Le 24 mai 2018, Bloodstained: Curse of the Moon surgit comme une incantation venue d’un autre temps. Conçu par Inti Creates, sous la houlette du légendaire Koji Igarashi, ce préambule à Ritual of the Night n’est pas une simple évocation nostalgique. C’est un serment. Une réplique chirurgicale des codes 8-bit les plus exigeants, en hommage frontal à Castlevania III: Dracula’s Curse.
Sur Nintendo Switch, la magie opère instantanément. Sprites tranchants, sons chiptune entêtants, rigidité mécanique revendiquée — tout respire l’héritage de la NES, mais dans une forme maîtrisée, ciselée, totalement consciente d’elle-même.
Pour autant, un questionnement s’impose : derrière le voile de pixels et les cris digitaux des démons, Curse of the Moon est-il un rituel réussi ou une simple incantation pour nostalgiques en manque de croix en argent ?
Lame maudite et compagnons damnés
L’histoire de Curse of the Moon s’inscrit dans une tradition où le récit ne cherche pas à dominer, mais à infiltrer l’expérience. Vous incarnez Zangetsu, épéiste rongé par la haine des démons, condamné à arpenter des terres souillées pour accomplir sa vendetta. Une quête de vengeance en apparence classique, mais qui s’épaissit au fil des rencontres, non par les dialogues — rares et laconiques — mais par la construction d’un groupe, la nature des sacrifices, et la portée de vos choix.
Chaque allié rencontré — Miriam, Alfred, Gebel — n’est pas là pour meubler une narration. Ils sont l’histoire. Chacun incarne un archétype inversé : la prêtresse déchue, le mage obsédé par le savoir, le damné à moitié vampirique. Ce ne sont pas des compagnons. Ce sont des reflets de Zangetsu, des variables dans une équation tragique où seule la damnation est constante.
Le jeu ne s’encombre pas de longues séquences scénarisées. Il parle par le gameplay, par les tensions entre les capacités de chacun, par les fins multiples qui s’ouvrent selon vos décisions. Épargner ou tuer, coopérer ou dominer, incarner la pureté ou sombrer dans la haine : ces choix redéfinissent votre destin et sculptent un récit à la fois silencieux et implacable.
Ce minimalisme narratif, couplé à une symbolique forte et une direction artistique gothique affirmée, crée une ambiance de tragédie muette, où l’on ne sauve personne — on choisit simplement qui tombera en dernier.
Mécanique de lames et rythmes de mort
Curse of the Moon est un jeu de précision. Un jeu de réflexes. Un jeu de décisions brutales prises en une fraction de seconde. Il ne cherche pas à caresser. Il frappe. Rigidité assumée, punition méthodique, récompense millimétrée : la structure même du gameplay est une déclaration d’intention. Ici, chaque saut est un engagement. Chaque coup, une sentence.
Vous contrôlez jusqu’à quatre personnages interchangeables en temps réel, chacun avec ses propres compétences, sa vitesse, sa portée, sa résistance. Zangetsu, katana rapide. Miriam, fouet aérien. Alfred, sorcier fragile aux sorts dévastateurs. Gebel, entité volatile à la capacité de lévitation. Ce système ne se contente pas d’ajouter de la variété : il reconfigure en permanence votre approche de chaque niveau, de chaque salle, de chaque boss.
Le level design épouse cette diversité. Chemins multiples, secrets inaccessibles sans le bon personnage, zones à verticalité maîtrisée, passages piégés… Rien n’est laissé au hasard. Et tout est conçu pour être surmonté, non par la force, mais par la connaissance des patterns, l’observation du décor, la mémoire du danger.
La difficulté n’est jamais gratuite. Elle est froide, équilibrée, programmée pour tester votre lucidité plus que votre agressivité. Les boss sont dantesques, monumentaux dans leur animation, mais justes dans leur lecture. La moindre faille devient exploitable. La moindre erreur, fatale.
Le jeu propose deux modes distincts : Casual, pour une expérience allégée (vies infinies, pas de recul), et Veteran, pour les puristes qui veulent souffrir comme en 1989. Et au-delà de l’achèvement initial, un mode Nightmare vient tout renverser : nouveaux dialogues, nouvelles perspectives, nouvelles douleurs.
Plus qu’un hommage, Curse of the Moon est une réappropriation radicale de l’école Castlevania, transformée en rituel ludique où la douleur devient jouissance.
Rétro sacré et fréquences damnées
Visuellement, Curse of the Moon n’imite pas l’ère 8-bit. Il l’exhume, l’élève, et la magnifie. Chaque sprite est une gravure. Chaque animation, un écho d’un temps oublié, restauré non pas par nostalgie, mais par conviction artistique. Les environnements gothiques, les ruines vampiriques, les cathédrales aux cieux crevés — tout respire la maîtrise d’un studio qui comprend que le pixel art n’est pas une limite, mais un langage.
La palette, volontairement restreinte, renforce les contrastes : noir profond, rouge spectral, bleu spectral. L’univers graphique s’appuie sur la suggestion plus que la démonstration. Ce n’est pas un monde vivant : c’est un monde hanté, figé dans un cauchemar binaire.
L’identité sonore est tout aussi marquante. La bande-son chiptune, composée dans le respect scrupuleux des limitations matérielles de l’époque, n’a rien de superficiel. Elle pulse, elle grince, elle galvanise. Chaque morceau évoque une urgence, un danger imminent, une mélancolie digitale. Le thème des boss, notamment, est une montée en tension presque insoutenable, capable de rivaliser avec les meilleures compositions de l’ère Castlevania.
Pas de doublages, pas de narrateur : le silence fait partie de l’œuvre. Et quand les effets sonores s’invitent — impact métallique, feu sacré, grognement démoniaque — ils ne distraient pas. Ils ponctuent. Ils rappellent au joueur qu’il est seul, et que chaque bruit peut annoncer une fin.
Ce n’est pas une esthétique rétro. C’est une esthétique ritualisée.
Rejouer la damnation sous toutes ses formes
Derrière sa brièveté apparente, Curse of the Moon cache une structure pensée comme un labyrinthe de variations, où la répétition n’est jamais synonyme de redite. La campagne principale peut être bouclée en moins de deux heures… mais ce n’est qu’une première couche. Le jeu vous pousse à recommencer, à faire d’autres choix, à changer de configuration, à affronter les niveaux avec d’autres personnages, d’autres règles, une autre logique.
Chaque embranchement, chaque fin alternative, chaque mode supplémentaire — Nightmare, Ultimate, Boss Rush — remodèle les conditions de votre voyage. Certaines routes ne deviennent accessibles qu’en sacrifiant un allié. D’autres, en les épargnant. Le jeu ne propose pas une histoire à dérouler, mais un schéma à déconstruire, couche après couche.
Côté technique, Curse of the Moon est parfaitement stable sur Nintendo Switch. Les temps de chargement sont inexistants, les commandes répondent avec une précision chirurgicale, même en mode portable. Le framerate ne flanche jamais, quelles que soient les animations à l’écran. Une rigueur qui honore son héritage, et prouve que la simplicité visuelle peut être le vecteur d’une expérience de jeu d’une fluidité absolue.
Aucun multijoueur. Aucune option d’accessibilité. Aucune tentative de modernisation superficielle. Le jeu est ce qu’il prétend être : un rite rétro exigeant, sans concessions, taillé pour ceux qui savent que l’enfer commence à l’écran titre.
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