur, charmeur. À l’écran, leurs animations, leurs postures, jusqu’à leurs expressions, rendent un hommage troublant de fidélité à leurs modèles. Il ne s’agit pas d’un avatar ou d’un skin vaguement inspiré, mais bien d’une incarnation ludique, animée avec une passion manifeste pour les moindres détails.
Ce duo fonctionne aussi grâce aux quelques figures secondaires croisées durant l’aventure, toutes plus caricaturales les unes que les autres, à l’image de ces vilains de série B qui crient avant de prendre une claque et tournent deux fois sur eux-mêmes avant de s’évanouir. La narration se fait au service du souvenir, de la recréation cinématographique, avec une sincérité désarmante.
Dans un autre jeu, cette légèreté scénaristique serait une faiblesse. Ici, c’est la preuve d’une loyauté sans faille envers les origines. Slaps and Beans 2 raconte peut-être peu, mais il le fait avec un amour évident, et ça vaut tous les retournements de situation.
Baffes millimétrées et bananes scénarisées
Slaps and Beans 2 s’inscrit sans détour dans la grande tradition du beat’em all arcade, celle des bornes 16-bit et des baffes synchronisées sur des riffs de guitare funky. Le principe est limpide : avancer de gauche à droite en déroulant des coups de poing XXL sur des sbires bondissants, dans une rythmique aussi simple que satisfaisante. Mais derrière ce classicisme assumé, quelques subtilités viennent ancrer l’expérience dans l’ADN cinématographique du duo.
Le joueur incarne Bud ou Terence, au choix, dans une progression en scrolling horizontal ponctuée de phases de plateforme légères et de mini-jeux inspirés de scènes cultes. Le changement de personnage à la volée, d’un simple appui sur la gâchette, constitue bien plus qu’un gimmick : il devient un élément central de résolution d’énigmes environnementales et de gestion de combats. Chaque personnage dispose de ses propres aptitudes : Bud joue la force brute, détruisant obstacles et ennemis avec une puissance de démolition jubilatoire ; Terence mise sur l’agilité, enchaînant bonds, escalades et esquives avec une aisance féline.
Le système de combat repose sur un panel de mouvements volontairement limité mais savoureux, avec des animations directement reprises des films originaux. On distribue des gifles avec un timing comique millimétré, on balance des corps en chaîne, on dégaine des super-coups dignes d’un final de On l’appelle Trinita. Chaque interaction est pensée comme une célébration du geste cinématographique, avec des éléments destructibles, des ralentis contextuels et des bruitages cartoonesques à souhait.
Certaines zones du jeu introduisent des objets de décor interactifs – tonneaux, caisses, bancs – qui déclenchent des séquences contextuelles pleines d’humour, en écho aux gags récurrents de la filmographie du duo. Le jeu jongle entre niveaux d’action classiques, séquences de coopération à deux personnages, et phases de gameplay alternatives (conduite, infiltration burlesque, chorale de pompiers…) qui renouvellent constamment la dynamique.
Mais si l’ensemble est agréable à prendre en main, il repose essentiellement sur la répétition maîtrisée. Les ennemis manquent de variété, les patterns d’attaque sont rapidement assimilés, et la difficulté reste modérée tout au long de l’aventure. Le gameplay privilégie l’accessibilité à la technicité, ce qui en fait un titre parfait pour un public nostalgique, mais moins adapté à ceux qui recherchent un défi soutenu ou des mécaniques profondes.
Enfin, la présence d’un mode coopératif local permet de vivre l’expérience à deux, comme il se doit. La synergie entre Bud et Terence prend alors tout son sens, dans un ballet de mandales partagé sur canapé, avec éclats de rire et références lancées à la volée. Un choix qui renforce le caractère convivial, immédiat et résolument old school de l’ensemble.
Slaps and Beans 2 ne réinvente pas le genre, mais il le rejoue avec un respect exemplaire, préférant la fidélité à l’audace, la claque nostalgique à l’innovation mécanique. Et parfois, c’est tout ce qu’on demande.
Pizzas pixels et jazz spaghetti
À première vue, Slaps and Beans 2 semble tout droit échappé d’une borne d’arcade oubliée dans un bar de Trastevere, quelque part entre deux flippers poussiéreux. Le choix du pixel art s’impose ici comme une évidence esthétique, une façon de fixer l’image des années 70 dans un langage visuel immédiatement familier, presque patiné par le temps.
Chaque personnage est animé avec une attention méticuleuse portée aux postures, aux gestes et aux mimiques. Bud Spencer avance comme un bulldozer impassible, les bras en balancier, les poings prêts à pleuvoir ; Terence Hill virevolte avec un rictus espiègle, les jambes agiles et le revers de main affûté. Chaque claque, chaque coup, chaque esquive reproduit la gestuelle iconique des deux légendes, avec une précision quasi documentaire. Ce soin porté à la silhouette et à l’attitude offre un rendu à la fois comique et respectueux, où chaque animation devient un hommage.
Les décors, eux, s’enchaînent avec un charme rétro assumé. Jungle luxuriante, campement de contrebandiers, bar enfumé ou marché africain : chaque niveau fait office de décor de cinéma, truffé de détails, de clins d’œil, de silhouettes familières pour l’œil averti. Le jeu varie les ambiances sans jamais trahir sa palette, privilégiant des contrastes vifs, une lisibilité parfaite, et une architecture pensée comme une succession de plateaux de tournage. On traverse ces scènes comme on tournerait les pages d’un album Panini à la gloire du duo moustachu.
La bande-son, quant à elle, joue la carte de l’authenticité musicale à plein volume. Funk, jazz, disco, guitare napolitaine et piano cabotin composent un éventail sonore en parfaite adéquation avec l’univers du jeu. Les morceaux rappellent les BO mythiques signées Franco Micalizzi ou Guido & Maurizio De Angelis, et l’ambiance musicale se cale au rythme des mandales comme un vieux vinyle bien usé. Certaines séquences réutilisent même des compositions originales issues des films du duo, recréant ainsi un lien organique entre l’écran du jeu et celui du cinéma.
Enfin, les bruitages jouent leur rôle à merveille. Les coups portent, claquent, rebondissent avec un effet cartoon assumé, là encore dans la tradition des classiques. Les grognements des ennemis, les applaudissements d’orphelins, les effets de chute burlesques : tout est codé pour susciter le sourire et rappeler les scènes cultes, sans jamais sombrer dans la redite forcée.
Slaps and Beans 2 ne cherche pas la modernité graphique. Il vise plutôt l’authenticité du souvenir, le plaisir de revoir en mouvement des icônes oubliées, dans une ambiance sonore et visuelle qui fleure bon la baston bon enfant, les chemises à fleurs et les soirées ciné sur VHS. Et à ce petit jeu-là, le titre touche juste.
Le dernier spaghetti avant la sieste
Conçu comme une ode à la camaraderie vintage, Slaps and Beans 2 ne s’encombre pas de fonctionnalités superflues. Pas de mode en ligne, pas de contenu téléchargeable, pas de boutique intégrée : ici, tout est contenu dans la cartouche, et l’expérience se veut directe, immédiate, presque artisanale.
Le jeu propose un mode coopératif local, jouable à deux sur le même écran, qui constitue sans conteste la meilleure manière d’apprécier l’aventure. À deux manettes, les gags prennent vie, les enchaînements gagnent en spontanéité, et l’alchimie du duo se déploie pleinement, dans une ambiance de canapé partagée, exactement comme au bon vieux temps.
La version Nintendo Switch bénéficie d’un portage propre et stable. Aucun ralentissement majeur n’est à signaler, les temps de chargement sont rapides, et le jeu tourne avec fluidité en mode portable comme en docké. Les commandes répondent bien, malgré une certaine rigidité volontaire, fidèle à l’animation des personnages et à leur style de jeu. Cette lourdeur participe d’ailleurs à l’identité du titre : Bud ne bouge pas comme un ninja, et c’est tant mieux.
Côté accessibilité, Slaps and Beans 2 reste très permissif. Aucun système d’amélioration complexe, pas de points de compétence, pas d’arbre de talents labyrinthique : tout est là dès le départ, ou presque. Quelques objets à collecter, quelques clins d’œil à débloquer, mais l’expérience est pensée pour être traversée d’un trait, comme un bon vieux film du dimanche après-midi.
La durée de vie oscille entre 4 et 6 heures, selon le niveau de difficulté choisi et la curiosité du joueur. C’est court, mais cohérent avec le format proposé. Une aventure dense, ponctuée de mini-jeux, de séquences humoristiques et de combats rythmés, qui ne cherche jamais à s’étirer artificiellement.
Slaps and Beans 2 ne multiplie pas les fonctionnalités. Il préfère le plaisir immédiat à la surcouche mécanique, l’authenticité à la complexité. Et dans cette retenue, dans cette épure presque naïve, réside une partie de son charme.
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